Épisode 18 - Vers la côte
Tenant fermement les brides de son dodo d'une main, Tokri tenta de se réchauffer. Sorti depuis environ deux heures du désert, le jeune homme savait qu'il allait devoir s’habituer au changement de climat à mesure qu'ils s'approcheraient des côtes. D’autant plus que le soleil n’allait pas tarder à se coucher, les livrant à la fraîcheur de la nuit. L'Utak reporta son attention sur son sensei et les Gensouards devant lui. A l'inverse des Chikarates, les Chuunins devaient se sentir en environnement familier.
Gomaki, Cacaunoy et Chiraku étaient en grande conversation, échangeant sur leur mission. Sarouh chevauchait non loin de là et ne participait que brièvement. Visiblement, il avait évacué sa colère et retrouvait peu à peu son stoïcisme habituel, lui permettant de taire toute démonstration d'émotivité. En kunoichi expérimentée, Cacaunoy Marwais l'avait devancé, conservant le masque de froideur qu’elle avait revêtu depuis le briefing. Impossible d’imaginer que son visage s’était brièvement illuminé le matin même. La belle brune tenait ses rênes d’une main, l’autre posée sur la garde de son katana. Le regard fixe vers l’horizon, elle ne le détournait que brièvement vers Gomaki et Chiraku lorsque ces derniers prenaient la parole, jamais lors des interventions de Sarouh. Bien que Tokri les voyait de dos, le Genin avait la sensation que Chiraku était mal à l’aise. Il dodelinait sur sa selle et se redressait régulièrement, comme cherchant une position qui lui conviendrait mieux. Essayait-il d’adapter son comportement vis-à-vis de l'Illusionniste, ou Tokri se faisait-il des idées sur le Mizu ? Peut-être n’appréciait-il simplement pas les voyages ?
Au centre de la ligne des gradés, Gomaki chevauchait le dos droit et respirait l’assurance. La différence d’âge et d’expérience était flagrante. L’Utak espérait que son sens inné du commandement lui permettrait de réguler les conflits régnants entre leurs équipiers de la Cascade. Le Juunin l’avait une fois de plus surpris à la sortie de Chikara en demandant au chef des Genins de décider de la formation à adopter pour leur traversée du désert. Ne le corrigeant pas, Tokri songea que ses choix étaient au moins satisfaisants. Le vétéran n’avait autorisé une marche plus libre que lors de leur sortie de l’océan de sable.
Sentant qu’ils allaient bientôt dresser le campement pour la nuit, le taijutsuka se remémora une dernière fois les détails de la mission. Gomaki, Chiraku et Cacaunoy avaient mené des enquêtes dans les bas-fonds de Chikara et Gensou. Mahou avait chargé quelques ninjas d’en faire de même de leur côté. Cela n’avait donné que de frêles résultats : peu de personnes connaissaient l’existence du Boost S. Une chance pour le monde shinobi qui pouvait encore espérer étouffer le phénomène à la source. Toutefois, les rares informations récoltées convergeaient vers Sengo, une cité chaotique dirigée par plusieurs groupes pirates. Situé à l’Ouest du Yuukan, les pirates prospéraient grâce aux raids constants sur leurs côtes et celles du Nagame, au sud de Hokuto.
Chikara aurait pu en finir il y a bien longtemps avec cette cité criminelle, mais cela leur aurait coûté bien plus qu’elle ne leur apportait. Bien que le gouvernement du désert ne s’en vantait pas, peu de personnes ignoraient qu’ils avaient fait de Sengo un partenaire commercial privilégié, étant le plus proche port maritime à sa disposition. De plus, un accord tacite semblait avoir cours entre les deux. Le port pirate prenait garde à ne pas froisser les shinobis en ne s’attaquant qu’aux villages hors du protectorat Chikarate, permettant aux ninjas de se rendre indispensable au-delà de ses frontières en monnayant des protections temporaires aux villages démunis. Les deux cités ne s’en tenaient jamais rigueur, les raids n’étant pas officiellement du fait de Sengo et Chikara fermait manifestement les yeux si des preuves de leur implication leur étaient fournies. Seuls les samouraïs Yuukaniens avaient tenté d’éliminer Sengo, mais leurs forces ne suffisaient pas pour les déloger. Son lien avec la cité pirate offrait certainement à Chikara un levier implicite dans ses négociations avec Mahou et Gensou.
