Chapitre 22 - Vagues Fructueuses

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Alors que Nalya aidait ses troupes à distribuer les couvertures pour les rescapés de Falside, des courants violents s’élevèrent du palais. Un murmure choqué parcourut la foule tandis que la reine scrutait sa cité, ses chevaliers se rapprochèrent d’elle pour la protéger à la moindre menace. Un tentacule sombre surgit du palais, des bruits de gravas leur parvinrent en même temps. Un calmar gigantesque s’extirpa de la fosse, forcé de défoncer les arches de la cour pour recouvrer sa liberté. La jeune femme se mordit la lèvre, son frère ne lui avait pas dit que Sperys cherchait aussi le Kraken. Qui aurait deviné qu’il se terrait dans la fosse du jugement de son royaume ?

Le calmar les survola, nagea librement, son plaisir traversa l’esprit de Sperys qui lui permit de profiter. La créature d’une quarantaine de mètres du bout de son cornet jusqu’au bout de ses bras devait en faire cinquante en comptant ses deux tentacules plus longs. Il lâcha son bras, Faerys l’imita et ils rejoignirent la reine en contrebas. La bête s’éloigna à la recherche de nourriture. Faerys et Nalya échangèrent un interminable regard, la reine offrit un murmure de gratitude au nérite et serra les mains de son frère. Inutile de s’épancher devant témoins.

« Néritide a son Kraken, Atlantide réclame son Léviathan.

— Et les autres cités demanderont leur arme antique.

— Je vais lancer les fouilles des ruines de Falside. »

Sperys hocha la tête, satisfait. Il craignait que la nouvelle reine ne veuille se réserver l’usage exclusif des monstres marins. Mais Nalya ne voulait plus d’une cité dominant les autres, les villes aquaïennes se devaient de prendre en charge leur propre défense, elles n’avaient pas besoin d’un Haut Conseil déconnecté pour se réunir contre les humains. Elles n’avaient pas besoin de Falside pour éviter les guerres intestines. Elle avait conscience qu’un temps d’adaptation serait nécessaire à leur civilisation après cet énorme changement dans l’ordre millénaire de la Surface, mais la patience et l’ennemi commun leur permettrait de former une entente cordiale. Les cités devraient communiquer à nouveau entre elles. C’était toute une diplomatie à inventer.

Elle prévint son intendante qu’elle rentrait au palais pour préparer l’annonce mondiale du procès des deux derniers consuls. Elle y voyait une belle occasion de réunir les dirigeants des autres villes sous-marines. Cette annonce serait une invitation. Elle devrait organiser leur accueil chaleureux et accélérer les recherches dans le coffre de Falside. Elle espérait qu’il eut résisté au bombardement. Elle devrait attendre que chacun récupéra sa relique avant de libérer son Léviathan. Elle se glissa dans son bureau, suivie du jeune couple.

« Comment m’adresser à toutes les citées ?

— Faîtes courir l’heure de la diffusion avant, pour qu’ils se préparent tous à y assister. Les réseaux abyssaux vont répandre l’annonce dans la journée, je vais d’ailleurs rendre visite à Néritide. »

Sperys s’inquiétait du sort de sa cité après sa disparition. Falside s’en était-elle prise à elle ? Peut-être que Falside n’avait pu déporter ses griefs sur Néritide. Officiellement, la ville abyssale s’autogérait et nommait simplement un porte-parole pour les rares échanges externes.

Nalya hocha la tête mais le retint lorsqu’il se leva. Elle ne souhaitait plus être soumise aux cachotteries du nérite, bien qu’elle doutait qu’il gardait encore beaucoup de secrets maintenant.

« Dîtes-moi où se trouve le Léviathan.

— La légende raconte que ce serpent entoure notre planète, cela réduit le champ de possibilités mais il est bien sous notre nez. »

Il demanda l’accès à la tablette de la reine et tapa les coordonnées exactes sur la carte du monde avant de lui tendre. La jeune femme récupéra son outil, analysa le lieu pointé par les coordonnées et écarquilla les yeux.

« Sous les dorsales ? Tout ce temps… Comment ?

— Au hasard de mes voyages, c’est ce qui m’a donné foi dans cette révolte. La clef du Kraken était transmise de porte-parole en porte-parole, mais la clef était inutile sans sa localisation. La serrure du Léviathan arbore le sceau de votre famille, ainsi que trois trous correspondant à la taille d’un trident. Je savais où et quoi chercher. »

Nalya enregistra avec précaution les coordonnées de la serrure puis autorisa enfin le duo à quitter son bureau. Avant de sortir, Faerys se figea sur le palier et jeta un regard à sa grande sœur. Il n’était plus un Magnalja, sa place n’était plus dans ce palais. L’avait-elle un jour été ? Peu importait, ce n’était qu’un nom qu’il admettait ne pas mériter devant son parricide.

