André vit seul et vient d'avoir soixante ans. Il a passé quelques années de sa vie avec Armelle, enseignante en langues mortes. Elle est maintenant décédée depuis deux ans. Il n'a pas encore validé assez de trimestres pour jouir d'une pension de retraite complète. Il a toujours trimé et ne se fait pas à l'idée d'être sans activité. Toute sa vie, il a travaillé en tant que gardien à la Faculté de droit de Nancy. Le virus étant passé par là, les cours ont eu lieu dans un premier temps en mode hybride et ensuite tout le monde est rentré chez soi.

Les étudiants suivent les cours magistraux en ligne. Le télétravail est à la mode. L'ensemble des enseignants-chercheurs passe la journée devant l'écran. L'université est vide, ne reste qu'André. Le doyen n'a pas eu le cœur de le renvoyer chez lui. La faculté est comme sa seconde maison. Il est donc seul dans ce grand bâtiment. Il passe, comme à son habitude, dans les bureaux et, faute de pouvoir parler avec le personnel, il cause aux écrans. Il devient fou petit à petit.

Les souris ont envahi les lieux et se promènent à leur aise dans les amphithéâtres, le foyer, le restaurant et la bibliothèque universitaire. Un de leur gène atteint par le quovide a muté. Autrefois omnivores, maintenant, les rongeurs ont un goût prononcé pour le sucre et ne consomment que des friandises. Elles se sont ruées sur les distributeurs automatiques de Bounty, Mars, Snickers... boudés par les étudiants pressés de rentrer chez eux. Elles dévorent comme des ogres toutes les sucreries. Les ressources s'amenuisent. Tous les regards convergent sur l'ultime sachet de Dragibus. Ce dernier avalé, elles n'ont plus rien à manger.

Seul André est là et prend son dernier café. Il a toujours été diabétique.