Mon frère

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Belgique romaine, mars 381

C'était un jour de renouveau, où le Printemps s'éveillait timidement. Mon frère, impulsif et téméraire, m'invita à le suivre sur son fier destrier, malgré la réticence de notre mère. Arbogast jurait que ce n'était qu'une simple promenade pour que je m'habitue à l'art de monter à cheval. Et notre père ne s'y opposa point.

Nous traversâmes champs, forêts et prairies, jusqu'à un étang vaste et majestueux. Un chêne, vigoureux et beau, était vénéré pareil à une statue de dieu. Des paysans gaulois et francs s'étaient rassemblés sous ses feuilles protectrices. Des femmes, vêtues de robes blanches, tenaient de grands couteaux ornés de motifs étranges. Leurs mélopées germaniques résonnaient, envoûtantes et surnaturelles.

Je découvrais cette étrange coutume pour la première fois. Des animaux aux âmes destinées aux dieux étaient sacrifiés puis préparés pour le festin à venir. Arbogast me pressait d'y goûter, de célébrer le rite pour honorer nos divinités ancestrales.

Mon frère me dit :

— Eudoxie, en suivant nos traditions, tu honores nos parents et les parents de nos parents et les leurs jusqu’aux premiers hommes. En suivant nos rites, les dieux nous protègent du malheur et font de nous de meilleures personnes.

Je prêtais une oreille attentive à mon grand-frère, je l’admirais beaucoup car il était aimé de tous. Son chemin était tracé par celui de notre père, bien qu'il en défiât les limites que lui imposait son manque de prudence. En effet, personne ne pouvait contester son aptitude à commander la troupe, surpassant même les attentes de notre père. En outre, Arbogast se faisait aimer aussi des Romains. Il avait plein d’amis gaulois, et passait du temps à écouter leurs rhéteurs et leurs philosophes discourir. Arbogast alliait la force et l’intelligence, comme j’aimais mon frère !

Arbogast porta une épée, une lance, un bouclier et un arc, à des hommes qui les brisèrent à l’aide de masse. Puis les armes brisées furent jetées dans le lac, en même temps que des prières à Wotan. Mon frère m’expliqua qu’il sacrifiait les armes d’ennemis vaincus pour remercier les dieux de lui avoir accordé la victoire.

Nous ne revînmes qu’au soir et ma mère entra dans une colère noire à l’égard d’Arbogast. Elle lui reprochait de m’avoir amenée à une cérémonie barbare et que cela ne convenait pas à la fille d’un comte romain. Mon frère se mura dans le silence et quitta abruptement la pièce. Anéantie par la tension et les reproches de ma mère, j’ai beaucoup pleuré ce soir-là. Heureusement Faustina, ma nourrice sut me consoler.

*

Dehors la neige recouvrait les champs nus et que les arbres et les buissons semblaient devenus blancs, le silence de la nature n’était rompu que par le vent du nord. À l’intérieur de notre villa, père recevait des amis de longue date. Des Romains et des Francs, mélangés, mais tous de riches personnes de la région. Je m’étais cachée pour les écouter parler. Ils dégustaient du vin et voulaient que père raconte sa campagne de Pannonie contre les Huns. Mais à un moment donné, ils eurent de la peine à croire leur hôte :

— Comment ça, comte Bauto, les flèches des Huns sont-elles si mortelles ? Vous portez pourtant vos cottes de mailles !

Devant tant d’incrédulité, mon père demanda à mon frère de préparer quelque chose dans la cour. Tout le monde dut revêtir son manteau pour assister à la démonstration. Sur un poteau, se trouvait un mannequin pour les exercices d’escrime. Un domestique l’avait vêtu d’une cotte de mailles, la même que portaient tous les fantassins de l’armée impériale.

— Montre à nos invités, mon fils.

Arbogast se saisit d’un arc et le montra aux convives : celui-ci était courbé aux deux extrémités, et il semblait assemblé de différents bois.

— Ceci est l’arc qu’utilisent les Huns. Regardez bien.

Arbogast plaça une flèche, tira sur la corde et visa le mannequin. Le trait fendit l’air et transperça le mannequin malgré la cotte de mailles. La démonstration fit son effet sur l’assistance. Avec cette simple flèche le monde avait irrémédiablement changé. C’est mon dernier souvenir de petite-fille en Gaule car au Printemps, père décida de nous emmener en Italie.

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