Différences 2/3

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Dans la grande case, le nouveau chef soupira. Installé sur son trône d'acajou bâtit, il grinça des dents, et comme à chaque fois qu'il était nerveux, se mit, de l'ongle, à gratter les bois de ses accotoirs.
—Sifu, allons, il n'y a pas de quoi se mettre dans cet état. Mets de l'air dans tes pensées. Père ne serait pas content de te voir ainsi.
Ledit Sifu, de ses yeux fatigués, posa sur sa grande soeur un regard dubitatif.
—Père ne serait pas content de me voir ici. Tout simplement.
Sa soeur ne répondit pas.
—Il a toujours dit que je ne pourrais pas faire ça. Que je n'étais pas assez calme. Que je n'étais pas assez patient. Que je...
Il se stoppa. Sa soeur avait placé l'index devant les lèvres, lui intimant le silence.
—Quel est cet air dans ta voix, réprima-t-elle. Si quelqu'un écoutait derrière le mûr, il pourrait croire que père était injuste. Tu es plus digne que ça. Quand tu parles de lui, prends garde à en peindre un souvenir bon et fier. Toute autre chose serait indigne de ce qu'il a fait de nous.
Et après quelques secondes de silences.
— Père t'aime, ajouta-t-elle. Père t'a toujours aimé et t'aimeras toujours. Père t'a fait par amour.
— De la tradition, compléta-t-il.
— Il suffit ! La tradition garde le coeur des hommes, la tradition..
— ... à toujours raison, compléta-t-il
Alors, le temps d'un instant, leur regard se croisèrent dans le silence.
— Quelque fois... corrigea-t-elle. Souvent...
Sifu se redressa pour quitter son siège. Il s'essuya les pieds sur la peau de guépard qui couvrait le sol et s'avança vers l'une des deux torches posés en coin de la pièce.
—J'ai horreur de cette odeur. Elle contribue probablement à mon humeur.
Sa soeur n'en cru pas un mot. Il était naturellement irascible à la première contrainte.
—Peut-être n'étions-nous pas obligés de les allumer si tôt. Le soleil n'est pas entièrement tombé, bien qu'on pourrait le croire.
Elle s'approcha de son frère.
—Demain, dit-il, Aliyah, tu m'enverras quelqu'un au marais des prêtresses. Je ne comprends pas qu'on n'ait toujours pas reçu de nouvelles tiges pour nos lampes.
Et, s'exprimant ainsi, il observait dans un panier à l'angle plusieurs lampe à huile empilés les unes sur les autres. Il sera le poing et se mit à faire les cents pas.
—Tout ça m'énerve tant ! Je dois m'occuper d'un tas de problèmes subites, écouter les villageois se plaindre de futilités, et en plus, je dois aussi gérer ces maudites femmes ?
Dans son dos, Aliyah caressait, cajolait et choyait de ses doigts l'acajou du grand siège.
— Il ne fait pas longtemps que la succession a été faite. C'est normal. Il va falloir que tu retisses des liens avec la doyenne. 
—C'eut été bien que tu puisses aider, grogna-t-il en se retournant.
Aliyah senti son coeur se resserrer, meurtri.
—Mon frère, je t'aime d'amour, gémit-elle, et j'en prends la prêtresse pour témoin. Il dur de ta part de me dire des choses si blessantes.
Sifu observa à son expression peinée qu'elle avait vraiment été touché.
—Pardon, ma soeur. Je t'aime d'amour également et tu le sais.
D'un geste presque dramatique, Aliyah posa une main sur sa poitrine.
—J'eu préféré, moi aussi, savoir soigner les plaies et résoudre les mystères du lendemain. Mais la prêtresse m'a rejeté... La prêtresse à ses raisons et certes nul ne peut les questionner. Je demanderai donc à mère, de requérir une audience à la doyenne. Et nous irons lui porter bénédictions*. 
Sifu sentit sa poitrine s'enflammer. Il se sentit manquant d'air, étouffant. Il détestait certaine tradition et, en tant que chef du village, l'idée qu'il ne pouvait assoir son autorité totale sur une parti de la population lui paraissait insensée. S'il y avait bien des choses a changé dans le fonctionnement de ce village, le système presqu'autarcique des prêtresses était définitivement tout en haut de liste.
Quand il sortit de ses pensées sombres, Aliyah s'était approché de lui.
—Concernant ce dont nous avons parlé, il faudra faire bien attention. Cela doit paraître naturelle. Il serait peut-être même logique d'inscrire mon nom dès maintenant.
—Voyons, Aliyah, elle n'a pas encore été jugée coupable. L'enquête n'a même pas débuté.
Il constata alors l'air malheureux avec lequel sa soeur le considérait et s'adoucit.
—Je... nous en parlerons demain.
Aliyah s'approcha alors de lui et lui saisit la main entre les siennes. Elle porta cette dernière jusqu'à sa joue et la frota avec affection. Puis, elle embrassa sa main. De multiples fois. En veillant bien à ce que chaque baiser soit sonore.
—Je t'aime d'amour, mon frère.
Et puis, elle lui lâcha enfin la main avant de faire volte-face et avancer vers la sortie de la pièce.
—Où vas-tu donc ? Il n'est pas si tard.
—Il est bientôt l'heure du bain, expliqua-t-elle, pendant qu'elle glissait ses pieds dans ses sandales de bois.
Une autre tradition stupide pensa le nouveau chef. Aliyah n'avait pas à se sentir obligé. Pourtant, prendre son bain seule, plus tard, aurait fait parler sans raison dans le village.
—Que la prêtresse te garde, salua sa soeur. Je serai là tôt, demain.
Et elle traversa la toile de lin suspendu qui séparait l'entrée de la pièce principale.

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