Épisode 14 - Complicité
Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y
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Devant la porte du bureau gracieusement prêté par le maire à leur chef d’équipe, le Genin prit une grande inspiration avant de toquer. Suite à sa nuit mouvementée, Chihousou avait accordé à Tokri une partie de sa matinée pour se remettre, non sans lui donner une heure de rendez-vous pour un compte-rendu. Le jeune homme ne le craignait pas, mais appréhendait bien plus ses propres réactions. N’ayant rien d’un soldat servile, son problème avec l'autorité était presque maladif. Or, le Masaka représentait tout ce que Tokri haïssait chez un gradé : un exécutant incapable de questionner les directives qu’on lui imposait.
— Entre, lui ordonna abruptement l’aveugle.
Le Chuunin était assis à son bureau, tapotant une feuille devant lui sur laquelle était posée une plume encrée, bandana sur les yeux et ses cheveux blonds tombant le long de ses épaules. Gomaki était assis sur le rebord d'une fenêtre ouverte et fumait une cigarette.
— Assis, lui intima Chihousou, mâchoire serrée.
Tokri s'exécuta et croisa instinctivement les bras avant de demander sèchement :
— Tu veux me parler du gars que j'ai tué ?
— Ton rituel malsain ? répliqua crûment le Chuunin, posant subitement à plat sa main sur son bureau. Je n’en ai rien à foutre.
— Étonnant, ne put s'empêcher d’ironiser Tokri.
— Reste à ta place, répliqua froidement Chihousou, tout en désignant la lettre face à lui. Je suis ton supérieur sur cette mission et ton incapacité à suivre les directives sera rapporté aux instances supérieures.
Il marqua un silence et se frotta le visage, épuisé, avant d'enchaîner sans temps mort :
— Tu ne sembles pas saisir ce que signifie être shinobi, soupira Chihousou en remuant la tête, négatif. Et encore une fois, je m’en fous. Agis de façon responsable jusqu'à notre départ, c’est tout ce que je te demande.
Bien qu'il n'en montrait rien, l'Utak était tout de même quelque peu inquiet par cette menace. Chikara risquait-il vraiment de le bannir des rangs de son armée ? Tokri se fichait de sa carrière, mais son objectif lui imposait le statut de shinobi. Malgré les apparences, il n’avait jamais songé à ritualiser la mise à mort. Décidé à se prouver qu’il en était capable, il s’était appliqué à bloquer toute possibilité de fuite de sa victime. Aurait-il dû le laisser en vie ? Ne pas l’avoir fait risquer de lui porter préjudice, alors qu’il n’avait fait que saisir l’occasion de couler son premier sang ? Après avoir passé sa vie à être façonné en une machine à tuer, l’ironie serait amer.
— Pour préparer au mieux la prochaine nuit de surveillance, il ne me manque que tes observations, lui demanda brusquement Chihousou, sans s’encombrer de transition.
Nullement perturbé, le Genin comprit que des réponses concises le libéreraient au plus vite de cet entrevue.
— Ces gars présentaient des aptitudes anormalement surhumaines, répondit le Genin sur le même ton, direct et professionnel. Je me suis même demandé s'ils n'étaient pas des utilisateurs des énergies spirituelles, mais leur façon de se battre était dénuée de formation martiale.
— C'est ce qu'ont également remarqué Sarouh et les autres, maugréa Chihousou tout en prenant des notes.
Impassible, Tokri tiqua intérieurement à cette précision. Si l'information lui avait été parvenu dès la première nuit, pourquoi n'avait-il pas pris de mesures en conséquence ? Le Chuunin avait-il sous-estimé la menace ?
— Autre chose ? le relança séchement le Masaka.
— Certains avaient les tempes gonflées et noires, décrivit Tokri, se remémorant ce qu’il avait remarqué à la lueur de quelques torches. Et le plus costaud de la bande s'est injecté quelque chose à l'aide d'une seringue.
Une moue inquiète apparut sur le visage du Chuunin. Une drogue pouvant donner des aptitudes permettant à un civil de rivaliser avec un ninja, cela pouvait être le signe d’un danger bien plus grand qu’annoncé par leur ordre de mission. Si les observations de Tokri se confirmait, les implications pouvaient rapidement gagner en ampleur.
— Sûrement par la faute de la pénombre, personne d'autre ne semble avoir remarqué, murmura Chihousou, pensif, avant de reprendre d’un ton plus haut. Et concernant l'homme que tu as tué ?
— Pas de marque et du niveau attendu, balaya brièvement Tokri.
