Chapitre 23 : Charline

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La soirée se poursuivait tranquillement jusqu’à ce que Benjamin décrétât qu’il était temps de quitter son appartement. La discothèque privatisée pour l’occasion se trouvait à une vingtaine de minutes en métro.

Anna marchait aux côtés de Mariam et Raphaël dont elle appréciait la conversation. Mais, arrivée en haut des marches de la bouche de métro, elle se mit à hésiter. Instinctivement. Elle ne craignait pas grand-chose, ainsi accompagnée, mais c’était plus fort qu’elle. Elle revivait à chaque fois les mêmes désagréables sensations.

Mariam et Raphaël se retournèrent vers elle, l’interrogeant du regard. Pierre arriva au même moment derrière Anna et lui prit le bras avant de rejoindre ses deux amis plus bas. Une fois qu’ils furent tous entrés dans le wagon, Pierre murmura à Anna :

  • Il y a encore du travail à faire. Tu devrais t’entraîner à prendre le métro avec des gens de confiance et maîtriser ta peur.

Anna ne broncha pas et compta inconsciemment les secondes comme si cela pouvait faire accélérer le temps. Elle se cramponna nerveusement au dossier d’un siège. Quand Pierre remarqua la crispation d’Anna, il posa l’une de ses mains un court instant sur celles de son amie. Cette dernière se força alors à détendre sa prise.

Raphaël fit un signe de tête à Mariam qui constata elle aussi l’attitude protectrice de Pierre sur Anna qui n’était pas à son aise dans le métro.

  • Tu crois qu’elle est claustrophobe ? chuchota Raphaël.
  • Ce serait dommage pour une parisienne.
  • En tout cas, je commence à comprendre pourquoi notre Pierre reste célibataire depuis un moment. Malgré toutes celles qui ont pu se proposer à lui.
  • Tu crois ?

Mariam zieuta à nouveau Pierre et Anna : Raphaël, pouvait-il avoir raison ? Depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vu avec une fille ? Il était resté avec Laura près de deux ans et demi. Ensuite, elle n’arrivait même pas à se souvenir de tous les prénoms des filles qu’elle avait pu rencontrer en sa compagnie. Mais Raphaël avait raison sur un point : Pierre ne s’était plus affiché avec personne depuis la rentrée de l’année passée.

  • Pourtant pour avoir discuté plus que toi avec Anna, ils … ils n’entretiennent pas du tout ce genre de relation.
  • Pas encore, corrigea Raphaël.
  • Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
  • Mon instinct d’homme, se marra Raphaël.
  • Pour ce qu’il vaut ! nargua-t-elle. Dois-je te rappeler que tu as offert des chaussettes à Ophélie pour la Saint-Valentin ?
  • Elle a toujours les pieds froids !

Ils éclatèrent de rire tous les deux. D’un rire qui rendait parfois jaloux leurs compagnons respectifs : leur proximité n’avait pas toujours été facile à accepter.

*

* *

Anna marqua un temps d’arrêt en pénétrant dans l’immense discothèque déjà bien remplie : il ne pouvait pas n’y avoir que des étudiants de droit. Mariam l’interpella à temps pour qu’elle les suive dans un coin où de petites banquettes étaient disposées.

À tout instant, Raphaël, Pierre, Benjamin et Mariam envoyaient des signes de mains ou de francs saluts vers d’autres étudiants. Ils s’absentèrent à tour de rôle pour aller au bar, sur la piste de danse, ou ailleurs. Quant à Anna, elle resta scotchée à sa banquette.

Au bout d’un moment, Benjamin s’en inquiéta et lui demanda si elle refusait de les accompagner sur la piste parce qu’elle n’aimait pas danser.

  • Ça ne la dérange pas de danser, répondit Pierre pour elle. Au contraire même.
  • Alors peut-être que tu danses mal ? chercha à savoir Benjam’. Tu sais ce n’est pas grave ! Regarde : beaucoup se contentent de bouger dans tous les sens !
  • Elle savait très bien danser le soir de la Saint-Sylvestre, rétorqua Pierre.

Anna leva la main pour montrer qu’elle aimerait bien enfin participer à la conversation qui l’intéressait elle et non Pierre.

