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Énora ferme son commerce, il n’est pas tout à fait l’heure du déjeuner. Il n’est pas coutume de terminer la matinée si tôt. Elle a donc décidé de prendre du temps pour elle afin d’effectuer des achats personnels. Elle se glisse dans la rue pavée du centre-ville pour se rendre dans la boutique des mesdames savon.

— Bonjour, Brigitte, comment allez-vous ?

— Oh, bonjour Énora ! Bien, merci. Ravie de te voir, que puis-je faire pour toi ?

La commerçante l'invite à entrer avec un sourire étincelant.

— Je me suis échappée pour faire mes propres emplettes, chuchote la propriétaire du salon de thé avec un regard malicieux comme si elle était en train de commettre un délit.

— Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver...

— Alors, euh... (Brigitte enchaîne et montre des produits du dos de la main.) Tu vois par ici, j’ai quelques nouveautés : un gommage au savon noir, purement divin ! Des gammes de shampooing sec, le savon à la spiruline de différents formats et formes… et…

Énora flâne dans le commerce, attentive à la composition du gommage au savon noir.

— J’aurais quelque chose à te demander avant que tu ne partes, tu m’y feras penser, confie la vendeuse de savons, soucieuse.

— D’accord, vous piquez ma curiosité … allez-y, je vous en prie, l’encourage la jeune femme qui remplit son petit panier.

Brigitte, l’air de plus en plus gêné, fait semblant de réchauffer ses mains afin de calmer son léger stress communicatif.

— Eh bien, aurais-tu des livres qui parlent des relations concernant les vieux couples ? Tu vois, lorsque la routine est cramponnée à tes chaussures, que l’envie se fait rare, voire dans le néant.

— Hmm, je vois. Dites-m’en plus … sans tabous, allez-y en toute confiance, l'incite Énora en déposant son panier afin de prouver son intérêt pour cette conversation.

La libraire pose des questions auxquelles Brigitte répond les joues rouges. Elle est exposée à ces mêmes questions qui tourmentent majoritairement la clientèle féminine.

Les hommes quant à eux, par pudeur sans doute, ne s’expriment pas concernant leur intimité, ne demandent pas forcément de conseil. Ils feuillettent les livres, peuvent éventuellement demander à les faire emballer.

— C’est pour offrir s’il vous plaît.

"Offrir" à soi-même... pense la commerçante.

Cela peut arriver et fait sourire Énora. Elle arrive à détecter si les clients sont sincères ou non dans leur démarche. Étant donné qu’il n’y a pas une once de malveillance, elle rentre dans leur jeu.

— Quelle couleur préférez-vous pour l’emballage ? Pour un homme ou une femme ? demande-t-elle alors.

De nombreux livres sont réclamés sur le thème du couple : sur le sujet de la manipulation, sur les pervers narcissiques, - homme et femme confondus - sur la dépendance affective, comment apprendre à communiquer... etc. En outre, les thèmes : comment rallumer l’étincelle ou la sexualité dans le couple, sont commandés.

Énora se mord les lèvres, les yeux baissés. Elle sait ce qu’il lui faut répondre. Elle examine les manières de procéder. Il n’y a pas trente-six façons de le faire, la jeune femme d’ordinaire assez directe, pèse pourtant en cet instant ses mots.

— Êtes-vous prête à entendre ce que j’ai à vous proposer ? Ne vous vexez surtout pas, d’accord ? Honnêtement, j’ai eu de très bons retours sur des personnes qui ont poussé cette porte là et ça a bien fonctionné.

— Oui… oui, dis-moi s’il te plaît, mais de quelle porte parles-tu ? questionne Brigitte attentive.

— Allez consulter un sexologue, faites une sexothérapie ou bien… un bon livre du Kâmasûtra pourrait pimenter votre vie, je vous cite, de « vieux couple ».

— Une sexothérapie ! s’exclame-t-elle en regardant autour d’elle, l’air gêné. Qu’est-ce donc ? Vous connaissez des sexologues ? Et ça fonctionne ?

— Dans votre cas, cela permettrait sans doute d’améliorer la qualité des rapports amoureux, de modifier les habitudes … mais pas uniquement. Alors, pourquoi pas ? Faire une ou plusieurs séances de sexothérapie peut tout à fait embellir et raviver des histoires ternies par le temps, elles sont remises au goût du jour si je peux me permettre ces termes. En tout cas, j’ose. (Énora esquisse un doux sourire.) Je n’ai pas, hélas, de nom ni d’adresse à vous proposer. J’écoute les gens parler et j’enregistre les solutions qu’ils ont trouvées afin de régler leurs problèmes, ça peut toujours servir. Vous êtes un « vieux couple » aimant, vous avez besoin de vous retrouver, de pimenter votre vie, et si vous m'autorisez à le dire… vos nuits.

La jeune femme tente de détendre l’atmosphère.

— Je te le permets, merci. Ah oui, ça me tenterait bien, oui ! Pfiou, j’ai très chaud d’un coup. (Elle se met à rire). C’est gênant tout de même.

— Absolument pas.

Brigitte demande alors à la libraire si elle a eu recours dans le passé à cette méthode. Énora fait non de la tête et pense qu’elle était probablement bien loin de former un vieux couple.

À partir de quand un couple peut-il s'installer dans la routine ? Au bout de combien d’années de vie partagée ? Elle chasse ces pensées de sa tête … quelle importance !

— Je t’invite à déjeuner pour te remercier, tu as le temps ?

La jeune femme consulte la pendule derrière la caisse.

— Hélas, merci, mais non. Le temps a bien trop vite filé. Je suis en tout cas satisfaite de ma petite sortie. J’ai trouvé mes futurs savons et d’autres sublimes petites choses, s’émerveille-t-elle, le pot de gommage au savon noir entre les mains.

— Tu me diras ce que tu en as pensé. Un énorme merci encore. Je passerai demain, je demanderai à Perrine de me remplacer un peu pour venir voir tes bouquins. Des livres plus la sexothérapie... mon couple pourra prendre un nouveau départ. J’y crois enfin, tu es une magicienne Énora !

— Non, je tente seulement de faire de mon mieux, je ne promets aucun miracle. À demain, prenez bien soin de vous.

— Tiens, des petits savons à la fleur de coton en cadeau. Bon après-midi, à demain.

Énora la remercie. Elle se hâte sur les pavés en pierre à la recherche d’une salade composée à emporter.

Elle la dégustera dans son salon de thé. Son visage est souriant et détendu, elle aime ces petits moments, comme celui qu’elle vient de partager avec Brigitte : des petits instants d’échanges de bonheur simple.

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