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Le printemps dernier, quand Stéphane trouva la maison fermée, il fut étonné. Il fit le tour de l’écart, poussa jusqu’au jardin. Une impression d’abandon le prit à la gorge. Si André était mort… Personne ne le connaissait ici. Personne ne l’aurait prévenu. Il n’avait jamais pensé à cette possibilité.

La voiture était là, mais ça ne voulait rien dire. Aucun courrier ne dépassait de la boite. André avait dû partir quelques jours, se rassura-t-il.

Il repartit, essayant de trouver quelqu’un qui aurait pu le renseigner. Il avait aperçu en arrivant un tracteur en train de passer les disques. Il courut derrière, mais il filait dans l’autre sens. Il descendit dans le hameau, sous la butte. Il n’y avait personne. Il toqua aux maisons qui semblaient habitées, les volets ouverts. Personne ne répondait. Comment un pays pouvait-il être aussi désert ?

Il s’assit sur le banc, à côté du monument aux morts. Il alluma une cigarette, entendant la désapprobation absente d’André : « Tu devrais arrêter, ce n’est pas bon et ça coute cher ! ». Ils avaient fini par se tutoyer, au bout de plusieurs années.

Un peu avant midi, enfin, il vit arriver une vieille femme, revenant de son potager avec son panier et ses outils. « André ? Ah, oui, André ! Le pauvre, il a perdu la tête, très vite. Il est en maison, à Montaubourg ». Impossible de savoir dans quel foyer. Elle continuait, heureuse de parler. « André, c’est un solitaire, il n’a pas vraiment d’amis. Il est respecté, dame, mais il n’est pas très liant. »

Stéphane parvint à se défaire de son informatrice et de ses litanies. Il dut attendre l’ouverture de la poste de Montaubourg pour consulter l’annuaire. Il y avait cinq établissements pour personnes âgées. Il passa quand même une heure en appels téléphoniques avant de repérer, enfin, le centre où se trouvait André.

Le cœur serré, il remonta en voiture pour faire les quelques kilomètres le séparant de cette adresse. À l’accueil, il dut dire qui il était, pourquoi il désirait voir André : pire qu’une visite en prison ! Tout ça pour que la personne lui dise : « De toute façon, il est bien parti, André. Les moments où il est là sont rares. Vous pouvez sans doute le trouver au foyer, il y est toujours. ».

Stéphane n’avait jamais pénétré dans un établissement pour vieux. Déjà, en entrant, cette odeur mélangée d’urine, de désinfectant, de chair pourrie l’avait saisi. Maintenant qu’il avançait dans le couloir, il croisait des hommes et des femmes, tassés sur une chaise ou en fauteuil, l’air perdu, parfois avec des gestes sans cesse répétés, bavant. Que de déchéances alignées ! Il se demanda « À quoi pense-t-il, pense-t-elle, en ce moment ? Quels ont été leur quotidien, leur destin ? », avant de détourner le regard de ces insupportables vestiges de vies évanouies en attente d’extinction.

Le foyer était vide. Deux hommes et deux femmes jouaient à la belote autour d’une table. Dans un coin, face à la fenêtre, il repéra la silhouette énorme d’André. Il s’approcha de lui, lui posa la main sur l’épaule. André se retourna, le reconnut et retrouva son sourire d’accueil. « Stéphane ! »

Stéphane lui dit deux mots. André ne répondit pas. Ses yeux n’étaient plus les mêmes, ils regardaient tellement loin. Stéphane se tut, anéanti. La seule personne qui lui montrait de l’intérêt, pour laquelle il avait de l’affection, était absente, tout en étant présente. Chaque fois qu’André tournait la tête vers lui, il répétait : « Stéphane ! », comme s’il venait d’arriver. André était là, mais dans son monde, ses souvenirs passés, car il marmonnait des bribes de ce qui se déroulait dans son esprit, avant de s’assoupir.

C’était trop dur. Stéphane se leva, fit quelques pas, revint. Il embrassa André qui ne réagit pas. La première personne qu’il embrassait, depuis sa mère sur son lit de mort. Quelle atrocité ! Ses yeux étaient mouillés. Il venait de perdre son ancrage.

À l’accueil, il laissa son nom, son adresse, son numéro de téléphone, expliquant qu’il était la seule famille d’André, qu’il fallait le prévenir si… La femme lui posa sa main sur la sienne, lui disant que c’était bien noté. Combien de personnes étaient repassées devant son comptoir, effondrées !

Stéphane ne revint pas voir André. Il attend le dernier adieu.

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