Dans ce souci de préservation de leurs relations, Tokri se doutait que l'hypothèse d’un lien entre Sengo et le Boost S n’arrangeait pas le Kage et son Conseil. Malheureusement, un incident avait eu lieu la semaine passée au village côtier de Higaisha. Lors d’une mission de protectorat classique, une escouade Chikarate fut massacrée par des brigands des mers présentant les caractéristiques d’injection de Boost S. Le jeune homme n’était pas naïf, certain que l’affaire aurait pu être étouffée si l’affaire n’était pas potentiellement menaçante. Chikara et Gensou décidèrent d’envoyer leur équipe hybride enquêter sur place. Comme à l’accoutumée, rien n’indiquait que ce raid provenait de Sengo. Mais leur présent voyage vers les côtes prouvaient que les dirigeants du Désert y songeaient fortement. En attente de preuve, il leur faudrait manoeuvrer avec le plus grand soin pour ne pas provoquer de conflits diplomatiques qui tendrait par ricochet les relations entre Gensou et la Cité du Désert.
Leur escouade était donc en route pour Higaisha afin de récolter davantage d’informations des natifs, remonter si possible jusqu’à la source du commanditaire de l’attaque et retrouver le producteur de la substance dans le meilleur des cas.
— Tu as tous les éléments en tête ? lui chuchota une douce voix.
Un discret sourire se dessina chez le jeune homme, satisfait d’avoir reconnu la demoiselle avant même qu’elle ne parle. Il l’avait senti approcher à sa droite, son identité confirmée par son familier parfum sucré porté par le vent.
— Comme si j’avais tout suivi directement. Merci à toi.
Izul souffla une mèche rebelle qui lui chatouillait le nez, amenant son collègue à conserver son expression légère. En sa présence, le Genin s’apaisait et avait de plus en plus de mal à maintenir son masque d’impassibilité.
— Que penses-tu de tout cela ?
— Honnêtement ? demanda Tokri, pensif et redevenant instantanément sérieux. Les Trois sous-estiment le danger du Boost S. Sûrement par souci de leurs intérêts.
Il s’interrompit, se demandant s’il n’était pas allé trop loin. Tenir ce genre de propos devant certaines personnes pouvait amener à un soupçon de rébellion, voire d’un début de trahison. L’Utak se doutait qu’Izul n’était pas une fervente Villagiste, mais il ne connaissait pas encore son point de vue sur les politiques des Trois. Mieux valait être prudent.
— Si tu avais écouté le briefing, tu m’aurais entendu leur demander pourquoi ni l’ANBU ni la police n’étaient en charge de l’affaire, lui rapporta la kunoichi d’un faux air mystérieux.
Tous deux discutaient à voix basse depuis que Izul avait engagé la conversation. La shinobi aux cheveux d’azur était tout aussi prudente que lui.
— Ah ? s’étonna Tokri en haussant légèrement un sourcil. Et donc ?
L’ANBU était l’organe chargé des missions les plus sensibles et secrètes. Ses membres étaient triés sur le volet parmi les meilleurs Juunins, dont nul ne connaissait les identités, pas même leurs proches. En mission, ils portaient des masques d’animaux pour conserver leur anonymat vis-à-vis de leurs collègues. Si Gomaki n’avait pas été chargé de la mission, il aurait bien pu en être un sans que ses élèves n’en soient informés.
Izul imita le représentant chauve en adoptant une voix grave et exagérément solennelle.
— L'ANBU interviendra en fonction de ce qui ressort de votre enquête. Mais pour le moment, c'est une simple mission rang B+ et vous êtes assez équipés pour y faire face.
Le taijutsuka ne put s’empêcher de laisser échapper un ricanement. Son sarcasme fusa sans même réfléchir.
— Autrement dit, on ne sait pas encore si c’est grave. Dans le doute, on vous laisse vous débrouiller.
