Chapitre 15 - Nasse Désespérée

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Son cœur battait si fort qu’il retentissait dans ses oreilles. Sa main moite se cramponnait au manche du trident atlante. Elle courrait avec la force du désespoir. Une véritable horde de gardiens de Falside les poursuivaient.

Ils avaient eu la malchance de rencontrer un autre membre du Haut Conseil au retour du coffre-fort. Il n’avait pas attendu pour sonner l’alerte à la vue de la princesse armée. Le trio avait foncé vers la première issue visible, une fenêtre laissée ouverte dans un bureau de comptable qui n’avait pas eu le temps de réagir face à cette irruption.

Faerys peinait à suivre la cadence de sa sœur et du soldat. Ses blessures le ralentissaient. Ils s’engouffrèrent dans une galerie du rempart sud. Les sons de leurs pas raisonnèrent contre les murs, étouffèrent le roulis des vagues. Le tunnel leur parut sans fin. Un instant, ils crurent à un cul de sac.

Seul à connaître le terrain, Kyos déploya son trident. Il prévint Nalya du danger à venir. La tortue saisit le manche de son arme à deux mains, prête au choc. Elle perçut, à contre-jour, la silhouette de deux combattants en position de défense.

Le métal entrechoqué masqua tout autre son lors d’un bref instant suspendu. Nalya perdit vite la main sur le soldat aguerrit. Son hurlement se répercuta sur les parois de la galerie, l’adrénaline ne couvrait pas la douleur de sa paume transpercée par le plus grand pic du trident réglementaire des gardiens de Falside. Faerys sauta sur le dos du soldat. Il tira de toutes ses forces pour dégager sa sœur. Il saisit son poignet, la redressa, et s’élança dans le vide.

De nouveau, la princesse cria mais ce fut le nom de Kyos qu’elle appela alors qu’il ne devenait qu’un point submergé par deux sombres silhouettes. Un choc. Un bruit sec à leur percée dans la houle. Et une muraille de bulles épaisses la désorienta. Ballotée par le tourbillon, la prise de son frère disparue et le trident atlante lui échappa. La panique s’enroula autour de sa poitrine.

Lorsque le nuage de bulles se dissipa, elle scruta le fond. L’éclat du métal donna le départ d’une course effrénée pour le rattraper avant qu’il ne sombra dans les tréfonds de l’océan. La princesse occulta sa main ensanglantée. Elle regagna du terrain, la pulpe de ses doigts effleura le métal avant de le saisir. Un poids inconscient s’envola de ses épaules. Un souffle libérateur évacua le reste de l’angoisse qui l’avait tenue à la perte de l’arme. Nalya entendit alors les appels de son cadet qui la rejoignait, essoufflé. Une vague de colère l’envahit, la poussant à pointer le trident sur lui.

« Tu l’as laissé là-bas !

— Nalya, sursauta le poulpe, je croyais qu’il nous suivrait. Sincèrement. »

La jeune femme serra les dents jusqu’à ce que sa gencive proteste puis baissa sa garde. Elle était ridicule. Son frère l’avait sauvée. Le sort de Kyos la préoccupait, la rendait irrationnelle. Mais elle avouait être terrifiée de ce qui attendait le militaire capturé. Son regard se porta sur son arme. Elle négocierait sa liberté avec Falside. Il n’était plus question de dialogue, mais d’un rapport de force.

***

Dans l’intimité de sa chambre, Faerys s’appliquait à son ouvrage. De retour de leur casse à Falside, Nalya s’était empressée de lancer les préparatifs du couronnement. Elle qui repoussait la cérémonie sans cesse quelques jours plus tôt. Étonnamment, l’envie de terminer la robe, abandonnée sur son mannequin depuis des mois, lui était venue. Aussi, il s’était remis à l’œuvre et comptait l’offrir à son aînée pour son couronnement. Elle serait grandiose. La plus glorieuse souveraine atlante depuis Poséidon I. Il sourit, poursuivant l’ourlet de la traîne.

Aujourd’hui, le Haut Conseil rencontrait sa sœur après deux jours de silence. Une évidence de leur état d’urgence. Tant mieux s’il se sentait menacé, il l’était. D’autant qu’il leur laissait le temps de rechercher le tombeau du Léviathan.

