Chapitre 2 - Blanc

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— Maîtresse Helen, je suppose ?

Son ton franc, clair, ne laisse aucune place au doute. Oui, lui n’est pas là par hasard. Mais cela n’est pas suffisant.

— Tout dépend de vos intentions, monsieur.

Qui donc a décidé qu’il fallait poser cette question aux gens que l’on n’a jamais vu ? Chaque fois c’est comme si la porte s’ouvrait sur un marchand ambulant. Mais s’il y a bien une chose qui me rassure, c’est que ceux qui viennent vous tuer ne vous posent pas de questions. Du moins pas avant d’avoir échoué. Ce qui est donc plutôt bon signe. À moins qu’il ne soit l’un de ces assassins repentis qui cherchent à se rapprocher de leur cible pour mieux l’égorger plus tard.

— Qu’est-ce que vous en penseriez si je venais vous vendre des fenêtres ?

— Je vous avoue que pour une fois, je ne dirais pas non. Mais au point où j’en suis, que ce soit la lumière du soleil ou celle de l’au-delà, peu m’importe.

Dehors, seule une lueur brunâtre parvient à se glisser dans l’encadrement de la porte. La silhouette qui s’y découpe n’est pas immense, au contraire, elle paraît presque rachitique, négligeable. Et pourtant son ombre échappe à mon regard. Cet homme, d’après sa voix, pourrait être n’importe qui. Et la lumière ne m’offre aucun point de repère suffisant pour trancher entre une situation favorable ou défavorable. Pas d’éclat métallique, pas de reflet, ni lame ni clef.

Une personne sensée, donc. Une personne qui a compris que rien d’aussi peu subtil n’aurait pu me retenir aussi longtemps. Et, je l’espère, une personne plus que compétente.

— Je crains, dit-il en s’enfonçant un peu plus dans mon obscurité, les yeux brillant d’une douce lueur, preuve d’une analyse en profondeur du problème, que vous ayez dû faire face à un très puissant mage. Ce sort a été exécuté de manière presque parfaite… Je vais avoir besoin de toutes les informations que vous possédez sur lui pour le défaire.

Le sourire qui commençait à étirer mes lèvres se transforme alors en un rictus douloureux. Ce souvenir, j’aurais préféré l’effacer, ne jamais le revoir, mais il hante mes nuits, mes jours, il est partout dans l’obscurité, dans le silence. Inoubliable.

— Ezekiel. C’est cet imbécile d’Ezekiel, j’en suis sûre. Même à moitié inconsciente, je reconnaîtrais sa voix, sa manière de faire à des kilomètres. C’est bien le seul qui aurait été capable de me mettre en difficulté, ça doit être son sortilège préféré, celui de Grimlock. Il faut bien avouer que cette magie lui ressemble…

— Je préférerais ne jamais avoir à lui faire face dans la réalité, son sort est presque parfait.

— C’est bien pour ça qu’il l’aime tant. Selon la rumeur, lui seul est capable de le sceller en ne laissant qu’une ouverture minuscule. Il ne me reste plus qu’à espérer que vous valez mieux que lui et que vous n’allez pas vous casser les dents dessus.

Je l’entends soupirer longuement. D’un geste expert, du moins de ce que j’en vois, il sort d’un sac qu avait jusque-là échappé à ma vue tout un arsenal magique, des fioles, des cristaux, de la craie, un certain nombre de bougies et il commence à gribouiller quelque chose au sol tout en marmonnant une vieille formule elfique. Un pentacle. Et la langue de la magie. Au moins je ne suis pas tombée sur un novice. Il ne me reste plus qu’à me laisser faire, alors. Plus qu’à fermer les yeux, immobile et à attendre, à écouter ces sons, à sentir cette présence. À se souvenir du passé, à travers cette langue chantante, toute de voyelles et de sifflements, doucement articulée autour de ses interminables mots. Il étudie le sort, sans aucun doute. Il l’inspecte, avec la délicatesse d’un horloger, à la recherche d’une faille dans l’écriture complexe de ce sortilège d’enfermement. Conséquence attendue, mes chaînes se mettent légèrement à chauffer et je ne peux dissimuler mon sourire. Le bonheur d’un peu de chaleur dans cette immense tour glacée me ramène loin dans les histoires que ma mémoire a conservées jusque-là, jusque sur les rives de la Rugissante.

Il faisait bon, ce jour-là. Le soir venait à peine de tomber, le ciel était habillé de crépuscule et se reflétait sur les galets, sur l’eau qui courait inlassablement devant nous. Nous n’avions pas encore allumé le feu ni commencé à penser à la soirée lorsque l’ennemi a pris en otage notre espion. Nous n’avions pas prévu qu’il tomberait entre leurs mains. Pas ce jour-là. Nous n’avions pas prévu qu’il se retournerait contre nous. Nous ne nous attendions pas à devoir nous séparer pour fuir les assauts incessants de ces soldats infatigables. Et dans le chaos de cette soirée-là, j’ai commis une erreur. J’ai été naïve. Et je suis tombée dans leur piège avant que le jour n’ait laissé place à la nuit.

La chaleur laisse soudain place à la morsure glaciale du métal et un claquement sec me sort de mes pensées. Les chaînes se sont détendues, ma chair ne fait plus partie que de mon corps et je peux enfin respirer librement.

— J’ai fait ma part du travail. À vous de faire la vôtre.

Il faut bien dire qu’il a raison. Quelle opinion va-t-il avoir de moi si je reste là, à pendre simplement et à attendre comme une princesse en détresse ? Je suis Helen Mithra, la Grise. Seul un dragon est capable de me retenir et son sort vient tout juste d’être brisé. Il est donc temps de me mettre en marche.

Commençons par le commencement. D’un geste du bras, je brise le bracelet qui retenait mon poignet au mur et le porte à hauteur de mon visage. Dans la semi-pénombre, je ne vois qu’une trace continue, noire, mais aucune rupture à la surface de ma peau. Tant mieux, j’en serais débarrassée au plus vite. Je répète donc l’opération pour chacun de ces morceaux de fer qui me retenaient jusque-là et retombe avec légèreté sur le sol. Je distingue clairement la silhouette qui se précipite pour m’empêcher de tomber, mais je l’arrête d’un geste. Certes, mes jambes ont faibli, mais je ne suis pas diminuée à ce point. Et tout ira vite mieux s’il a ne serait-ce qu’une goutte de ce qu’il me faut.

— Vous auriez…

— De l’Eau d’Argent ? Oui, ma sœur m’a suffisamment répété qu’il fallait que j’en prenne…

Je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils. Ma captivité n’aurait donc pas duré si longtemps ? Il existe des gens qui se souviennent des propriétés de l’Eau d’Argent sur les gens de mon espèce ? Si c’est le cas, alors peut-être que mon pessimisme n’est pas fondé.

J’attrape au vol la fiole qu’il me lance, comme s’il partait du principe que, par nature, je n’aurais pas pu la laisser tomber. Ce n’est pas loin d’être vrai, certes, mais si elle m’avait échappé… Je préfère ne pas y penser. Le bouchon saute et j’avale d’une traite son contenu. Elle n’a aucun goût, aucune texture, ni couleur, ni odeur. Elle n’a d’eau que le nom, parce qu’elle se déplace librement dans l’espace sans la moindre difficulté. Ce n’est qu’un objet sans intérêt pour la plupart des gens. Du moins, ça l’était. Pour moi, c’est un moyen de me remettre en état de marche. Je fais rouler mes muscles, bouger mes épaules, tourner mes articulations, et une fois la mécanique de mon corps vérifiée, je suis prête à partir.

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