Chapitre 11 - Académie Purificatrice

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Gorys guetta la moindre occasion pour fuir lors du trajet. Suite à sa capture, les deux mercenaires l’avaient retenu le temps qu’un trinôme de combattants l’arrête. Le Haut Conseil avait d’ores et déjà décidé de son sort : l’Académie. Autant dire qu'il préférait la mort. Il n'y avait pas échappé pour s'y faire laver le cerveau de force vingt ans plus tard.

Mais l'occasion de s'enfuir n'était jamais venue. Ni avec les chasseurs, ni avec les trois soldats qui l'avaient encadré jour et nuit jusqu'à leur arrivée dans les eaux marécageuses qui bordaient l'académie. Alors le voici, à l'orée de la mangrove. La visibilité nulle lui confèrerait un camouflage idéal. Mais le qui-vive des militaires autour de lui suggérait un danger extérieur.

Gorys se questionna un moment sur les potentiels périls, en dehors de s'égarer dans ces marais salants. Cette éventualité lui restait préférable à l'oubli de sa vie. Encore plus s'il dénonçait ses confrères pirates avant de devenir l'ombre de lui-même. Ironie, le danger se jeta sur eux.

Le hors-la-loi, habitué des requins, affronta son premier crocodile. Ils ne virent le reptile qu'au dernier instant, camouflé par le brouillard de vase et la pénombre des racines de palétuviers. Les quatre combattants esquivèrent de justesse les mâchoires puissantes et vives. Le prédateur s'éloigna, sa robe sombre se mêlait à l'eau ambiante. Le trinôme se forma de nouveau autour de lui, de façon à avoir une vision à trois cent soixante degrés. Loin de renoncer, il revint à la charge par leur flanc droit.

Gorys jura, tira sur ses menottes malgré la main qui tenait toujours son bras. Il ne pouvait même pas se défendre. Le soldat n'eut que le temps de brandir son trident sur lequel le crocodile s'empala seul dans un gargouillement sanguinolent. Le combattant posa son pied sur la mâchoire supérieure de l’animal et poussa afin de libérer son arme de sa gorge désormais transpercée. Le reptile nagea avec maladresse, secoua sa tête dans le vain espoir de dégager ses voies respiratoires et chasser la douleur. Il s’échoua dans la vase, un nuage verdâtre jeta un voile pudique sur la mort de ce redoutable prédateur. Nécrophages, charognards et opportunistes ne tarderaient pas à festoyer.

Son cœur ralentit tandis que l’adrénaline quittait ses veines. Le trinôme ne traîna pas plus et empressa sa nage jusqu’à l’institut de formation. La poitrine du pirate se compressa dans un étau impitoyable. Il voulait s’ébattre, résister. Mais il n’y avait que la mort qui l’attendait dans ces marécages tant qu’il serait menotté et désarmé.

L’académie se nichait entre les racines des arbres aquatiques qui bordaient toue la mangrove. Entrelacs de bois humide suspendu à quelques mètres du fond, la silhouette menaçante de l’Académie projetait son ombre tel le super prédateur tapi dans ces eaux troubles. Les portes renforcées de métal s’ouvrirent à leur approche. Au sein d’une cour carrée, le directeur de l’école militaire flanqué d’un représentant de Falside. Gorys aurait été bien surpris qu’un combattant dirige seul les futures troupes du Haut Conseil. Le dédain affiché du homard diffusa un relent de haine dans sa poitrine. Son regard orageux le fusilla à l'instant même où il ouvrit sa bouche venimeuse. Un des plus solides remparts de la Surface, garant de sa force armée. Il souhaita qu'il fût un parfait imbécile imbu de son statut, à son grand malheur il ne commit pas l'erreur de le joindre aux jeunes recrues. Le double battant claqua sèchement dans son dos. Les combattants le traînèrent à travers les niveaux inférieurs du bâtiment jusqu'à une salle sans fenêtres ni lumière. Un soldat passa dans son dos afin de déverrouiller ses menottes. Gorys se concentra, guetta et frappa dès que la pression se relâcha sur ses poignets. Son coude s'enfonça dans les côtes du militaire à sa gauche, promesse d'un superbe hématome. Hors de question qu'il entra dans ces oubliettes ! Sa résistance se fada, aussi fugace que vaine, lorsque le manche d'un trident s'abattit sur son crâne.

***

« Aïe ! Pourquoi tu ne me laisses jamais gagner !