— C’est ce que je me dis aussi, répondit Izul en haussant les épaules. Nous n’y pouvons rien. Par contre…
Elle désigna Sarouh d’un mouvement discret de la tête.
— On peut sûrement faire quelque chose pour lui.
Le Tsumyo continuait de chevaucher devant eux. Une courte observation suffit pour remarquer qu’il ne tournait plus la tête vers ses interlocuteurs. Ne pouvant qu’observer son dos, la jeune femme se mordit se mordit une lèvre, baissant brièvement les yeux sur les rênes de son Dodo.
— Encore faut-il qu’il accepte notre aide, soupira l’Utak qui ne voyait vraiment pas comment s’y prendre. Une chose est sûre, ces trois-là ont un passif tumultueux.
— Ce n’est pas le genre de Sarouh de perdre le contrôle, répondit Izul après un bref silence. Encore moins face à des gradés.
Le garçon aux cheveux de jais réfléchit quelques instants. Il doutait que la meilleure démarche soit de le questionner frontalement sur ses conflits avec Cacaunoy et Chiraku. Les souvenirs devaient l’envahir, agir ainsi ne servirait qu’à le braquer.
— Il a besoin de savoir que nous sommes là pour le soutenir, conclut Tokri sans hésitation. S’il souhaite nous en parler, qu’il sache que la porte est ouverte. Insister pour qu’il le fasse risque de l’amener à se fermer.
— Je suis d’accord, répondit la kunoichi d’une petite voix tremblante.
Craignait-elle quelque chose ? Surpris, l’adolescent hésita quelques instants mais posa tout de même la question, jugeant qu’il devait le lui demander afin qu’elle n'ait aucun regret :
— Penses-tu pouvoir lui en parler ? Vous étiez proches il y a quelque temps…
Il se stoppa à la vue du voile qui recouvrit le regard de la Leïl qu’elle tourna vers les Gensouards, avant de bloquer une fraction de seconde sur la brune épéiste. Elle ouvrit la bouche, se mordit une lèvre, puis répondit finalement sans regarder Tokri :
— Je ne suis pas la mieux placée pour ce rôle. Plus maintenant.
L’Utak opina du chef et n’insista pas, s’étant attendu à une réponse de ce type. Quoiqu’il soit arrivé, cela leur appartenait et Izul avait certainement raison. Mieux valait éviter d’amener de l’huile sur le feu qui brûlait dans le cœur de l'Illusionniste.
L’adepte du Fuuton jeta un œil derrière son épaule pour apercevoir Mutika et Kiame en grande conversation, parsemée d’éclats de rire. La répartie du jeune Myô semblait avoir plu au rebelle rouquin. Cela n’étonna pas Tokri et il était ravi de les voir se rapprocher. Il y avait bien assez de tensions au sein de l’équipe.
Nika chevauchait seule, le regard tourné vers les ninjas supérieurs. L’Utak la connaissait suffisamment pour deviner qu’elle réfléchissait elle aussi au mystère Gensouard.
— Il faudrait réunir les avis des autres, décida le leader des Genins en se tournant vers sa partenaire de route.
Mutique, Izul se contenta d’approuver d’un hochement de tête. Tokri se mordilla l’intérieur d’une joue, gêné. Un début de culpabilité le prit et il s’en voulut de lui avoir suggéré de parler à Sarouh. L’idée lui semblait soudainement bien moins pertinente.
— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre vous deux et tu n’as certainement pas envie d’en parler. Mais si tu en éprouves le besoin, je suis là.
Gomaki leva une main tout en ralentissant pour leur intimer de le suivre, coupant net la réponse d’une Izul qui avait juste eu le temps d’ouvrir la bouche. Ils suivirent le Juunin à un terrain plat où il décréta qu’ils allaient y installer leur campement pour la nuit. Alors qu’ils descendaient de leurs montures, Izul glissa discrètement à Tokri, en un souffle mêlé la brise marine :
— Merci.