En effet, Nalya dépensait tout son temps libre à la lecture des mémoires de leurs ancêtres les plus anciens pour dénicher le moindre indice. Ainsi, elle s’évitait de songer à Kyos. Elle ignorait toujours ce qu’il lui était arrivé. Comment Faerys supportait-il l'ignorance ? Elle relativisait son avis sur Sperys à l'aune des derniers évènements. Elle ne manquerait pas de questionner l’émissaire de Falside. En toute discrétion, il n’était pas nécessaire de leur donner un point faible. La rencontre aurait lieu en terrain neutre. A mi-chemin d’Atlantide et de la Surface.

Les Magnalja rejoignirent le lieu de négociation. Une vieille construction utilisée pour les sommets qui réunissaient Atlantide, Néritide et Falside autrefois. C’était au sein de ce récif aux airs de temple grec que la fabrication des tridents et armures de l’armée du Haut Conseil furent négociées. Un contrat de près de quatre mille ans. Les abysses et la surface peinaient à s’entendre depuis aussi longtemps que leur histoire était retransmise. Les souverains d’Atlantide arbitraient les échanges. Aujourd’hui, ils se rangeaient aux côtés de Néritide.

Des gardiens de Falside étaient postés autour de la structure d’éponge. Nalya adressa un signe à ses propres troupes. Elle n’était plus la princesse naïve qui croyait en la bonne foi. Venir sans escorte aurait été de l’auto-sabotage. Ses soldats n'étaient pas dressés comme les gardiens, mais la sincérité de leur patriotisme dépassait l'endoctrinement de l'Académie. Ils se déployèrent autour du duo royal qui se glissaient entre les colonnades d'éponges vers la salle rectangulaire. Rucyos en personne se tenait près de la table taillée dans la pierre et désormais couverte d'algues telles une nappe miteuse. Le Haut Conseil prenait cette crise au sérieux.

Le consul s’inclina mais ne rompit pas le contact visuel avec la princesse. Elle retint une grimace devant cette fausse démonstration de respect. Où était ce respect lorsqu’ils avaient voulu la marier de force ? Elle le dépassa, la tête haute.

« Cessons l’hypocrisie, voulez-vous ? »

Elle s’assit à l’antique place d’Atlantide à cette table. Son frère se plaça en arrière, à sa gauche. Sa droite resta libre. Elle attendit que le conseiller s’installe à son tour à la place réservée à Falside. Elle se surprit à regretter l’absence de Sperys au fauteuil de Néritide. Il aurait été un soutien précieux.

« Princes-

— Reine.

— J’ignorais que le couronnement avait eu lieu… »

La méfiance. Il prenait sa déclaration avec des pincettes. Evidemment, elle mentait, elle ne serait reine que dans quelques jours. Mais elle ne souhaitait pas lui laisser la moindre chance de l’infantiliser. Elle leva les yeux au ciel, dédaigneuse.

« Falside ne mérite pas le respect dû à une cité souveraine.

— Bien… Nous reconnaissons avoir été trop loin avec ce mariage arrangé, le Haut Conseil vous présente ses plus sincères excuses et espère mettre un terme à cette altercation dans les plus brefs délais. »

Vous m’en direz tant ! Si Atlantide s’élevait contre la Surface, elle aurait à s’inquiéter de toutes ces villes abyssales qui n’éditaient plus leur rapport quotidien ou ne distribuaient plus les coqu’à-infos. Sans compter sur les villes des fonds qui pâtissaient le plus de l’inaction du Haut Conseil envers les humains.

« Si ce n’est pas le mariage, ce sera d’autres tactiques pour mettre la main sur notre cité. Gardez-vos excuses factices.

— Vous me voyez navré que vous doutiez de notre bonne foi. Quelles sont vos revendications ?

— La refonte, pure et simple, de Falside. »

Elle asséna chaque mot afin que l’homme comprenne sa détermination. Pourtant, Rucyos souriait. Ce qui l’agaça bien qu’elle le cacha. Le consul secoua la tête comme s’il cherchait ses mots pour expliquer la vie à un enfant.

« Princesse, vous n’ignorez pas qu’il faudra l’unanimité des cités aquaïennes pour modifier le fonctionnement de notre institution. Même avec toute la volonté du monde, vous échouerez. »

Une discrète morsure sur sa lèvre inférieure trahis la contrariété de la souveraine. Elle causa un sourire paternaliste au conseiller. Ce rictus attisa le mépris de Nalya à l’égard de cet homme. Elle connaissait le Traité des Océans. Elle l’avait potassé avant de se jeter dans l’arène. Elle comprenait l’importance de cette clause à l’époque de la signature, les aquaïens du monde avaient remis leurs intérêts entre les mains de Falside. Mais ils ne s’étaient pas rendus compte qu’ils s’interdisaient, à terme, toute modification de cet accord. Une unanimité à deux, ou trois, pourquoi pas, mais les milliers de cités réparties à travers les mers… Il faudrait des années. Et le résultat resterait incertain. Elle se doutait que l’émissaire connaîtrait aussi son dossier.

