Le jour où le ciel a changé

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C’était il y a vingt-cinq ans. J’avais onze ans. Ce jour-là, je quittais tout ce que je connaissais : ma maison, mes amis, mes repères, mes odeurs, mes mots. Je partais rejoindre ma mère en Belgique. L’aéroport reste flou dans ma mémoire, mais les visages sont nets. Ils étaient là pour me dire au revoir. Certains pleuraient, d’autres souriaient pour me donner du courage. Moi, j’étais entre les deux. Triste de partir, heureuse de la retrouver. Une émotion étrange, comme un fil tendu entre deux mondes.

Ils m’avaient dit qu’ils regarderaient l’avion décoller derrière les grillages. Alors, une fois installée, j’ai collé mon front contre le hublot. J’ai cherché leurs silhouettes, scruté chaque recoin. Mais je n’ai vu personne. Juste le tarmac, les lumières, et ce ciel familier que je regardais pour la dernière fois depuis chez moi. Dans neuf heures, il ne serait plus jamais le même.

À côté de moi, mon beau-père. Il essayait d’être gentil, je crois. Mais il ne savait pas comment. Il ne me parlait pas, ne me regardait pas vraiment. Il était là, mais absent dans tout le reste. Un homme chargé de m’accompagner, pas de me comprendre. Je ne lui en voulais pas, mais je ne me sentais pas en sécurité. J’étais mal à l’aise, enfermée dans ce siège trop grand, dans ce silence trop lourd. Seule, même accompagnée.

Quand l’avion a décollé, mes oreilles ont explosé. Une douleur vive, incompréhensible. Je ne savais pas quoi faire. Je n’ai rien demandé. Je n’ai rien dit. Je me suis recroquevillée, j’ai pleuré en silence.

Le vol était direct, Varadero–Amsterdam. Mais l’arrivée n’a rien eu de simple. Le ciel était gris, l’air glacial. À l’aéroport, je me suis sentie minuscule. J’ai posé le pied sur le tapis roulant, j’ai failli tomber. Le cœur battant, j’ai refusé de monter sur le suivant. Je marchais à côté, les jambes tremblantes, le ventre noué, ma petite valise dans la main. Mon beau-père avançait devant moi, toujours silencieux. Je le suivais, sans me sentir protégée. Perdue au milieu de tout.

Et puis, au bout du couloir, je l’ai vue. Ma mère. Elle était là. Les sanglots sont venus, profonds, incontrôlables. Elle m’a serrée fort, comme pour recoller les morceaux. Je ne voulais plus la lâcher. Dans ses bras, je retrouvais un peu de chaleur, un peu d’elle, un peu de moi.

Mais le voyage n’était pas terminé. Il fallait encore rouler jusqu’à Bruxelles. Trop long. J’étais épuisée, vidée, le corps en vrac. Le mal de transport me retournait l’estomac. J’avais mal aux oreilles, à la tête, j’avais froid, faim, soif. Je ne voulais plus parler. Je ne pouvais plus penser. Allongée sur la banquette arrière, la tête posée sur ses genoux, elle me caressait doucement les cheveux. On ne disait rien. Mais tout était là.

Ce jour-là, j’ai compris que l’exil ne commence pas dans l’avion. Il commence quand on arrive, quand rien ne ressemble à ce qu’on connaît, quand il faut tout réapprendre. Mais dans cette voiture, sur ses genoux, j’ai aussi compris que je n’étais pas seule.

Sayari

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