Alors que le Masaka s’empressait de noter l’information, l’adolescent s’empressa de préciser :
— J'ai voulu le faire parler pour obtenir des informations, mais il ne m'a pas donné le choix.
A son avantage, il n'y avait aucun témoin pour contredire son mensonge. S'il se montrait suffisamment convainquant et restait cohérent dans ses déclarations, Tokri espérait faire passer son meurtre froid pour de la légitime défense.
— Nous verrons qui de Chikara ou Gensou s'occuperont des autopsies que je vais préconiser, conclut Chihousou d’une vois las. Tu peux disposer.
Lorsqu'il quitta le bâtiment, l'Utak fut surpris de voir Mutika l’attendant non loin, le cou emmitouflé dans son écharpe. Le voyant lui faire signe de le rejoindre. Tokri alla à sa rencontre, quelque peu circonspect devant le sourire malicieux arboré par son ancien ami.
— Oui ? demanda Tokri, curieux malgré son air impassible.
— Suis-moi pour le spectacle de ta vie ! l’invita mystérieusement le rouquin, tout en fixant la fenêtre du bureau de Chihousou.
Tokri comprit qu’il craignait que le Chuunin ne les entende et emboîta le pas de son partenaire, qui trépignait d’impatience. Avait-il préparé quelque chose vis-à-vis des Gensouards ?
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Les deux garçons finirent par rejoindre la place centrale de Nidikami, qui formait un cercle donnant sur diverses rues. En pleine effervescence de leur fête du métal, les étals fourmillaient d’animation jusqu'aux ruelles adjacentes et l’agitation était palpable. De nombreux marchands vantaient la qualité exceptionnelle des produits de leur stand. Les villageois vivant en temps normal d'agriculture, l'essentiel des objets exposés y étaient liés : fourche, bêche, binette... Tokri constata que certains étals proposaient diverses denrées alimentaires, dont les arômes emplissaient leurs narines, mais quelques armes étaient également exposées, entre des décorations typiques de la région et autres étoffes. L'Utak avait cru comprendre que l'événement attirait des touristes de tout horizon. En y réfléchissant bien, il se souvenait en avoir vaguement entendu parler par le passé, certainement par son grand-père.
Il était logique que Nikidami fasse appel aux Villages pour assurer leur protection face à des malfaiteurs vénaux. De nombreux rapports de situation avaient fait état d'une bande importante. Cela justifiait l'envoi de Genins et de deux Chuunins, mais Tokri se doutait que le fait que les malfrats soient dopés par une étrange drogue risquait de changer la donne et de hausser le niveau de la mission. Gomaki allait-il devoir entrer dans le jeu ? Cette pensée emballa le coeur du jeune homme, excité à l’idée d’être témoin de la véritable puissance de son mentor.
Mutika le tira en avant, extirpant son coéquipier de ses réflexions. Tokri avait songé que le garçon aux cheveux rouges souhaitait acheter de la nourriture ou des souvenirs, mais il n'en était visiblement rien. Le Genin semblait enthousiasmé par tout autre chose, ce qui confirmait la première supposition de l'Utak : l’Oroshi était en action.
Les arrêtant au coin d'une ruelle, Mutika s'assura qu'ils avaient une bonne vue sur la grande place, avant d’hocher la tête de satisfaction.
— Tu peux m'expliquer maintenant ? le pria Tokri.
— Ça ne devrait pas être bien long, lui assura Mutika d’un sourire énigmatique. En attendant…
L’Oroshi s'asseya dos à un mur et posa son sac en bandoulière devant lui, son écharpe glissant le long de son bras. Il sortit diverses viennoiseries et en tendit une à Tokri, qui fut quelque peu sceptique par cette attention.
— Fais pas cette tête vieux, le rabroua Mutika en riant. On est partenaires, non ?
Pris de court, Tokri hésita puis, avec une certaine réserve, prit la viennoiserie en hochant la tête, silencieux. Il s’installa à côté de son ancien ami, partageant ce moment presque paisible lui rappelant les nombreux moments de complicité qu’ils avaient autrefois partagé ensemble.
Soudainement nostalgique, Tokri constata que le silence entre eux n’était pas pesant, essentiellement ponctué de regards fugaces de Mutika vers la grande place. Par trois fois, Tokri tenta de comprendre la raison de la bonne humeur de son coéquipier, question que Mutika d’une expression de mystère. Agacé, mais trop fatigué pour insister davantage, Tokri finit par caler sa tête contre le mur et ferma les yeux, l’odeur sucrée des viennoiseries flottant encore dans l’air.
Il somnolait à peine lorsqu’un coup de coude dans les côtes le fit sursauter.
