La vie d'un livre
Il n’était pas bien grand, pas bien large non plus. Un dos un peu plié, quelques pages cornées, et une couverture qui avait vu passer plus de doigts qu’un bouton d’ascenseur. Et pourtant, il en était fier.
Car ce livre n’était pas qu’un livre.
Il pouvait faire rire aux éclats un enfant de huit ans à la lumière d’une lampe de chevet. Il pouvait faire pleurer une vieille dame qui, en le refermant, murmurait : "C’était beau." Il pouvait provoquer des disputes, des débats passionnés à la table d’un club de lecture, ou au contraire rassembler des solitudes autour d’un même chapitre.
Parfois, il agaçait. "Quelle fin ridicule !" disait-on de lui. Parfois, on l’oubliait sur une étagère pendant des années. Il attendait. Patient. Car il savait que son heure reviendrait.
Il contenait des mondes, des milliers. Des royaumes enchantés, des villes futuristes, des ruelles sombres où l’on suivait un détective au trench-coat froissé. Il avait été roi, sorcière, tueur, amoureux transi. Il avait vécu mille vies et aucune à la fois.
On l’appelait "roman", "thriller", "poésie", "journal intime", ou simplement "livre". Mais lui, il savait qu’il était bien plus que ça. Il était évasion, refuge, miroir, parfois blessure.
Et même lorsqu’on le laissait ouvert, face contre table, comme on abandonne un rêve au matin, il ne disait rien. Il gardait ses mots pour le prochain lecteur.
Car un livre ne meurt jamais vraiment. Il attend. Il écoute. Il espère.
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