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Le Juunin demanda à leur ambassadeur de chapeauter l’installation. Si ce témoignage de confiance le touchait, il le cacha bien. Chikarates et Gensouards se mirent à la tâche, excepté les Katoniens qui allèrent faire une réserve de bois pour la nuit. Lorsque les tentes furent dressées, la Hynomori alluma le feu de camp en un fin trait de flamme. Un sourire de fierté aux lèvres en constatant les progrès de son élève, Gomaki invita ses collègues à se réunir autour des flammes.
Tout en se réchauffant des piqûres du vent frais de la nuit, les ninjas mangèrent en discutant de sujets futiles, cherchant à penser un court instant à autre chose qu’à leur mission. Le ninja supérieur s’était positionné entre ses élèves et les Gensouards, instinctivement regroupés par affinité à l’exception de Sarouh, silencieux et à l’écart des deux groupes. Au terme du repas, le chef d’escouade demanda à Mutika, Kiame et Izul de prendre le premier tour de garde. Un silence quelque peu gênant s’installa suite à leur départ.
— Tokri ? demanda Gomaki au bout de quelques secondes. Pourrais-tu nous expliquer les raisons de tes choix lors de notre traversée du désert ?
La parenthèse détente semblait terminée. En une fraction de seconde, Tokri se demanda toutefois la raison de cette demande. Voulait-il les amener à faire connaissance avec les Chuunins par son intermédiaire ? En recevant leurs conseils peut-être ? L'Utak sentit le regard attentif de Sarouh sur lui.
— J’ai placé Gomaki en ouverture de marche. Il a le plus d’expérience et était le meilleur éclaireur à ma connaissance. Mutika en fermeture. L’un comme l’autre manipule le Doton et aurait pu ériger une muraille pour une attaque ciblant l’avant et l’arrière de l’unité.
Alors qu’il détaillait ses analyses, l’Utak remarqua que le Myô gardait un œil sur les shinobis assurant la garde. Nul doute qu’en cas de menace, il se précipiterait auprès d’eux.
— Je me suis placé sur le flanc droit, Cacaunoy sur la gauche. De ce que j’ai compris, elle est excellente en combat rapproché. Tout comme moi.
Lorsqu’il prononça son prénom, Tokri tourna son regard vers elle. Impassible, elle l’écoutait sans manifester le moindre signe, d’accord ou de désaccord. Sans s’arrêter de parler, l’Utak se demanda les raisons qui l’avait poussé à exercer un contrôle aussi parfait sur elle-même. Sa stature en permanence stoïque faisait écho à son propre caractère. S’ils étaient semblables, le taijutsuka se doutait que cela devait cacher un fort tempérament.
— Je me suis dit que nous serions les plus réactifs. De plus, mon Fuuton me permet des actions défensives.
— Et quant à nous ? intervint Chiraku en désignant Izul et Kiame du menton. Tu nous a placés au centre de ta formation.
Tokri détacha presque à contrecœur son regard de la brune et se tourna vers le Mizu. Contrairement à l’épéiste, cette pseudo grande gueule ne l'intéressait pas. Du moins avait-il moins envie de le percer à jour. Fidèle à lui-même, l’Utak ne montra en aucun cas les sentiments de rejet que lui provoquait Chiraku.
— Izul est Suiton, donc désavantagée en milieu désertique. Elle était la plus vulnérable du groupe et nous devions la protéger. D’autant plus qu’elle est la plus compétente en matière de soins. Quant à Kiame, il est le membre le plus récent du groupe. Il m’a semblé préférable de ne pas l’exposer en première ligne.
Tokri s’arrêta un court instant, le temps de reprendre son souffle. Il en profita pour jeter machinalement un bout de branche qui traînait au feu, tout en réfléchissant à la formulation de ses prochaines explications.
— J’ai donc placé Nika et Sarouh non loin d’eux pour les protéger. Je connais leurs incroyables esprits stratégiques. En seconde ligne, ils auraient eu le temps d’analyser la situation et d’agir avec efficacité.
— Tu avais deviné que je suis également Suiton et tu as jugé que j’étais un poids mort pour me placer avec votre infirmière ? l’interrogea le Gensouard. Tu me sous-estimes un peu, non ?
Malgré les mots choisis, Chiraku n’était pas agressif et ne semblait pas vexé non plus. Cherchait-il à perturber son interlocuteur ? Stoïque, Tokri répondit par la négative d’un bref mouvement de tête.