— Parce que ce n'est pas un jeu. »

Gorys, alors âgé d'une douzaine d'années, se frotta la tête où poussait un somptueux panache sombre. Il arborait une moue boudeuse et tentait d'amadouer sa mère d'un œil larmoyant. Rien ne changea l'exigeant regard de l'aquaïenne. En cavale depuis l'apparition des attributs de poisson combattant chez son fils, elle ne trouverait pas le repos tant que sa progéniture se montrerait incapable de se défendre seul. Elle effectua une série de mouvements avec son bâton d'entraînement. Loin d'égaler les gardiens de Falside, elle restait une mercenaire redoutable et comptait lui transmettre les outils pour échapper à son destin.

Dalya, raie pastenague, côtoya d'autres combattants lors de ses différents contrats. Elle ne connaissait que trop ce que ces militaires abandonnaient à leurs classes. Loin de se prétendre honorée, telles les autres familles qui enfantaient des bettas splendens, elle n'avait pas hésité un instant à ôter la vie aux voleurs d'enfants de la Surface venus frapper à sa porte. A présent, ses jours étaient comptés, le Haut Conseil ne transigerait pas un tel affront, une mirobolante rançon sur tête suffisait à ses anciens confrères pour la capturer. Morte ou vive. Alors, Gorys devait être prêt. Prêt à survivre seul à l'océan, à la Surface. La mélancolie devenait sa compagne de chaque instant à mesure que le temps défilait. Elle ne s'apitoya pas sur son sort. Pas le temps. Pas l'envie. Ces dernières semaines, avec son fils, étaient cruciales.

« Tes ennemis ne te laisseront pas gagner. Alors cesse de geindre et en garde. »

Le jeune adolescent souffla, reprit son bâton et se positionna face à sa mère malgré la douleur à sa tête.

« Oui maman. »

***

Le réveil s'accompagna d'une migraine pour le pirate. Il douta d'avoir ouvert les yeux face au noir complet de sa prison. Le silence enveloppa son cœur d’insécurités. Ils comptaient l’avoir à l’usure. Cette tactique d’isolement visait à l’affaiblir. Il se força à inspirer et expirer calmement. La panique ne prêtait pas de bons conseils. Comment rester optimiste alors que personne ne viendrait le secourir ? Seule Falside connaissait sa situation. Des larmes de désespoir affluèrent au bord de ses yeux. Des années de fugue et il perdait. Le sort le rattrapait de plein fouet.

Il essuya ses yeux d’un revers de main, fronça les sourcils et fixa le vide. S’il s’abattait maintenant, il s’avouait vaincu. Son corps entier se hérissait à l’idée de baisser si vite la tête. Il décida d’explorer son environnement. Il se redressa, ses muscles protestèrent de sa sieste sur la couche plate et rigide de sa geôle. Il joua des épaules, se massa le cou, s’étira. La douleur s’éloigna à mesure que son corps s’assouplissait. Il tendit ses bras devant lui, tâtonna jusqu’à toucher un mur. Le contact, lisse, du métal le surprit. Il s’attendait à la texture noueuse du bois. Son plan d’arracher les racines entremêlées pour se créer un passage s’envola aussitôt qu’il comprit que sa prison était renforcée. Il souffla et longea le mur jusqu’à un coin. Il n’en rencontra aucun, peu importait le temps qu’il marchait. Il remarqua alors que la paroi était incurvée. Il était dans un dôme. Il ignorait combien de tours il avait fait car il n’avait senti ni poignée, ni contour de porte. Il déglutit et tâtonna pour retrouver son lit. Il se rendit alors compte qu’il pouvait le toucher et garder une main contre le mur. Logiquement, la pièce devait faire moins de trois mètres de large. Piégé dans le noir, dans un lieu minuscule et sans relief qui ne contenait qu’une couche rigide. Que faisait donc une telle pièce dans une école ?! Il doutait qu’elle ait été créé juste pour sa petite personne. L’Académie osait-elle enfermer des adolescents récalcitrants afin de les briser grâce la solitude, la désorientation et la claustrophobie ? Il serra les poings, la gorge étreinte de rage. Si la méthode était déjà éprouvée, le pirate rendrait les armes tôt ou tard. Inutile de se bercer d’illusions. Il s’assit sur le lit de fortune, un frisson courut dans ses bras. La fraîcheur de l’eau était inhabituelle dans cette zone tropicale. On l’avait privé de son manteau alors il amena ses genoux contre son torse dans le but de conserver sa chaleur corporelle. Le peuple aquaïen serait ravi d’apprendre que le Haut Conseil torturait ses futurs soldats.