« Princesse, vous êtes novice, si le pouvoir vous intéresse, vous pourriez apprendre beaucoup à Falside.

— Vous avez raison. Mais vous n’êtes pas mon premier instituteur en la matière. Cependant, je vous remercie pour cette première leçon… Voilà notre revendication : Le démantèlement, pur et simple, de Falside. Et il va de soi qu’Atlantide se retire du Traité des Océans.

— Vous ne pouvez pas…

— Bien sûr que si, le droit international ne reconnait pas l’engagement perpétuel. D’autant plus quand l’un des partis n’a jamais respecté ses engagements. »

La tortue manqua de sourire face à la grimace contrariée du crabe. Rucyos s’attendait à une négociation plus facile, il comptait sur l’inexpérience de la jeune femme. Tant pis, il avait prévu d’autres points de pression.

« Et que pensent donc vos sujets de ces volontés révolutionnaires ?

— Vous n’êtes pas souverain d’un peuple, vous ne savez pas qu’il est coutume de déclarer sa vision lors de la prise de pouvoir. Dans tous les cas, la Surface ne peut attaquer Atlantide sous ce prétexte.

— Certes. En revanche, le cambriolage de notre coffre, si. Rendez-nous le trident et vous n’aurez qu’une amende symbolique en guise de sanction. »

Quel culot ! Elle reniait le Haut Conseil et il voulait lui imposer une punition. Un rire dédaigneux lui échappa.

« En quel honneur ? Pour une sanction, il faut une soumission volontaire à une autorité. Je ne reconnais pas votre autorité.

— Alors c’est une guerre que vous désirez. Vous ne résisterez pas aux gardiens.

— La loyauté de mes soldats est plus sincère que le dressage de l’Académie.

— Vous croyez gagner avec du patriotisme ?

— Bien sûr, j’ai déjà converti l’une de vos coquilles vides. »

Voilà sa chance d’avoir discrètement des nouvelles de Kyos. Emportée dans ce bras de fer, elle avait presque oublié. Elle scruta le visage du crabe, attendant un mensonge qui ne vint jamais.

« L’unité défectueuse a été renvoyée à l’Académie.

— Il n’est que le premier d’une longue liste.

— Voyez la réalité en face, votre Altesse. Vous êtes seule. »

Le ton supérieur du crabe fit douter la princesse. Elle admettait que convaincre des cités en paix depuis plusieurs milliers d'années de faire la guerre risquait d'être une entreprise ardue. Elle baissa le regard un bref instant, le temps d'élaborer sa prochaine réponse.

« Vous croyez que les aquaïens ne se battrons pas alors que vous condamnez notre espèce à l'extinction ?

— Le danger que nous représentons est moins perceptible et immédiat que la guerre que vous leur proposez. Ils ne feront rien. »

Nalya contracta sa mâchoire. Falside ne doutait pas un instant quelle était intouchable. Malgré la désobéissance de villes abyssales telles que Néritide. Le changement de cet ordre établi demanderait plus de sacrifices qu'une vulgaire joute verbale autour d'une table. Mais Nalya manquait de temps. Les recherches sur le Léviathan stagnaient, Falside n'aurait pas besoin de plus de quelques heures pour rassembler ses troupes sur Atlantide. Gagner du temps... Elle jeta un regard à son frère. Comment avait-il réussi à suivre Sperys dans sa folle aventure de dresser les cités contre la Surface ? L'espoir devait être si mince...

La princesse décida de jouer les ingénues. Rucyos serait prompt à croire qu'il l'avait ravisée. Elle croisa les jambes et se recroquevilla légèrement, ses épaules s'affaissèrent. Ce changement de posture était imperceptible mais il n'échappa pas à l'œil aiguisé du consul.

« Certes... Nous avons peut-être encore trop à perdre...

— Vous voilà raisonnable.

— Je n'ai pas renoncé. Je vous demande quelques jours, afin que je consulte l'assistant de mes parents et établisse le meilleur compromis pour la cité. »

La méfiance, de nouveau. Rucyos plissa le regard, la jaugea, et se décida lorsqu'elle détourna brièvement le sien vers la droite. Il hocha la tête, signe qu'il acceptait de lui accorder ce délai. Rechercher conseil pour la jeunesse était montre d'une maturité. La Surface avait gagné.

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