Le dernier pique-nique
De Sorrento à Salerno, la côte amalfitaine est une des plus belles côtes d’Italie. C’est ce qui se dit en tout cas. Des montagnes abruptes dévalent vers la mer Tyrrhénienne, où selon Homère le héros Ulysse rencontra autrefois les Sirènes.
Dans ce paysage de carte postale, une étroite route, sinueuse et majestueuse, dessert Positano, Amalfi, Ravello, ainsi que des villages perchés comme des nids d’aigle entre mer et ciel. Repos des poètes, des artistes et des romantiques, la côte Amalfitaine enchante les touristes.
Pour moi, cette vision me serre la poitrine, car cet endroit est le lieu de rendez-vous de Matteo et sa maîtresse. Il sourit bêtement, ne se doute pas que je suis au courant de ses égarements futiles.
Nous roulons à bord de son Alfa Romeo GT anthracite. Arrêt à Sorrento pour un pique-nique copieux, parmi les oliviers, les cyprès, les orangers et les citronniers. Nous profitons d’un exceptionnel micro-climat : ciel bleu, soleil estival, air marin.
Sorrento semble se hisser pour défier les caprices de la mer, la dominer et l’admirer. Quel paysage époustouflant, le matin à l’est, le soleil surgit derrière le Vésuve, le soir à l’ouest, l’île de Capri est illuminée par les rayons du crépuscule. Intérieurement, je bouillonne comme le volcan, prête à exploser.
L’endroit parfait pour une rupture. J’installe une nappe en coton à carreaux blancs et rouges, sur les herbes hautes. Nous nous asseyons. Je ne supporte plus son sourire niais. Il ne sait pas ce qui l’attend.
Je sors la bouteille de Prosecco, le raisin, puis lui donne son panino. Matteo croque à pleines dents dans son sandwich, que j’ai préparé spécialement pour l’occasion, à base de mozzarella, de tomates séchées et d’un subtil mélange de Propofol à l’huile d’olive. Je regarde ma montre suisse Omega en or, étincelante. D’ici vingt petites minutes, il s’endormira.
Anesthésie générale garantie. Je n’aurai plus qu’à le balancer de cette falaise abrupte et mes soucis seront terminés. Je jette un œil en contrebas, admire les vagues se heurter aux rochers. Je sens une main dans mon dos me pousser vers l’avant. Je tourne la tête, effarée, vers Matteo. Figlio di puttana !
Je chute de plusieurs mètres, le vent fouette mon visage, je m’écrase sur les rochers, les yeux tournés vers le ciel azur. La lumière du soleil brille et s’intensifie pour devenir blanche. Son rire à gorge déployée parvient à mes oreilles. Je ne sens plus mon corps, seulement un liquide chaud couler sous ma tête. Ma vision se brouille. Impuissante, je me laisse engloutir par les vagues.
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