— Pas du tout. Je me suis juste dit qu’étant Chuunin, tu devais être un minimum compétent et que tu serais à même de protéger Izul en dernier recours. Du moins, je l’espérais.
Cette réponse arracha un rire franc au Mizu, et un léger ricanement de Sarouh et Cacaunoy. Tokri haussa un sourcil, étonné par la soudaine symbiose des Gensouards à ce rire.
— Un minimum compétent, sérieusement ? réagit Cacaunoy en redressant une mèche de cheveux.
— J’ai été finaliste au Tournoi des Genins tout de même, ajouta Chiraku en bombant faussement le torse.
— Les Mizu sont l’un des clans les plus réputés de Gensou, lui expliqua le Tsumyo avec un léger sourire amusé. Chiraku est l’un des plus doués de sa génération.
Étonné, Tokri détailla plus attentivement le Gensouard. Traîné par son grand-père qui cherchait alors à le motiver dans ses études, l’Utak avait assisté à l’intégralité des matchs. A présent Genin, il espérait secrètement qu’un tel Tournoi soit à nouveau organisé par les Trois. Se mesurer aux Genins des autres Villages serait un bon moyen de tester ses compétences.
Réagissant à la précision du Tsumyo, Chiraku lui fit un clin d’oeil tout en reprenant la parole d’un ton malicieux et provocateur :
— Et j’ai encore progressé depuis notre dernière rencontre, mon petit Sarouh !
— Ta tête ne me revient pas pourtant, lâcha Tokri, défendant instinctivement son ami.
Outre le fait de ne pas avoir apprécié la pique gratuite faite à l’Illusioniste, l’information était exacte. Il lui arrivait d’être physionomiste, en particulier avec les personnes ayant retenu son attention. Ce n’était pas le cas du Mizu, malgré sa position de finaliste. Chiraku détourna le regard, visiblement vexé. Tokri hésita à enfoncer le clou en rappelant que le tournoi avait été remporté par une Chikarate, mais le regard inquisiteur de Gomaki l’en dissuada. Mieux valait en rester là.
Si Chiraku avait participé au Tournoi, cela devait signifier que Sarouh et Cacaunoy en avaient fait de même. A l’inverse de Chiraku, il avait le sentiment d’avoir déjà croisé la Marwais. Et cette impression allait au-delà de la similitude de leurs comportements.
— Tu y as participé également ? demanda le curieux Genin à l’épéiste.
Cacaunoy se mordit une lèvre, n’appréciant visiblement pas la question. Le Tsumyo détourna également le regard, évoquant un prisonnier cherchant à s’évader de sa cellule.
— J’ai été exclue pour avoir blessé gravement un participant.
Soudain, tout s’éclaircit dans l’esprit de Tokri. Les souvenirs de l’un des matchs qui l'avaient le plus impressionné lui revint à l’esprit : une jeune brune qui, malgré un talent certain, avait été surclassée par une armoire à glace de Mahou munie d’une épée gargantuesque. Mais alors que la victoire semblait acquise au géant, l’épéiste avait déployé un terrifiant pouvoir. Devenue comme possédée, elle avait vaincu en un clin d'œil le Mahousard et tenta de le tuer, poussant les Chuunins en charge de l’arbitrage à la maîtriser.
Cette brune, c’était Cacaunoy Marwais. L’Utak en était persuadé. Il s’interrogea alors sur le pouvoir de sa vis-à-vis. Héréditaire, ou véritablement un cas de possession ? Le second cas avait été la rumeur la plus persistante suite à son combat, mais Tokri n’y avait jamais cru. Il existait bien des créatures mortelles à travers le Yuukan, mais jamais il n’avait lu la preuve de l’existence d’esprits frappeurs. Il jeta un discret regard à son sensei, dont l’expression intensément sérieuse confirma ses déductions.
— Et quant à toi, Sarouh ? osa demander Nika afin de rompre le silence pesant qui venait de s’installer. Vous étiez ensemble à ce moment, si j’ai bien compris ?