  • Tu ne devrais pas dire ça, rétorqua-t-elle en pointant un index sur son ami. Premièrement, tu n’as pas dansé avec moi et deuxièmement, tu ignores si je leur ai marché sur les pieds.
  • Tu n’as même pas invité ton amie à danser le dernier jour de l’année ? s’étonna Mariam.
  • Il était très demandé.

Pierre encaissa sa répartie avant d’opiner légèrement : il n’en revenait pas.

  • Oui, avoua Raphaël, il a toujours eu un certain succès auprès des filles mais…
  • Et des garçons, l'interrompit Anna.
  • Des garçons ? relevèrent les trois amis de Pierre en même temps.

Pierre accorda un regard à chacun de ses amis, soupira puis leur révéla :

  • Nous étions sortis dans un bar gay.
  • Gay ? répéta Benjamin étonné.
  • J’ai trouvé pour la sanction ! s’exclama Pierre avec évidence. Je n’aurais pu avoir d’idée meilleure ! Charline est bien célibataire, ces derniers temps, n’est-ce pas ?

Raphaël et Benjamin ne semblaient pas comprendre où Pierre voulait en venir, mais Mariam avait déjà deviné :

  • Tu veux faire danser Anna avec Charline ? Simplement parce que je devine que tu as dû danser avec des mecs, alors tu veux lui rendre la pareille ?

Pierre hocha la tête silencieusement et se contenta d’observer la réaction d’Anna.

  • J’imagine que Charline est lesbienne, déchiffra Anna.
  • Oui, et pour tout te dire, très frivole, révéla Raphaël.
  • Alors, je vais aller la rencontrer.

Anna se leva et montra qu’elle acceptait sa sanction sans rechigner. Raphaël se proposa pour l’accompagner. Dès qu’ils se furent éloignés, Benjamin se pencha vers Pierre :

  • Tu as vraiment dansé avec des mecs ?

Pierre leur expliqua un peu le pourquoi du comment, ils avaient fini dans un bar gay. Il conclut en affirmant que la sanction qu’il proposait à Anna n’était donc qu’un juste retour de ce qu’il avait subi.

  • Moi je crois qu’elle prend plutôt bien sa sanction, nota Mariam. Je suis même persuadée qu’elle va s’en amuser. Elle n’a pas été le moins du monde gênée de ton idée.
  • J’ai hâte de voir ça ! s’impatienta Benjamin avec un brin d’excitation.

Raphaël s’occupait déjà des présentations entre Anna et Charline. Les deux filles discutèrent un moment après que Raphaël les eût laissées. Elles choquèrent leur verre quand la musique leur plut et s’avancèrent vers la piste de dance.

Anna ne redoutait en rien de danser avec Charline. Cette dernière lui avait même avoué qu'elle était à son goût. Anna avait dansé tant de fois avec Mélia, de façon parfois totalement indécente, juste pour s’amuser. Pierre n’imaginait sans doute pas que ce qu’il lui demandait était pour elle facile. Les deux amies étaient même allées jusqu’à s’embrasser, à l’époque du collège. Pour s’entraîner.

Si Charline insistait, elle pourrait donc même lui permettre un baiser rapide. Échanger un baiser avec une fille ne la dégoûtait pas. Bien plus facile qu’avec un garçon. Car pour elle, ce n’était ni plus ni moins qu’un jeu. Un exercice de collégienne. Avec un garçon, échanger un baiser signifiait toujours autre chose.

Pierre écarquilla les yeux quand Charline et Anna commencèrent à danser sensuellement. Il l’avait observé à la Saint-Sylvestre, mais là, ça dépassait ce à quoi il s’attendait. Mariam avait raison : Anna n’était en rien gênée et semblait même s’amuser.

Benjamin, lui aussi bluffé, interrogea à voix haute :

  • Elle n’aurait pas un petit côté lesbien ou bi ? Et … mais…

Les dernières notes du morceau s’égrenaient lorsqu'Anna laissa Charline lui voler un baiser. Mariam éclata de rire devant la tête de ses trois amis tout en soulignant le cran d’Anna.

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