Chapitre 21 : (Zéphyr)
- Quoi ?!
Je n’ai pas bien entendu, c’est certain. Aurore répète :
- Tu ne seras plus torturé.
Les mots, d’abord sans importance, prennent sens un à un, et se gravent dans mon esprit. J’ai du mal à y croire. Je ne veux pas prendre le risque de voir mon espoir s’effondrer encore une fois.
- Tu veux que je te le redise ? me demande-t-elle, consciente que l’information est difficile à digérer. J’ai convaincu Henry de…
- Non, cela ira, merci, dis-je en levant la main pour l’arrêter.
La fin de l’Enfer.
Non, plutôt le début de cette fin. Je ne suis plus dans le noir, une lueur d’espoir est apparue, enfin, au bout de ce tunnel de souffrance. Une vague de reconnaissance et de soulagement me submerge. Je suis heureux, et je souris pour la première fois depuis un an.
Je souris vraiment.
Et les larmes inondent mes yeux, sans que je m’en rende compte, car c’est fini, c’est fini, et c’est tout ce qui compte pour moi. Et je pleure, je pleure vraiment parce que je réalise à quel point j’ai cru que tout cela ne finirait jamais, j’ai cru devenir fou et insensible, j’ai eu tellement peur, et grâce à cette jeune femme devant moi, j’ai une chance, et quand elle me demande si tout va bien, je lui réponds que je vais tellement bien, que mes larmes sont les larmes d’une immense joie que je ne contrôle pas, et je lui dis merci, je lui répète encore et encore ce même mot si petit et si puissant. Je la serre dans mes bras pour lui montrer ma gratitude.
Elle se raidit. Je m’écarte d’elle ; sa réaction me fait reprendre mes esprits. Elle agit comme si elle avait été brûlée. J’essuie d’un revers de la main mes yeux baignés de larmes et me force à me reprendre, à refouler toutes mes émotions au fond de moi.
- Excuse-moi, je ne voulais pas t’importuner. J’ai eu un moment de faiblesse.
- Non, ce n’est pas grave, dit-elle en rougissant un peu.
Le silence s’installe. Je regarde mes chaînes, ne sachant pas quoi dire pour le briser. J’examine le mécanisme et, comme tant d’autres fois depuis que je suis ici, je fais tourner les chaînes à la recherche de la moindre imperfection qui me permettrait de les enlever. Et, comme toujours, appart des traces de coups, de griffes, le métal est très peu endommagé. À côté de moi, Aurore enlève une épingle de ses cheveux et l’enfonce dans la serrure de ses menottes. Elle casse l’épingle, en reprend une autre, et réessaie. Dans un coin de la cellule, les tiges de fer qui faisaient gonfler sa robe reposent, tordues. Elles ne sont pas assez rigides pour que l’on fabrique de réelles armes avec, et pas assez fines pour la serrure. Autrement dit, inutiles. Je soupire. M’adosse contre le mur de pierre.
Depuis un an, le temps fonctionne au ralenti. Je peux imaginer les aiguilles avancer comme elles veulent, aussi lentement qu’elles le souhaitent.
Les secondes,
les minutes,
les heures,
le temps lui-même,
me torture.
Il m’offre une réserve presque inépuisable de temps alors que je vis dans une pièce étroite où s’occuper se révèle impossible. On passe nos journées à ressasser notre passé, à essayer de comprendre tout ce qui nous a menés là, à quel point on a été bête de n’avoir rien vu venir. On se perd dans des souvenirs heureux, on les peint avec nostalgie. On imagine le futur. On se demande si l’on est condamné jusqu’à la fin de notre vie, et si l’on aura une chance de revoir ceux qui nous ont aimés, si l’on reprendra notre vie comme avant. On se pose tant de questions…
Et le pire,
C’est que l’on n’obtient jamais de réponses.
Et nos questions deviennent des obsessions. À devenir fou. Je balaye mes pensées noires de mon esprit. Je les enferme à double tour dans un coffre imaginaire. J’y rajoute des tonnes de chaînes, même si je sais que cela est inutile. Je finis toujours par ouvrir cette boîte de moi-même.
- Tes parents savent pour ton arrestation ?
Elle lève la tête, le regard sombre.
- Et toi ? fait-elle, plutôt que de répondre.
Je ne sais que répondre. J’ai posé la première question qui m’est passée par la tête. Peut-être que je n’aurais pas dû.
- Mes parents, je commence… je ne les ai jamais connus.
Elle me regarde, interdite.
- Je suis désolée, je n’aurais pas dû te retourner la question.
- Non, ne t’excuse pas, je lui dis, surpris de sa réaction.
- Mais j’ai fait ressurgir de mauvais souvenirs enfouis, cela se voit !
- Non, pas du tout ! Je la coupe. Tu n’as pas fait ressortir de mauvais souvenirs ! C’est vrai que je ne connais pas mes parents du tout, qu’ils soient morts ou en vie, mais je n’en souffre pas. J’ai juste été élevé… différemment.
Je me force à rester vague. Nous sommes sur un terrain de conversation glissant et je n’ai pas envie de dire que je ne viens pas d’Eldory.
- Mes parents, à moi, m’ont abandonnée il y a bien longtemps, me confie Aurore.