Loin de relancer la conversation, le silence se fit encore plus oppressant. Conscient du malaise, Gomaki se leva et demanda à Sarouh et Nika de relever Izul et Mutika. Lui-même allait remplacer son cadet. Avant de partir, le Juunin se tourna vers Tokri tout en s’allumant une cigarette :
— Une remarque, jeune homme. Tu aurais dû interroger Cacaunoy et Chiraku avant d’acter ta formation, lui reprocha t-il. Tes analyses et décisions sont excellentes, mais tu ne peux les fonder sur des doutes facilement éludables.
— Bien, sensei, s’inclina Tokri, conscient que son mentor avait totalement raison.
Le Myô lui tapota affectueusement l’épaule avant de se diriger vers son frère. Avant de se séparer, l’Utak aperçut Nika glisser un mot à l’oreille de Sarouh. Ce dernier esquissa un léger sourire, manifestement touché. Le guerrier du désert en fit de même, convaincu qu’il s’agissait de mots réconfortants.
Attendant que ses amis le rejoignent, Tokri vit que Cacaunoy se dirigeait vers le Tsumyo. Chiraku l’intercepta discrètement et lui chuchota quelque chose. La brune afficha une moue dépitée, lui tourna brusquement le dos et alla se réfugier dans sa tente sans un regard de plus pour le Mizu, qui soupira avant d’en faire de même.
Izul, Mutika et Kiame prirent place autour du feu de camp, laissant le temps à Tokri d’organiser ses pensées. A peine furent-ils installés que l’Utak leur lâcha un placide :
— J’ai pas mal de choses à vous rapporter.
Tokri leur raconta son échange avec les Gensouards, regrettant en son for intérieur que Nika soit de garde. Son point de vue leur aurait été utile pour déterminer de ce qu’ils devaient faire vis-à-vis du Tsumyo.
Les Genins l’écoutèrent attentivement lorsqu’il détailla ses conclusions. Entre les informations qu’il venait de récolter et les diverses réactions de leurs homologues de la Cascade, il était clair qu’une ancienne équipe de Sarouh venait d’être réunie. Et au vu des tensions, leur histoire s’était mal terminée.
— C’est sûrement l’une de ses premières équipes, avança Kiame.
— La fille qui a terrorisé toute l'arène et le finaliste du tournoi, énuméra Izul, menton posé contre ses genoux. Pas étonnant qu’il doute de lui-même malgré tout son talent.
Kiame et Tokri échangèrent un regard. L’amertume était palpable dans la voix tremblotante de la Leïl.
— Il m’avait parlé de son voyage à Chikara, ajouta-t-elle en fixant ses pieds. Cela avait l’air d’être un bon souvenir. Mais visiblement, je n’avais rien compris.
L’Utak se rapprocha d’elle, le cœur serré. Que la jeune femme s’en veuille ainsi était injuste. Sarouh avait été élevé en shinobi et personne n’aurait pu déduire son passé jusqu’à l’arrivée de ses anciens collègues. Le Genin posa doucement une main sur l’épaule de la jeune femme.
— Ne te culpabilise pas pour quelque chose sur lequel tu n’as aucun contrôle. S’il n’a rien laissé filtrer sur le moment, c’est certainement car il se concentrait sur le positif.
Izul releva la tête et lui adressa un sourire de remerciement, qui accéléra les battements du cœur de Tokri. Soutenant son regard, le garçon sentit toutefois que sa partenaire ne lui disait pas tout. Il n’insista pas, elle savait que la porte était ouverte.
Kiame se gratta une joue, visiblement gêné de se retrouver à tenir la chandelle. Il s’éclaircit la gorge afin de rappeler sa présence :
— On en parle de ses yeux ? C’était quoi son numéro durant le briefing ?
A contrecœur, Tokri arracha sa plongée dans l’émeraude d’Izul pour réfléchir à la légitime question du Myô.
— Je suis presque persuadé qu’il n’en a pas eu conscience, répondit le chef des Genins.
Il observa l’Illusioniste, concentré sur sa surveillance. La nuit semblait calme et Gomaki était également de garde. Autrement dit, aller discuter avec Sarouh ne représentait que peu de danger. Tokri prit sa décision et se leva. Si cela dérangeait le Juunin, il n’aurait qu’à le rabrouer de toute manière.