— Ça commence ! s’exclama Mutika, l’excitation teintant sa voix.
Tokri vit alors Chihousou Masaka, un papier à la main entre deux étals. Le Chuunin tournait sur lui-même et dirigeait son attention de marchands en marchands, semblant chercher quelqu'un. Mutika se mit à ricaner :
— Quelle ponctualité !
Ayane, la jolie blonde et fille du maire de Nikidami, se dirigea alors vers leur supérieur, d’un pas timide et un papier également en main. Ce détail en commun permit à Tokri de constituer le puzzle qui s'agençait sous ses yeux.
Lorsqu'il perçut la jeune femme, Chihousou eut un mouvement de recul. Ce n’était donc pas elle que le Chuunin attendait. A l’inverse, Ayane sembla prendre sa réaction pour de la réserve, mais cela ne l'empêcha nullement de se jeter dans ses bras et d'embrasser le géant. Ne s’attendant certainement pas à cette réaction, Chihousou ne l'esquiva pas. La panique se lisait sur son visage, bien que le baiser ne semblait pas lui déplaire.
— Qu'est ce que c'est que ce bordel ? murmura l'Utak, dubitatif.
— Le clou du spectacle arrive ! ricana Mutika.
Vociférant, le maire de Nikidami fonçait d'un pas furieux vers sa fille et son amant. Tokri ne perçut que des bribes de mots tels que "honteux !" et "déshonorant !". Chihousou sembla vouloir se justifier auprès de son beau-père, mais ce dernier n'en avait cure et continuait à lui hurler dessus. La colère du maire comblait de bonheur Mutika, qui n’avait pas besoin d’entendre leurs échanges pour jubiler. Le spectacle qui s'offrait à leurs yeux était amplement suffisant.
Le Masaka se tourna brièvement vers eux, un mouvement suffisant à déclencher l'alarme interne de Tokri. Comprenant que les sens de l’aveugle les avait certainement repéré, l'Utak saisit son coéquipier par le poignet et lui souffla, à demi paniqué :
— On doit se barrer. Maintenant !
Sans demander son reste, Mutika le suivit. Mieux valait déguerpir qu'être trop gourmand. Si Chihousou leur mettait la main dessus, il pourrait réussir à les piéger en les amenant à se trahir. Ils coururent quelques instants à travers les ruelles de Nikidami, Mutika ne pouvant s'empêcher de pouffer de rire, fier de son oeuvre.
Une fois suffisamment éloigné, Tokri posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début du petit numéro de romance mélodramatique qui s'était joué sous leurs yeux :
— Comment t'es-tu arrangé pour provoquer ce bordel ?
— Tu te souviens de nos années à l'Académie ? répondit Mutika d'une petit sourire malicieux. Lorsque je signais certains mots des profs ?
Bras croisés, Tokri haussa un sourcil de surprise, commençant à comprendre la manoeuvre de Mutika.
— Il t'arrivait d'imiter l'écriture de mon grand-père pour m'éviter de me faire engueuler, se remémora l’Utak, le souvenir lui arrachant un ricanement.
— Ce que je ne t'ai jamais dit, c'est que l'imitation d'écriture est devenue l'un de mes passe-temps favoris ! déclara fièrement le rouquin, bombant exagérément le torse. Je me suis même mis à en inventer !
Tokri était stupéfait, d’autant que Mutika n'avait pas l'air d'avoir conscience que son hobby pourrait s'avérer utile pour sa carrière. Savoir imiter des écritures était un atout non négligeable pour les services d'espionnage des Villages.
— Et donc ? le pressa le Genin aux cheveux de jais, curieux d’en savoir plus.
— Durant mon compte-rendu de la nuit dernière, j'ai observé la façon d'écrire de Chihousou, expliqua Mutika, tout sourire. Je me suis ensuite entraîné jusqu'à ce que le résultat se rapproche de ce que j'avais réussi à mémoriser. Mon Masaka a eu beaucoup d'inspiration pour déclarer sa flamme à Ayane, tu peux me croire !
Tokri ne doutait pas que l’imagination foisonnante de son ami avait dû faire bondir le coeur de la timide jeune femme pour aller jusqu'à la jeter à son cou. Se frottant les mains d’excitation, l'Oroshi reprit son explication :
— J'ai ensuite préparé un mot avec l'une de mes écritures pour Chihousou. Comme quoi j'étais en possession d'informations importantes concernant la mission. Pendant ton entretien de ce matin, j'ai glissé le mot sous la porte de sa chambre.
