Un lendemain sans avenir
Des carcasses d’automobiles squattaient la rue désertée. La plupart se trouvaient sur la chaussée, placées en travers, souvent embouties, enchâssées les unes dans les autres. Un réverbère embrassait une Peugeot dans une étreinte douloureuse.
Au croisement, une Alpha Roméo calcinée avait servi de sépulture à un malchanceux qui n'avait survécu que quelques jours à l'effondrement. Le nouveau monde se souciait aussi peu du genre que de la vie humaine. Au-delà du carrefour, un cinéma affichait en 4 par 3, un film à grand succès. Parmi les créatures, figuraient un raton laveur anthropomorphe armé, qui, avec ses compagnons, se promettait de sauver la Galaxie. Ses cousins éloignés, les rats, avaient repris possession des lieux, sous le regard courroucé des chats familiers.
Marcia, la trentaine, mince, un peu courbée, la tête couronnée d’une chevelure châtain, courte, vaquait à ses occupations. Elle chassait la conserve, la faim au ventre. Elle avait froid aussi. Le mois de décembre avait bien commencé et maintenant il n’en finissait plus. Elle ne se souciait pas de la date, ni de la nouvelle Année. De même que l’argent, le temps n’avait plus cours.
Elle sortit une revolver de son sac de toile et le tînt contre son corps, entourant la crosse de ses deux mains. Elle avait récupéré l’arme, deux nuits plus tôt sur le corps d’un salopard tué par des rivaux. Elle chassa ces pensées effrayantes. Elle espérait surtout que les autres ne savaient pas qu'elle avait pris l’arme. Elle avait peur de leur réaction. Il voudrait la récupérer à tous prix. Pourtant Il fallait qu'elle la sorte, pour se défendre. Sentir la crosse dans la main, effleurer la gâchette, lui donnait un sentiment de puissance qui faisait reculer la peur.
Les abords du Monoprix délimitaient une zone dangereuse. Comme elle l'imaginait, les points d'eaux dans la savane africaine. Chacun cherchait sa pitance afin de survivre un jour de plus. Elle tourna le coin de la rue, le cœur à l'arrêt. Un homme fourrageait dans un kiosque abandonné. Elle eut un mouvement de recul instinctif, puis reconnut le personnage. Ce n’était que Charlie. Le vieux n’avait plus toute sa tête. Il ne présentait aucun danger, sinon il n’aurait pas survécu dans la rue. Il tenait un journal d’avant la crise. Hilare, il gueulait.
— Toujours pas de Premier Ministre ! Mais je suis là ! Je suis le Premier Ministre de la France ! Du monde même !
Et il tournait sur lui-même enivré par ses propres sottises.
— Salut Charlie ! Où sont passés les autres ?
Charlie suspendit son mouvement et la fixa intensément, juste quelques secondes.
— Ils sont devenus des rats ! De gros rats puants qui s’écorchent entre eux !
Il reprit sa giration de toupie avant de s’affaler en arrière, saoulé par son périple immobile.
Marcia s'approcha avec circonspection. Le clown se rassit brusquement en riant.
— Tu croyais que Charlie, il était clamsé ?
Il se frottait à présent la nuque, ramenant des doigts poissés de sang devant ses yeux. A leur vue, il se mit à pleurer, sans raison. Marcia le laissa à son sort et passa par la vitrine fracassée du supermarché, son arme toujours pointée devant elle. Des mouvements d’ailes résonnaient en frappant les gondoles. Des pigeons nichaient dans les entretoises métalliques du plafond. Des rayons gisaient disloqués sur le sol répandant les rares marchandises à ne pas avoir été déjà collectées. Un pack de lait trônait seul sur un transpalette abandonné. Marcia se mit à saliver. Malgré l’envie, elle recula prudemment. L’aubaine était trop belle. Elle se trouvait à présent à l’avant d’un rayon et s'apprêtait à le contourner. Charlie surgit derrière elle en criant à tue-tête.
— Les rats ! Les rats sont là ! Sortez ! Je suis le Roi des chats !
Un mouvement furtif près du pack de lait. Charlie s’écroula, heurté au front par une boîte de conserve lancée à toutes forces.
Marcia tira au jugé. Le coup de feu résonna dans le bâtiment déserté. Ses oreilles la lançaient et le canon brûlant, en reculant, la heurta au menton. Un peu groggy, elle tourna les talons et s’enfuit.
Dehors, un jeune garçon balafré, juché sur le capot d’une voiture, l’attendait une hache de pompier à la main, Deux complices l’entouraient. Elle le connaissait : Flavien, un des ses anciens élèves. Il avait bien changé le joli coeur jouait au chef de gang, ce qui lui avait valut cette cicatrice qui lui dévorait le visage. Il la salua dans une esquisse moqueuse de salut militaire.
— La demoiselle a quelque chose qui m’appartient ! Claironnait-t-il.
Il la narguait de son visage d’ange gâché. Elle sentait bien que l’arme n’était pas la seule chose qu’il voulait lui prendre. Pour la seconde fois elle tira. La balle fît mouche et il chuta avec sur les lèvres un rictus étonné. Ses comparses s'égaillèrent aussitôt.
— Je voudrais que tout redevienne comme avant, pensa-t-elle.
Ensuite, elle se mit à courir. Elle voulut mettre le plus de distance possible entre elle et la supérette. Dans les rues abandonnées, mille fenêtres l’observaient avec malice. En s'éloignant, elle quittait son secteur pour l'inconnu. Au niveau de l’école maternelle, une porte était restée entrouverte, la serrure fracturée. Elle gravit les quelques marches du perron et s’engouffra à l’intérieur.
Peut-être y trouverait-elle un refuge provisoire ?
La pénombre obscurcissait le hall. Depuis une salle de classe, un enfant pleurait. La voix sèche d’un homme couvrit les gémissements.
— Si tu ne le calmes pas, ton mioche, je vais le saigner !
Les rats se trouvaient dans la place.
— Pas mon enfant ! suppliait une femme.
Plusieurs femmes firent leur apparition dans le couloir, toutes armées de ciseaux ou de gourdins improvisés. L’une d’elle lui fit signe de garder le silence. Sans l’écouter, elle marcha vers la porte de la classe, l'ouvrit et rentra rapidement. Un coup de feu retentit suivi des pleurs paniqués de l’enfant. Dans la classe, l’homme gisait au sol. Une jeune-femme berçait le bébé. Marcia, épuisée, posa le pistolet sur le bureau de la maîtresse. Alors qu’elle pleurait doucement, les autres femmes se pressèrent contre elle, la serrant fort, lui susurrant des « merci ». Elle se dit qu’elle avait peut-être trouvé une famille et cela la réconforta un peu.
PS : Ce texte, a été composé à la suite d'un jeu d'écriture
Personnage : un raton laveur anthropomorphe
Lieu : un supermarché abandonné
Evénement : la désignation d'un premier ministre
J'avoue ne pas avoir respecté les consignes, même si les trois éléments apparaissent sous forme de clins d'œil, dans le récit.
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