— Qu’est ce que tu fais ? s’étonna Kiame.
— L’un de nous doit tâter le terrain avec le concerné, expliqua tranquillement Tokri, mains d’ors et déjà dans les poches.
Il fit un clin d’oeil à la Leïl avant d’ajouter avec ironie à l’attention du blondinet :
— Veux-tu t'en charger ?
Kiame toussota, faisant semblant de s’étouffer. La petite scène arracha un léger rire à Izul. Satisfait, l’Utak alla à la rencontre de leur ami qui lui tournait le dos, bras croisés. Une fois à sa hauteur, Tokri constata qu’il se mordillait le pouce. Un signe désormais familier de son anxiété.
— Salut mec, le salua l’Utak.
Perdu dans ses pensées, seul un marmonnement évasif du Gensouard lui répondit. Une brise souleva quelques mèches du visage de Tokri, lui arrachant un frisson. Il se frotta les bras, avant de remettre ses mains dans ses poches. Sarouh le remarqua et lui adressa un sourire narquois :
— Le grand combattant craint le vent marin ?
— Tu faisais moins le malin quand tu rôtissais chez nous.
Sarouh ricana brièvement à sa répartie. Tokri avait consciemment exagéré le geste afin d’attirer son attention. Mieux valait partir sur des plaisanteries que d’attaquer directement les sujets qui fâchent.
— Tu veux parler ? lui demanda le taijutsuka.
— Y’a pas grand chose à dire, rétorqua Sarouh, presque dans un soupir.
L’Utak fit quelques pas et se positionna juste à côté de lui, de sorte qu’il puisse le regarder droit dans les yeux s’il le souhaitait.
— J’ai le sentiment que c’est tout le contraire, affirma Tokri en désignant les tentes de Cacaunou et Chiraku d’un mouvement de tête. Ils sont quoi pour toi ?
Le Tsumyo poussa un profond soupir. Était-il déjà exaspéré ? Ou était-ce les souvenirs qui le lacéraient moralement ?
— Ce que tu peux être borné.
— En ce qui concerne mes amis ? Complètement, ricana l’Utak.
Un franc sourire se dessina sur le visage du Gensouard, qui savait que les déclarations aussi manifestes étaient un événement rare venant du Genin, bien que ce dernier trouvait que cela devenait à son goût légèrement trop récurrent. Sarouh se tourna vers lui et planta ses yeux verts droits dans les siens :
— C’était ma première équipe. Je leur faisais confiance et ils m’ont trahis.
Il détourna le regard, qui se voila de tristesse, pour se plonger dans sa surveillance. Tokri le connaissait toutefois suffisamment bien pour savoir qu’il se replongeait dans son introspection solitaire.
— Je te raconterai la suite plus tard si tu le souhaites, ajouta toutefois le Chuunin. Le moment est mal choisi. Réglons d’abord cette histoire, ok ?
— Comme tu le sens.
Tokri s'apprêtait à rejoindre Izul et Kiame, lorsqu’un détail important lui revint en mémoire. Comment avait-il pu oublier cela alors que c’est ce sujet qui l’avait décidé à venir lui parler ?
— Sarouh ? Une dernière chose et je te laisse.
Etonné de son revirement, le Tsumyo se tourna vers lui et l’interrogea du regard. Il crut même y lire une sorte d’appréhension.
— Durant le briefing, tes yeux se sont illuminés. Tu t’en es rendu compte ?
Un regard écarquillé par la stupéfaction l’informa que non. D’instinct, il se mit à se mordiller le pouce avant de se frotter les cheveux. Pas de doute, l’information le décontenancait. L’Utak se pinça une lèvre, se reprochant silencieusement son manque de tact.
— Il faut que j’y réfléchisse aussi, bafouilla Sarouh. Merci de me l’avoir dit.
— De rien, répondit Tokri, qui ne voyait pas quoi ajouter.
Alors qu’il s’éloignait, il l’entendit chuchoter pour lui-même, tout en se frottant le visage :
— Que m’avez-vous cacher d’autres, bordel ?
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