Séparation corsée
Sur le calendrier de la cuisine, j’entoure la date de l'audience de notre procédure de divorce. Je glisse le stylo sur le 5 Juillet, jour de notre vingtième anniversaire de mariage. Rien que d’y penser, cela me donne la nausée. Je raye la date.
Nous sommes le 30 mars et dans trois mois, nous signerons les papiers qui mettront fin à cette mascarade. Pour l’instant, nous vivons sous le même toit. Sans sa pension alimentaire et la moitié de la fortune qu’il m’a promis, je ne peux pas me payer un appartement, même le plus petit soit-il. Propriano est bien trop chère pour moi. Je partirai sans doute pour Tomino, au nord de la Corse, afin de m’éloigner le plus possible.
J’en ai assez de me comporter en parfaite épouse modèle, juste pour donner une bonne image à sa famille. J’envie ces jeunes dévergondés qui ne se soucient plus de rien, ni des traditions, ni des valeurs familiales. Vivement le divorce !
Pour l'instant, je suis là, en train de lui préparer un Aziminu, éminçant avec énergie l’ail et les oignons pendant que les différentes variétés de poissons marinent lentement dans l’huile d’olive et les épices. Je lui sers son plat, m’assieds en face de lui. Je tiens ma tasse de thé au citron à deux mains. Je l’observe au travers de la fumée que dégage le liquide brûlant. Je ne le supporte plus avec sa mine de premier de la classe, lunettes rondes ajustées sur son nez épaté. Je déteste sa façon de cacher sa calvitie naissante avec de longues mèches de cheveux fins et gris. Et sa manière de manger me dégoûte au plus haut point.
— Qu’y a-t-il ? dit-il en mâchouillant la bouche ouverte.
— Rien, rien.
Il a remarqué que je l’épiais. Je me lève, sors. Je dois me tenir correctement, me montrer respectueuse, afin d’obtenir l’argent. Sinon il serait bien capable de tout m’enlever.
Je viens d’un milieu social défavorisé et il m’a séduite avec son portefeuille un jour ensoleillé sur la plage de Capu Laurosu. Je me suis prise pour Julia Roberts dans Pretty Woman. Sauf que lui ne ressemble pas du tout à Richard Gere, mais plutôt à Michel Muller. Les filles m’ont demandé ce que je faisais avec un type pareil. Clairement pour son fric. Il me laissait tranquille, m’achetait ce que je voulais, gentil avec moi, il s’éprit d’un amour fou, alors que moi...
Je lui ai tout de même donné deux gosses. Je buvais de la liqueur de myrte du midi jusqu’au soir afin de me préparer à l’acte. Cadre dans une grande entreprise, il rentrait tard le soir. Mais il me fallait un certain temps pour devenir saoule. Après la naissance du deuxième, je ne voulais plus de lui. Nos relations intimes étaient plates, insipides. Aucune imagination en la matière, je m’ennuyais avec lui. Pour satisfaire mon appétit sexuel, je me suis prise un amant. Un homme beau et plus jeune. Juste pour m’amuser. Il n’avait pas de boulot, glandait du matin au soir. Une vraie larve. Rien qui pouvait me permettre de vivre à ses crochets. Alors je suis restée auprès de mon mari.
Ironie du sort, aujourd’hui c’est lui qui me trompe avec une jeune femme ! Il faut être aveugle pour aimer un type comme lui. Je soupire de lassitude. Il s’amuse à me faire poireauter jusqu’au divorce. Au moindre faux pas, je n’obtiendrai pas un rond. Sa maitresse attend un bébé. J’ai envie de l’étrangler, mais je me retiens.
Pour m’épargner ce déferlement immonde d’amour et de roucoulement, il me loge pour deux semaines dans son appartement Airbnb gratuitement. J’attends patiemment le divorce pour tout lui prendre.
Le jour de l’audience, nous l'attendons longuement. Son avocat arrive avec une heure de retard et une fâcheuse nouvelle. Mon mari a disparu avec sa mégère, emportant tout avec lui et me laissant seule avec des dettes. Je serre les poings. Je suis peut-être pauvre, mais je ne suis pas idiote. Je ne vais pas laisser passer. Oh non. Je le traquerai et me vengerai. Ici, l’explosion d’une maison est chose plus courante qu’on ne le croit.
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