Message funèbre
Quelle magnifique journée pour partir en balade ! J’enfile ma veste et mes bottes d’équitation, pour partir à cheval à travers bois. Je m’enfonce toujours plus loin dans la forêt. Les arbres majestueux forment un dôme avec leurs branches épaisses et robustes. Je ne vois presque plus le ciel bleu. Le paysage s’assombrit. De la brume cache le sentier. Tiens, je n’entends plus le chant des oiseaux… Mon fidèle destrier devient nerveux. Il hennit.
— Chut, calme-toi Maximus ! dis-je en lui caressant l’encolure.
Il s’agite, j’ai du mal à le contrôler. Il se cabre. Les rênes glissent entre mes doigts. Je tombe sur le sol sec. La poussière se lève. Maximus s’enfuit. Je tends le bras vers lui et crie son nom. Il ne revient pas. Je me relève, époussette mon pantalon. Je réfléchis. Je suis seule au milieu de cette forêt sombre et silencieuse. Aucun son ne parvient à mes oreilles. Cet endroit est étrange, je tremble d’angoisse.
Je décide de rebrousser chemin. Mais dans quelle direction ? Je panique. Je m’engage sur un sentier. Je ne vois pas le bout de ce tunnel noir. J’accélère le pas, je voudrais voir la lumière. Rien. Au secours ! À l’aide ! Je continue de courir, en criant ces mots.
Je heurte une racine, trébuche, tombe, m’écorche les genoux. J’aperçois quelque chose de rond et doré. Je le prends dans la main. C’est une boutonnière. L’insigne royal est gravé dessus. Le prince a dû la perdre. Mais que fait-il ici ? Dans cet endroit plongé dans les ténèbres ? Je m’engage sur ce chemin. Je découvre une botte de cavalier, puis une ceinture parée de pierres précieuses, et plus loin, un morceau d’étoffe.
Plus j’avance, plus j’ai peur. Emportée par la curiosité, je me laisse diriger par mes jambes. J’entends croasser. J’écarte une branche de buisson aux épines pointues. Je distingue un ballet de corbeaux aux cris lugubres dévorer le cadavre du prince. Je hurle d’effroi. Les corbeaux me fixent avec leurs yeux rouge rubis. Je fuis.
Ils me pourchassent. Ils se transforment en démons volants. Des hallucinations ? Je n’arrive plus à réfléchir. Je me contente de courir, le plus vite possible et le plus loin que mes jambes me le permettent. Je repère un éclat jaune et brillant. La sortie ! Je saute dans la prairie. Les démons restent coincés derrière les arbres. Ils grognent, s’écharpent. Le sang coule de leurs crocs acérés, teinte les feuilles vert émeraude.
Une voix claironnante me transmet un avertissement :
— Toi, créature écervelée qui a enfreint la loi de Dering Woods, sois maudite à jamais !
Je reprends ma course, traverse le champ, larmes aux yeux. Je me calfeutre chez moi.
Le soir venu, la tempête fait rage. Blottie au coin du feu, j’écoute les volets craquer et claquer contre les parois de pierre, la pluie fouetter les fenêtres de la demeure, la grêle ravager les platanes. Je suis effrayée. Enveloppée dans le chandail de ma défunte mère, je tente de me réconforter. Père est sorti pour protéger ses vignes. C’est peine perdue. La récolte est fichue pour cette année. Je tremble d’effroi. J’attends toute la nuit que mon père revienne. Il tarde à rentrer. Je lutte contre la fatigue. En vain, Morphée m’emporte, je m’endors profondément.
À l’aube, les rayons du soleil effleurent mes paupières, réchauffent ma peau. Je me réveille doucement. Puis un pressentiment me serre la poitrine. Je sors en trombe de la maison. Je scrute l’horizon à la recherche de mon père. J’aperçois soudain des corbeaux rassemblés au cœur des vignes. Je cours dans cette direction. Ma respiration s’arrête, mes larmes coulent sur mes joues, mon cœur se serre, je lâche un cri strident et perçant. Mon père gît dans son sang, au milieu des raisins.
Pourquoi ? J’aurais dû le retenir, j’aurais dû écouter le signal de l’esprit de la forêt. Je suis désormais seule… Mes pensées s’embrouillent. Mes réflexions se portent désormais sur mon avenir. Que vais-je devenir ? Je suis désespérée.
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