« Tu portes admirablement la couronne. Pour ce que vaut mon avis…

— … Il est important pour moi. Que comptes-tu faire une fois que tout sera terminé ? »

Le poulpe contempla la tortue, arbora un sourire espiègle qui lui rappela Sperys et haussa les épaules. Il ne voulait pas s’en inquiéter, le combat n’était pas terminé. Même si Falside était hors d’état de nuire, il s’agissait à présent de confronter directement les humains. Mais nul doute que les monstres marins les pousseraient à accepter une rencontre au sommet. Le rapport de force promettait de nombreuses victimes si la négociation échouait.

Faerys rattrapa son amant dans le couloir, un de leur bras s’enroulèrent l’un sur l’autre et se massèrent avec tendresse. La sérénité mutuelle qu’ils ressentaient leur apportait un repos bienvenu. Ils nagèrent en paix jusqu’à Néritide. Le sourire du calmar devant la cité d’épave réchauffa le cœur de Faerys. Son amant aimait vadrouiller mais sa tendresse pour sa cité d’origine ne faisait aucun doute.

Quelques nérites patrouillaient dans la rue, depuis la disparition de Sperys, ils organisaient des tours de gardes au cas où Falside enverrait ses gardiens. Le bruit assourdissant du bombardement les avaient mis en alerte bien qu’ils en ignoraient l’origine. Ils observèrent le duo approcher, ils croyaient à peine le retour de Sperys. Le calmar vint naturellement vers les autres nérites, prit des nouvelles, les rassura, leur expliqua les récents bouleversements politiques. Des exclamations de joie fusèrent à l’annonce de la destruction totale de la Surface. La garde de Néritide rompit les rangs et partirent dans toute la cité prévenir de l’excellente nouvelle.

Sperys apprécia un instant le tumulte de bonheur avant de profiter de la liesse générale pour rentrer dans son appartement. Son corps réclamait un sommeil bien mérité. Sa fatigue occultait sa faim. Son vampire des abysses se jeta sur lui dès son entrée, le faisant rire de tendresse. Il caressa sa tête, le laissa enrouler ses bras autour de lui, surpris qu’il lui avait tant manqué. Les poulpes restaient des animaux indépendants qui chassaient eux-mêmes leurs crustacés favoris. Il s’étendit dans son lit, tira Faerys avec lui et cala un bras sous sa tête. Un soupir de confort lui échappa, il appuya sa tempe contre celle de son cadet. Ce simple contact lui donnait l’impression d’une communion profonde avec son petit ami.

Il sentait également l’esprit apaisé du Kraken au fond de son cerveau, il s’était nourri et profitait de sa liberté retrouvée. Sperys clôt paisiblement ses paupières, les paysages marins explorés par la créature se superposèrent dans le vide de son esprit épuisé. Bercé de ces images et de la respiration de son amant, il trouva le sommeil sans efforts.

***

L'annonce officielle de Nalya créa un véritable tsunami au sein de la population aquaïenne. Tout le spectre de réactions possibles s'étira entre les cités abyssales et les cités continentales : outrée, indécise, surprise, joyeuse. Mais toutes les villes acceptèrent l'invitation de Nalya au procès de Rucyos qui eut lieu deux semaines après la destruction de Falside.

Ce délai permit à la jeune femme d'organiser l'accueil de ces milliers d'ambassadeurs de cités parfois très lointaines, un défi de taille car la population d'Atlantide tripla à leur arrivée. Toutes les chambres libres du palais, et de la ville, étaient mises à profit. Les atlantes construirent également un tout nouveau quartier pour que tout le monde soit accueilli dans un confort égal et décent. Les rescapés de la Surface vivaient toujours à l'extérieur de la cité, en attente de l'issue de ce jugement. Comme s'il s'agissait du signal de leur liberté.

Nalya n'avait jamais fait autant de courbettes en l'espace de quelques jours, elle avait rencontré tant de monde qu'elle peinait à retenir les noms et visages de chacun. A son grand damne d'ailleurs car son éducation lui imposait de s'en souvenir par respect. Ils étaient ses invités, les représentants de leur nation et les jurées de ce procès. La délibération se ferait à la majorité et Nalya étant dans la partie de l'accusation avec Sperys, ils ne pourraient voter. Il leur fallait convaincre le plus de cités possible, que cette condamnation soit légitime.

