Prologue (Zéphyr)
Croyez-le ou non, je vous assure que je n’ai commis aucun régicide.
Pourtant, me voici menotté et obligé de me prosterner devant un hypocrite confortablement installé sur son trône doré. J’aurais dû flairer le piège. J’aurais dû refuser sa proposition, ne pas choisir la facilité mais il est trop tard pour regretter.
- Nous sommes réunis en ce jour pour prononcer le jugement de Zéphyr.
Je relève la tête et lui lance un regard froid. Si je pouvais lui retirer son sourire suffisant et son attitude hautaine… Non, non. Ne jamais montrer ses émotions. La meilleure défense est cette façade que j'entretiens chaque jour. Plus je la renforce, moins mon cœur en souffrira. Je le dévisage donc sans un mot, attendant son discours avec lassitude.
- Vous avez devant vous... Le meurtrier de mon père, le Roi Alexandre.
Sa voix forte résonne dans la salle, et les courtisans murmurent entre eux, certainement outrés. Je lorgne leur étoffes luxueuses et leurs bijoux, pendant que le Prince décrit toutes les horreurs que je suis censé avoir commises. Ceux-ci réagissent à chacune de ses paroles si exagérément que dans une autre situation, j’aurais pu trouver cela comique. Toutes les occasions sont bonnes pour lécher les bottes de Sa Majesté !
L’un des gardes les plus proches me secoue brutalement. Je me retiens de riposter et me contente de poser les yeux sur le Prince, le visage impassible. La satisfaction qui se lit sur ses traits me consume. Quand je serais libre, il me le payera.
- Maintenant que l'accusé est à nouveau attentif, il est prêt à recevoir son jugement.
Si je n'avais pas les poignets attachés dans le dos, je lui aurais volontier offert mon majeur en guise de réponse. A la place, je réponds, railleur.
- Tu peux abréger ? Je n’ai pas la journée devant moi.
Mes joues s’étirent et un sourire mauvais se dessine. Encaisse, Prince de pacotille. Regarde le respect que je te témoigne, et à quel point j’entache ton image devant ton entourage. Rassure toi, ce n’est que le début de ma vengeance.
Henry ne sourit plus maintenant. Il m’insulte sûrement de tous les noms derrière son masque de politesse. C’est à son tour de voir son esprit exploser tel un volcan en éruption. La salle est silencieuse. Tout le monde attend la réponse de l’héritier.
Celle-ci ne tarde pas à venir.
- Faites taire cet impertinent que je puisse finir cette audience.
Les gardes me bâillonnent et malgré mes efforts pour leur rendre la tâche difficile, je suis impuissant. Henry reprend, après avoir vérifié que je ne suis plus en mesure de lui tenir tête verbalement.
- En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, moi Henry, futur roi d’Eldory, condamne l’accusé, Zéphyr, à la réclusion criminelle à perpétuité.
Un tonnerre d’applaudissement se fait entendre. On se croirait au théâtre, ma parole ! Quels aveugles, ils ne savent même pas que leur Prince est en train de jeter l’un de ses complices derrière les barreaux. S’ils savaient que le Roi ne siège plus sur le trône à cause de la cupidité de son descendant… Il ne mérite ni de régner, ni de mourir.
Ils savent peut-être déjà, je réalise. Cependant, cela ne les dérange sûrement pas, tant qu’ils peuvent continuer à vivre dans le luxe au palais.
La salle se vide progressivement de la cour, et lorsque le dernier admirateur disparaît, Henry se lève. Il chasse une poussière inexistante sur sa veste et s’avance nonchalamment. Sa main gantée relève mon menton, me forçant à regarder le visage sans défaut que je brûle de déchiqueter. A côté de moi, les gardes se sont figés, main sur leur épée, prêts à intervenir au moindre de mes mouvements.
- Tu as perdu Zéphyr.
Son regard méprisant me glisse dessus, et je ne réagis pas. Il a raison. Mais cela m’est égal, je trouverai un moyen de m’échapper, et je me vengerai.
- Sache que je mettrai très bientôt la main sur tes complices, et que tu m'y aideras. De ton plein grés ou pas... Cela m'est égal.
Je ne te ménagerai pas non plus Henry, me hurle ma conscience. Tu vas souffrir, rien que pour ton mépris envers mon royaume natal. Je ferai honneur aux miens, et je n’aurais aucun scrupule à te destituer de ton trône comme ton père avant toi !
Je vais détruire ta vie comme tu comptes détruire la mienne.
- Je devrais t'exécuter sur le champ par égard pour mon père, mais je suis certain qu'il ne serait pas contre le fait que je te cuisine d'abord.
Je lève les yeux au ciel. Premièrement, s'il avait ne serait-ce qu'une once d'estime envers son prédécesseur, il n'aurait pas aidé des résistants à entrer au palais. Il ne leur aurait pas non plus révélé que son père possédait une mémoire si défaillante qu'il n'était donc pas capable de diriger un royaume. Deuxièmement, son ton mielleux ne trompe personne. Il n’a que faire de mon ennui. Les seules choses qui le pousseront à se déplacer sont les informations que je suis en mesure de donner. Seul un idiot ne comprendrait pas ce qu’il sous-entend.
La torture.
Il n’est pas le premier à me l’infliger, et il ne sera pas le dernier. Je vais m’évader, pour Hermine, pour Constant, pour mon pays, pour mon âme-liée…
Ignorant le brasier qui s'est allumé en moi, le nouveau roi fait signe aux gardes qui me retenaient. On me force à me lever et à quitter la salle immense où mon jugement a été prononcé.
On me Jette dans une pièce insalubre dont les murs en pierre sont striés de marques. Je tente de me relever et me reçois un coup de pied dans le ventre. Les gardes m'enchainent au mur, laissant juste assez de longueur pour que je puisse parcourir la moitié de ma cellule, avant de se retirer.
Le visage couvert du mélange verdâtre puant qui tapisse le sol, je manque de vomir. Dans ma tête, les pensées se bousculent. L'espace d'un instant, je vois Henry dans le couloir, souriant face à mon malheur. De ses paroles, presque entièrement masquées par le grincement de la lourde porte, je ne retiens qu'une phrase qui me révulse.
- Passe une bonne fin de vie dans ton enfer personnel !

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