— Et pour le maire, je présume que tu as utilisé une écriture encore différente ? devina Tokri.
— Oui ! confirma Mutika en tapant dans ses mains. Pour l’informer de l'aventure volage entre sa fille et son mystérieux amant ! A chacun, j'ai donné la même heure de rendez-vous au même endroit !
En un sourire radieux, il leva victorieusement son pouce et s’exclama :
— Opération mettre la honte à Gensou accomplie !
Tokri éclata de rire, sonore et franc. Pris de court, l'Oroshi resta figé un instant avant de se laisser gagner par l'hilarité. Le rire de son partenaire, si rare et si spontané, était contagieux. Bientôt, les deux garçons furent secoués par un fou rire incontrôlable, leurs voix se répercutant autour d’eux. Cela faisait une éternité qu’ils n’avaient pas partagé un tel moment de complicité et pour une fois, le poids du passé sembla s’évanouir pour ne laisser place qu’à cette parenthèse lumineuse.
L’Utak était véritablement impressionné par l'ingéniosité de son coéquipier. Tous deux avaient fait les quatre-cent coups à l'Académie et plus d'un professeur avait ressenti une furieuse envie de cogner l'un des garçons contre l'autre. Ce qui venait de se produire ravivait de précieux souvenirs chez Tokri. Dans leur duo, Mutika avait toujours été celui qui concoctaient les plans tandis que lui improvisait des échappatoires lorsque les choses dérapaient.
Le garçon aux cheveux de jais se demanda comment ils avaient pu s'éloigner à ce point. Leurs vies n’appartenaient qu’à eux et le temps était venu de renouer les liens, comme le lui avait suggéré son aîné. Leur fou rire s’éteignit peu à peu, amenant une atmosphère presque solennelle. Alors que Tokri s’apprêtait à parler, Mutika baissa les yeux et le devança, d’une voix hésitante :
— Pour la nuit dernière, je suis vraiment désolé. Je me suis laissé griser par le combat et je n'ai pas agi en coéquipier.
Tokri fronça les sourcils, surpris par cette confession. Il répondit de son honnêteté franc et direct :
— Je n’ai pas été un bon partenaire non plus, depuis le début de cette équipe.
Mutika eut un rire amer, secouant légèrement la tête.
— Ouais, sauf que toi, tu n’as pas failli me tuer, lança-t-il en se grattant nerveusement la nuque.
Tokri resta silencieux, observant la culpabilité évidente sur le visage de son ancien ami. D’une voix plus calme, presque apaisée, il reprit :
— On a tous les deux merdé, affirma t-il en plantant son regard noisette dans les yeux bleus du Genin aux cheveux de feu. Mais nous appartenons à la même équipe, à présent. Même si je me doute que mon frère y est pour quelque chose, voyons cela comme une occasion de redémarrer de zéro.
Le rouquin releva lentement la tête, intrigué par le sérieux de l'Utak, qui poursuivit avec une sincérité rare :
— Je n’ai jamais voulu de rivalité, ni de mépris entre nous. Que dirais-tu qu’on laisse tout ça derrière et qu’on devienne enfin frères d’armes ?
Conscient de la portée des mots de Tokri et de ce que cela impliquer, les yeux de Mutika se mirent à briller. L’Utak, si secret et distant, n’accordait jamais ses sentiments à la légère.
Depuis la mort de sa mère, le jeune homme n'aimait pas s'étendre sur ses sentiments, considérant les démonstrations d'affection comme des invitations à la souffrance. Mutika savait que chaque mot était une prise de risque difficile pour Tokri, une brèche dans sa carapace, et il en était d'autant plus touché.
— Ça me va, lui répondit le rouquin, la voix tremblante et s’essuyant les yeux.
Tokri détourna aussitôt le regard. Mal à l’aise, il croisa les bras, comme pour retrouver un semblant de contrôle.
— Je vais m’exercer au Fuuton avant le prochain briefing, lança-t-il sèchement en lui tournant le dos, un peu trop pressé de clore la discussion.
Alors qu'il s'apprêtait à partir vers le coin boisé, Tokri s'arrêta net, sentant que son ami souhaitait ajouter quelque chose. Le jeune homme se retourna et l'interrogea du regard. Le rouquin ouvrit la bouche et sembla hésiter, avant de lui sourire avec gêne. Le Genin aux cheveux de jais haussa un sourcil, mais n’insista pas. Il tourna les talons et disparut à l’angle de la ruelle, cherchant à se convaincre que Mutika lui aurait forcément partagé toute information capitale.
Mais au fond de lui, une petite voix, presque imperceptible, le fit douter.
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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU
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