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Un de ses anciens prés, dans lequel l’herbe reste verte en plein été, longe le Rouzoul, un ruisseau jamais à sec. Au débouché du coteau, trop loin pour avoir été rectifié par le remembrement, deux coudes restent bordés de plusieurs énormes saules têtards. Ils avaient dégénéré. Ce pré avait été acheté par Jeannot. Il s’était mis d’accord avec lui pour exploiter ces trois arbres. Il avait son idée !

Enfant, dans la maison la plus sordide, au bout du hameau, vivaient une femme âgée et son fils, Dédé, un simplet, souvent moqué par les gamins, à la méchanceté non bridée. Il aidait à de menus travaux contre une petite pièce. Malgré son idiotie, il tressait des paniers en osier magnifiques, qu’il vendait également contre quelques monnaies. André, sans le montrer, avait toujours admiré ses productions. Quand il avait appris que Dédé était le diminutif d’André, il s’était pris d’une affection secrète. Son idée était de faire d’aussi beaux objets que ceux de Dédé, autrefois.

Il avait redressé les têtards, avait consulté de vieux ouvrages à la bibliothèque de Bramont. Dans une librairie de livres anciens, à Montaubourg, il avait déniché son bonheur : un manuel des années trente expliquant l’art de la vannerie, décrivant toutes les techniques, agrémenté de nombreux dessins. Il l’avait lu entièrement, soir après soir, captivé par l’incroyable variété des possibilités. On pouvait tout faire, des sièges, des portes-ombrelle, même des gouttières pour membres fracturés !

Dans le bois à côté, il avait trouvé les branches de châtaigniers et de noisetiers pour l’ossature. Il s’était confectionné un fendoir. Il était prêt.

Bien qu’habile de ses mains, il avait tâtonné des heures avant de comprendre l’esprit de l’osier. Il avait brulé beaucoup de ratages dans son poêle, mais progressivement il était arrivé à un résultat honorable. Les paniers, les couffins, les corbeilles, les hottes étaient de belle qualité, peut-être pas avec la finesse de ceux du Dédé, dans sa mémoire. Il aimait façonner ces brindilles souples, les tresser habilement. Il se mettait à l’entrée de sa cave, sous le bolet*, et passait de longs moments à courber les rameaux. Quand ses doigts travaillaient, il devait les contrôler, penser à la fin du brin, prendre le suivant. Son esprit se reposait, sans rien qui lui trottait dans la tête : c’était des vacances !

Il était fier de sa production, mais, assez rapidement, des dizaines d’objets encombrèrent sa cave. Il en avait donné, faisant plaisir, car, bâtis à l’ancienne, ils dureraient des années.

Un dimanche d’été, il en avait rempli sa voiture et était allé à une fête artisanale dans une commune à côté. Il avait trouvé une place, étalé ses paniers et attendu. Tout le monde s’exclamait sur ses œuvres, mais il en vendit très peu : ils étaient trop gros, trop encombrants pour les minuscules appartements de ces citadins. Un journaliste régional prit de lui une photo qu’il put voir quelques jours après, avec son nom et son adresse. Une petite clientèle locale se mit en place, heureuse de retrouver ces vastes ustensiles si commodes pour tout ce qui se ramasse. Rien de mieux pour les champignons, les fruits.

Il expérimenta des formes complexes, pour la difficulté de la conception et de la réalisation. Cela l’avait bien occupé, mais avoir les mains dans l’eau froide l’hiver devenait pénible. Ses battoirs avaient beaucoup travaillé, enduré. Des rhumatismes dans les doigts commençaient à le faire souffrir. Sans s’en rendre compte, il abandonna, liquida les dernières corbeilles.

Quand il sort de chez lui, il aperçoit toujours les anciennes mangeoires à poule, ces longues bassines basses en galva, recyclées en auge de trempage. Des tiges croupissent dedans depuis des années. Il se refuse de le vider, car cela serait reconnaitre le renoncement à cette activité. Déjà que le potager et le verger partent un peu à l’abandon…

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