Son expression est neutre, mais je vois bien qu’au fond, son cœur se serre. Elle souffre. Je n’ose pas la pousser à s’expliquer. Elle le fait toutefois.
- Mon père est mort quand j'avais six ans Il travaillait dans la garde du palais, je crois. Ma mère, quand elle l'a appris..... Elle n'a pas supporté, Comme moi.
Je lui tends ma main et elle la prend. Ses yeux brillants se lèvent vers moi.
- Nous avons tous perdu des gens importants dans notre vie. Malgré cela, il faut trouver le courage d'avancer, en acceptant de laisser derrière nous le passé.
Elle hoche la tête.
- Il y a quelqu’un que j’ai laissé derrière moi, cependant, dit-elle, Luffy… et qui doit s’inquiéter de ne pas me revoir venir. Mon chien. Il m’a aidée de nombreuses fois quand j’étais seule et à la rue. Très intelligent, mais…
Elle ne finit pas sa phrase, rongée par l’inquiétude.
- J’ai laissé derrière moi deux personnes qui devaient m’aider à… faire ce que j’avais à faire. On s’est fait repérer quand on essayait de fuir. Je les ai abandonnés pour leur faire gagner du temps et leur donner une chance de s’en sortir.
Hermine et Constant.
Je repense à eux. Je ne sais pas s’ils se sont fait attraper comme moi, s’ils sont toujours à Eldory ou s’ils sont repartis à Ezendéria.
J’espère.
- Je pense pas, commence Aurore, qu’ils se soient fait attraper. Sinon Henry l’aurait dit, il se serait servi d’eux pour te faire pression.
Son raisonnement se tient et me réchauffe le cœur. Un poids entier se libère de mes épaules. Je soupire de soulagement.
- J’ai… une question, dit Aurore hésitante, à te poser.
- Vas-y, je l’encourage.
- As-tu vraiment tué le Roi ?
Je me fige, la regarde. Dans ses yeux ne brille aucune lueur d'amusement. Elle est sérieuse. Elle croit vraiment que... Mon visage se ferme. Ne pas se mettre en colère. Ne pas se mettre en colère.
- Non, je ne l'ai pas tué.
Ses épaules se relachent imperceptiblement, comme si cette phrase l'avait rassurée.
- Pourquoi Henry est-il au pouvoir dans ce cas ?
Je prends un court instant pour réfléchir à ma réponse. Il faut lui en dire juste assez pour qu'elle me croit, tout en ne révélant pas d'informations confidentielles. J'inspire, puis tente quelque chose.
- On m’a demandé de le relever de ses fonctions. Mes supérieurs pensent qu’il était atteint d’une mémoire défaillante sur le long terme et qu’il pouvait facilement être manipulable. Ma mission était de faire remplacer l’ancien Roi par un autre, n’importe qui, du moment qu’il était normal, avec une mémoire stable. À aucun moment il n’a été question de meurtre, de près comme de loin.
- Mais où est l’ancien Roi, alors ?
- Je n’en sais rien ! Je m’énerve face à son manque de confiance. Il se balade peut-être au troisième niveau, sans souvenirs de sa vie d’avant ! Ou Henry l'a peut-être jeté à la mer !
- Je ne comprends pas, c’est tout, murmure Aurore, troublée. Je n’arrive pas à te voir comme un meurtrier… mais d’un autre côté… comment se fait-il que l’ancien Roi soit introuvable s’il n’est pas mort ? Que personne ne l’ait vu ou reconnu ?
- Je ne sais pas… je soupire, las. Tu n’es pas obligée de me croire ou de te faire une opinion tout de suite. Tant que tu ne me considères pas comme un monstre.
La simple pensée qu’elle puisse me voir de la sorte me répugne.
- Même si tout ce qu’on m’avait dit de toi était vrai, je ne pourrais pas te voir comme ça après t’avoir vu presque mort, dit-elle en me regardant droit dans les yeux.
- On ferait mieux de se reposer un peu, je dis après un long silence. Tu prends le lit cette fois.
- Mais ! Elle proteste alors que je me lève.
- Je vais mieux, je la rassure. Et j’ai une veste pour me tenir chaud.
Je lui montre la veste d’Henry. Elle soupire mais s’allonge sur la planche de bois. Je la regarde se mettre dans une position confortable, malgré sa robe encombrante. Cela fait si peu de temps que je la connais et j’ai l’impression de l’avoir rencontrée pour la première fois il y a des années. J’aimerais tellement lui révéler tout ce que je garde pour moi ! Si elle et le Roi ne se côtoyaient pas aussi souvent, je lui aurais parlé de mon royaume depuis longtemps. Je lui aurais tout dit et, je le sens, elle m’aurait cru.
Elle m’aurait plus apprécié.
Elle m’aurait donné sa confiance.
Cela fait trop longtemps que j’ai le sentiment de me noyer dans un océan sombre lors d’une tempête. J’ai tenu bon au début, j’ai attendu les secours, et ils ne sont jamais venus. Je me suis noyé, et Henry a pris plaisir à mettre ma tête sous l’eau, m’empêchant de reprendre mon souffle. Je sombrais, quand elle m’a tendu la main. Elle m’a repêché alors que j’avais un pied de l’autre côté. Elle m’a sauvé la vie. Maintenant, je suis toujours au cœur de la tempête déchaînée,
mais j’ai une bouée de sauvetage.
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