La reine s'étonna de voir l'aisance de Sperys en société, il charmait aisément les ambassadeurs. Ses nombreux voyages lui offraient un atout pour leur prouver qu'il se souciait de tous les aquaïens. De son côté, Nalya subissait la méfiance, notamment des cités abyssales, elle s'en doutait mais se montrait respectueuse. Elle espérait gagner le leur après cet intense bouleversement. Pour l’occasion, elle avait revêtu ses voluptueuses jupes inspirées de chapeau de méduse, elles avaient nettement plus d’élégance sous l’eau qu’à l’air libre. Elle se sentait plus à l’aise dans ce cadre mondain qu’à l’aventure, menée par le bout du nez par un calmar sournois. Et, étrangement, ce bouillonnement de cultures, de styles vestimentaires, de langues la rendait heureuse.

Dans la salle du trône, un silence la surprit et la poussa à chercher l’origine de ce vide soudain. Son regard tomba sur une crête qu’elle reconnue sans avoir besoin de voir le visage de Kyos.

Sa lèvre inférieure trembla alors que le monde s’effaçait autour d’elle. Elle s’en voulait de ne pas avoir contacté l’Académie pour prendre des nouvelles. Elle avait eu tant de détails à organiser pour ce procès. Elle s’avança à sa rencontre, leurs pupilles s’accrochèrent avec une intensité perceptible par tout spectateur présent. Leur cœur tambourinait si fort qu’il créait une douleur sourde dans leur poitrine. Kyos saisit la main de la reine puis s’inclina sans la quitter des yeux pour baiser sa main. Un frisson remonta dans le bras de la jeune femme dont seule la volonté la retenait de l’enlacer devant toute l’assistance.

« J’espère que vous avez toujours une place de chevalier pour moi…

— Toujours. Bienvenue chez toi… »

Kyos esquissa un sourire, l’œil pétillant de bonheur. Chez lui ? Il en était honoré. Il nota la méfiance des ambassadeurs de cités étrangères, légitime car ils devaient le penser encore au service du Haut Conseil. Il s’écarta, dévoilant à la vue de Nalya les adolescents qui l’avaient suivi depuis l’Académie. Il lui résuma la situation actuelle de l’Académie, Nalya s’étonna du soudain courage de Gorys. Elle se promit de le contacter dans les plus brefs délais. Si elle pouvait l’aider à renvoyer tous les jeunes combattants chez eux, elle le ferait avec un plaisir sincère. Elle demanda à ses invités de l’excuser avant de disparaître dans son bureau avec les nouveaux venus.

Quelques enfants se souvenaient encore exactement de leur famille, Nalya commandita quelques chevaliers pour les ramener au sein de leur foyer respectif. Elle confia les autres au service de recensement de la cité qui les redirigerait dans leur famille dès que possible.

Nalya et Kyos profitèrent de leur intimité tant attendue, pour l’un comme pour l’autre. Le jeune homme déglutit, sa déclaration lui brûlait la gorge. Il fallait que ça sorte enfin. Il se leva, saisit la main de la jeune femme sur le bureau en la tirant doucement pour la pousser à se lever. Leurs yeux s’accrochèrent de nouveau, il caressa les doigts fins de la reine de la pulpe de son pouce, il pourrait suspendre sa vie à cet instant, à ces prunelles sans fond encadrés de cils interminables.

« Nalya… Si vous me permettez cette outrecuidance, je sais que je ne suis pas encore citoyen atlante, je ne puis me taire plus longtemps. Je vous aime… »

La jeune femme perdit, bien volontiers, son masque aristocratique. Un sourire franc fleuri sur son visage, elle serra la main du combattant, se rapprocha et pressa leur front ce qui approfondit leur bulle d’intimité.

« Evitons de l’ébruiter jusqu’à ce que ta citoyenneté soit acceptée par mes sujets. Je te promets que ton rôle dans la destruction de Falside sera reconnu.

— Cela me parait raisonnable. »

Il hésita, pouvait-il l’embrasser ? Etait-ce trop précipité ? La reine coupa ses questions internes en déposant ses lèvres sur celles du soldat. Ce premier baiser resta bref, et chaste, presque innocent. Cette pudeur n'empêcha pas le soldat de se sentir ébranlé au plus profond de son âme. Sa main libre effleura la hanche de la tortue, une caresse aérienne, par-dessus sa jupe voluptueuse, qui libéra des frissons dans le corps de la reine. Ils rompirent le baiser mais maintinrent leur front en contact, leurs lèvres exaltées à moins d'un centimètre, prêtes à s'ébattre de nouveau.

Avec langueur, la tension retomba. Le chahut de la salle du trône s'insinua dans le bureau comme pour les rappeler à l'ordre. Une distance de convenances les sépara, et ils retournèrent à la foule. Malgré sa maîtrise, Nalya peinait à dissimuler son bonheur, Faerys et Sperys lui adressèrent un sourire entendu. Décidée à ne pas se laisser embarrasser, elle présenta le combattant aux émissaires. Méfiants, les descriptions du jeune homme sur les méthodes d'éducations de l’Académie les horrifièrent suffisamment pour offrir le bénéfice du doute à Kyos.

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