Chapitre 1 : Au commencement

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J'aurais aimée connaître l'Avant. Je crois que j’aurais même préféré vivre Avant. Même si cela veut dire que ma vie aurait été bien plus courte mais j'aurais connu la liberté.

Tout le monde dit que nous avons eu beaucoup de chance et qu'il nous faut tirer une bonne leçon de tout ça. Et pour être sûr de ne pas reproduire ces erreurs, il est donc logique de supprimer tout ce qui a créé le chaos, non ? Pour que, dans l'Après, rien de tout ça ne puisse se reproduire. Jamais.

Mais je ne peux m'empêcher d'être rongée par la curiosité. C'est comme une soif que je ne réussis jamais à étancher. Maman dit que tout ça est interdit et ne m'apportera rien de bon, mais elle ne me dénonce pas. Je crois que sa peur de me dénoncer est plus forte que sa peur de me voir attirée irrésistiblement par l'Avant. Parfois, je me demande s'il y a quelque chose que ma mère ne craint pas. Papa, heureusement, ne sait rien, il me consignerait dans ma chambre à vie si seulement il soupçonnait cette passion que j'entretiens secrètement. Il me ferait peut-être même bannir. Ce qui est sûr, c'est qu'il serait terriblement en colère contre moi, encore plus qu'il ne l'est déjà.

Grand-Ma me comprend elle. Cela fait des années que je me nourris des histoires qu'elle me raconte. Déjà lorsque j'étais petite, avant d'aller me coucher, j'attendais avec impatience ce moment où Grand-Ma me racontait une histoire. Mais pas n'importe laquelle, une histoire de l'Avant, tirée du journal que sa famille s'était transmis de génération en génération. Écris par un lointain aïeul qui avait vécu Avant et qui avait survécu surtout. Répertoriant et racontant tous ses souvenirs, afin de ne pas oublier ce qui avait constitué l'Avant, et par dessus-tout ce qu'avait été son existence dans l'Avant. C'était un Historien, m'avait un jour expliqué Grand-Ma, même s'il n'existe pas d'équivalent dans l'Après selon elle. Son métier était de raconter le passé et il le faisait diablement bien à dire vrai.

Ces histoires avaient bercé mon enfance, nourris mes rêves et mon imagination. Ainsi, mon désir de découvrir l'Avant, de tout connaître de ce monde qui avait existé bien avant ma naissance ne s'était alors plus jamais tarit.

Grand-Ma m'avait transmis le journal car elle était, d'après elle, bien assez vieille pour me le donner et moi, bien assez vieille pour le recevoir. Elle me l'avait confié pour mes dix années. Il est vrai que cela faisait plusieurs années que sa vue ne lui permettait de toute façon plus de lire quoi que ce soit. Cet objet de l'Avant avait donc pour moi un lien particulier et malgré les nombreux objets, livres, carnets et cartes que je collectais sur l'Avant, celui-ci garderait toujours une place de choix auprès de moi. Je ne le feuilletais plus que pour sentir le contact du papier sous mes doigts car je l'avais lu de si nombreuses fois au cours de ces années que j'en connaissais désormais chaque mots, chaque croquis ou chaque dessins. Il faisait parti de moi. C'était d'ailleurs le seul que je prenais le risque de garder à la maison. Les autres étaient tous dissimulés dans une cachette dont moi seul connaissait l'existence.

C'est Grand-Ma également qui m'a donné mon premier objet de l'Avant lorsque j'avais huit années. Les gens d'Avant l'utilisaient pour capturer des images. Des moments, des paysages, des portraits de façon instantanée et totalement identiques à la réalité, quand ils le souhaitaient. Grand-Ma m'a dit qu'ils appelaient ça un appareil photo. Vous imaginez ? Et ils avaient des tonnes d'objets comme celui-là. Des milliers d'objets électriques. Mais ça, c'était avant la catastrophe. Par la suite l'électricité a totalement disparu de notre monde et le chaos que cela a entraîné a fait disparaître bien plus que l’électricité.

Je ne serais pas capable d'expliquer pourquoi l'Avant m'attire autant, je sais pourtant que notre monde n'est plus le même. Je sais aussi que les Anciens interdisent de posséder la plupart des objets d'Avant, ils ont même édicté une loi à ce propos avec la liste des objets interdits et lorsque l'on découvre un objet dont on a un doute, la règle veut que l'on remette l'objet en question au gouverneur ou à ses hommes. Évitant avec un peu de chance une punition sévère dans le meilleur des cas. Après tout, le gouverneur représente la voix et la loi des Anciens dans chaque communauté. Il commande, on obéit.

On ne voit que très rarement les Anciens, ils se déplacent de communauté en communauté sans jamais s'arrêter plus de quelques jours au même endroit. Certains disent que c'est parce qu'ils ont peur de rester au même endroit, d'autres que les communautés sont de plus en plus nombreuses et les Anciens mettraient une année complète pour en faire le tour. La plupart ne disent rien car ils ne pensent même pas, moi je suis persuadée que c'est autre chose, en tout cas pas seulement la peur de se faire voler leur place et le pouvoir qui va avec. Après tout, ils délèguent déjà presque tout aux gouverneurs, c'est eux qui dirigent les communautés. Et ici dans notre communauté, il ne s'en prive pas. Je le sais parce qu'on le connaît bien à la maison, il habite la même petite rue que nous depuis toujours. Il était l'ami de papa depuis l'enfance et notre médecin avant de devenir le gouverneur. Il m'a mis au monde, la semaine suivante les Anciens l'ont désigné gouverneur et son prédécesseur a été banni. Cadell Callaigh est alors devenu le gouverneur Callaigh. Et tout a changé.

Après la catastrophe, lorsque le monde s'est relevé péniblement, les Anciens ont alors pris la tête de notre monde, cela s'est fait naturellement. Ils étaient ceux qui proposaient des solutions immédiates à notre survie, refuser une telle aide revenait à se condamner soi-même, créant là où cela était encore possible des communautés. Ils sont à l'origine de l'Après, de ce monde qui a survécu à l'Avant. C'est à partir de ce moment qu'une nouvelle ère s'est imposée.

Aujourd'hui nous sommes en 216 Après, dans notre deuxième cycle. Et lorsque le troisième cycle débutera, j'entamerais ma seizième année. Et je perdrais le peu de liberté qu'il me reste. Car dans deux minas, je me marierais.

C'est ainsi que les Anciens l'ont décidé. Chaque année, ils président la Cérémonie. Cinq jours de « fêtes » à la fin de l'année, une fois les quatre cycles et donc les douze minas qui les constituent écoulés, les réjouissances commencent. Dans chacune des communautés, les Anciens ou un de leurs représentants attribuent un mari à toutes les petites filles ayant vu le jour dans l'année écoulée. Son futur époux est sélectionné parmi tous les garçons dont l'âge se situe entre leur deuxième et leur troisième année. Ils se marient alors lorsque la jeune fille atteint sa seizième année, le jeune homme se trouve alors entre sa dix-huitième et sa dix-neuvième année. Par ce lien, les Anciens contrôlent nos vies et celle de nos familles. L'année de ma naissance, mon destin était déjà scellé.

Un nouveau monde, de nouvelles règles, de nouvelles lois pour que l'Après soit préservé de l'Avant. Dans moins de deux minas, je rentrerais dans ma seizième année, je devrais alors lier ma vie à celle de quelqu'un je ne connais pas et que je n'ai jamais vu. Je devrais épouser le garçon que l'on m'a choisi à ma naissance : Kay, le fils du gouverneur Callaigh.

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