Il songea alors à Kyos. Quel sort lui réserverait-il s’ils découvraient ses sentiments à l’égard de la princesse Nalya ? Ou ses mensonges ? Ou les failles dans son endoctrinement ? Serait-il renvoyé ici pour être reformé ? Il lui souhaita la prudence bien que ses mots ne risquaient pas d’être entendus. Au moins, le son de sa voix déchira le vide oppressant qui s’enroulait autour de lui. Le pirate ferma les paupières. Son cerveau supportait mieux l’absence de lumière ainsi. La dissonance disparaissait. Il visualisa un océan lointain et inconnu qu’il explora au fil de son imagination. L’attente, le froid, l’isolement devinrent supportables.

Sa technique tint quelques heures. Le froid anesthésiait ses sensations mais il ne masqua pas longtemps sa faim. Alors qu’il chevauchait un gigantesque hippocampe dans une forêt de méduses aux formes aussi étonnantes que leurs couleurs chatoyaient, son ventre réclama bruyamment de la nourriture. Il déduisit qu’il était enfermé depuis cinq ou six heures et le désespoir revint en même temps. Il lui semblait déjà être cloîtré depuis des jours. Il poussa un soupir à fendre l’âme. Il ne parvenait pas à replonger dans ses rêveries. Il étira de nouveau son corps engourdi et fit quelques brasses prudentes pour ne pas se heurter aux murs. Un peu d’activité l’occuperait, ne serait-ce qu’une trentaine de minutes. Au bout de trois tours de lit, il se mit à chanter. Son timbre grave raisonna dans le noir, éloigna le lourd silence et l’aida à mesurer le temps qui traînait toujours plus en longueur.

Chants traditionnels, hymnes de piraterie, chansons populaires, grands classiques ; lorsqu’il eut épuisé son répertoire, la voix enrouée, il sut que vingt heures de plus s’étaient écoulées. Les muscles douloureux, il se rallongea sur la couche, vidé de toute énergie, le sommeil ne tarda pas à l’envelopper pour occuper quelques heures supplémentaires.

Un jour, deux jours, quatre, huit. Si ses comptes étaient justes. Se concentrer plus de quelques minutes sur une tâche lui était devenu impossible, ce qui étirait le temps jusqu’à l’intenable. Il avait frappé contre les murs, hurlé, sangloté, l’adrénaline incapable de repousser l’épuisement dû à la privation de nourriture prolongée. Son estomac criait famine. Il grelottait, glacé jusqu’aux os par la température ambiante que son corps ne pouvait plus contrebalancer. A plusieurs reprises, il crut entendre des pas. Il se réveillait en sursaut, persuadé qu’un éclat de lumière illuminait sa cellule. Lorsqu’il était réveillé, il parlait à voix haute la quasi-totalité du temps. Il ne se souvenait pas de la moitié de ce qu’il racontait.

Alors qu’il commençait sincèrement à croire qu’on allait le laisser mourir seul au fond de ces oubliettes, la porte s’ouvrit. Aveuglé, il filtra la lumière entre ses doigts. Il devina les contours d’un combattant qui s’accroupit. Un frottement sur le métal suivit le mouvement du bras de l’aquaïen qui ne le quittait pas du regard. Ses pupilles s’habituèrent à la luminosité tant attendue. L’adolescent face à lui ne devait pas avoir plus de quinze ans. Son regard n’était pas aussi dénué d’émotions que celui des gardiens de Falside. Il dénichait un mélange de peur et de compassion dans ses prunelles juvéniles. Il approcha, au ralenti, et attira le plateau repas sans rompre le contact visuel avec le jeune homme. Il murmura de timides remerciements, pas certain qu’ils soient entendus tant sa voix râpait dans sa gorge. Rien qu’une bouchée lui éclaircit l’esprit. Il mordilla sa lèvre inférieure, son estomac rétréci fut bien vite rempli.

« Le consul vous autorise à sortir. Il espère que la leçon est retenue et qu’il ne devra pas vous corriger à nouveau. Pouvez-vous nager ? »

Une insulte manqua de quitter ses lèvres mais la simple idée que cette porte se referma pour huit jours supplémentaires le rendit malade. Sa peau le démangeait, il avait besoin d’un moment avec des nettoyeurs. Alors, il se tut et rassembla ses forces pour suivre le betta. Il serait plus facile de résister hors d’ici.

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