Libre service (ça rime avec justice)

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Matthias me plait, c’est pas ça, mais j’ai refusé, je ne pourrais pas. Plus.

Et c’est pas que je sois snob, non, c’est juste l’ambiance des campings, on est les uns sur les autres, chacun voit – et entend ! - ce que le voisin fait, c’est le manque d’intimité qui me bloque, je crois. Ça et le fait de dormir dans ce qui n’est jamais qu’un abri de jardin sur roues.

Puis il y a ce… petit truc de culpabilité qui me poursuivra toujours. Mais s’il n’y a pas eu de témoins, alors peut-être … qu’on peut dire … que ce n’est jamais arrivé, non ?

(***)

- Tu viendrais samedi au camping ? Genre 19h ?’’ a dit Esteban, plus qu’il ne l’a demandé.

- Pour que tu te tires à 21h avec un mec, que tu rentres passé minuit, puis que tu me racontes dans le détail, comme l’autre fois ?

- Je resterai, cette fois, il y aura quelqu’un qui m’y retiendra. Alleeez …

- Hmmm … ‘K.

- Après, mes parents ne veulent pas que j’invite des potes, les autres résidents sont des cafteurs, tu retrouveras, je me dis, comme l’autre fois, sois hyper discret, après l’entrée, tu files vers la rivière au fond, tu la longes en rampant derrière la haie et c’est la caravane blanche où il y aura mon tee des Vieilles Charrues à la fenêtre, tu vois ?

Evidemment que je voyais le tee-shirt … Il y a quatre ans, je l’avais accompagné au festival avec la fausse excuse de voir Die Antwoord et Arcade Fire, en fait juste pour passer du temps avec lui, dans la foule, serrés ... Quatre ans à le voir le porter, à vouloir le lui arracher avec les dents pour découvrir son corps de mes lèvres … Quatre ans que je suis en kiff sur lui et qu’il le sait trop bien …

Mais là, il allait enfin découvrir mon intimité, me posséder, m’aimer, m’envahir, me laisser pantelant de plaisir, son corps superbe me dominant alors qu’il verrait les traces de son plaisir sur ma peau !

- C’est l’automne, il y a méchamment moins de monde, mais tu fais trop gaffe, hein ! Qu’on ne te voie surtout pas !

J’avais avancé comme un sioux, à saloper mon jeans et mes Vans; pour ne pas être repéré par les indigènes, me demandant comment Esteban pouvait bien supporter leur proximité et, la voie étant libre, j’avais couru vers la porte que j’avais claquée sur moi.

Pour le trouver avec ce sale con de Damien, torse nu et en tongs. Donc seulement vêtus d’un shorty qui mettait leurs corps parfaits en valeur …

Il avait capté mon essoufflement et demandé si j’avais vraiment suivi ses instructions, l’approche accroupi, pour arriver. J’avais confirmé.

- T’as rampé et tout ? Trop marrant, mec ! Non mais sérieux, en vrai, à part l’obligation du latex, mes parents se foutent de ce que je fais ici, mon petit Noé.

- Ah ! C’est lui qui est en crush sur toi ? Et il s’appelle Noé ? Je savais même pas’’ a ajouté Damien, que je connais depuis le lycée, en fixant son cône, entre cruel et indifférent.

- Yep ! Pas sauvé du déluge, juste de la solitude, j’ai eu pitié, tu vois ?

- En clair, tu voulais un public, quoi. Perso, qu'il soit là ou pas, je m’en fous un peu de lui, tu vois ?

Ce que moi, je voyais, c’est qu’il s’était bien foutu de ma gueule, jouant de la fascination qu’il savait exercer sur moi pour … Pour quoi, en fait ? M’humilier encore un peu plus…

Ça avait vite été clair. Comme leur proximité, leur intimité, dont j’avais bien dû conclure que je ne la partagerais jamais avec Esteban.

Après des heures de Blanc Manger Coco blindées de sous-entendus encore plus équivoques que le texte des cartes, et de trop nombreuses vodka Red Bull que je leur avais laissées, Esteban avait grogné qu’il n’y avait qu’une chambre et vu que l’eastpak de Damien s’y trouvait déjà …

- La banquette, c’est bon, mon petit Noé ?

Comme si j’avais le choix …

J’avais imaginé que des ronflements alcoolisés me tiendraient éveillé, en réalité c’étaient des sons pas plus équivoques que discrets, jusqu’à trois heures du matin.

La seule fois où j’ai bu trois vodkas-RedBull, je ne me rappelais plus de mon deuxième prénom, alors j’avoue que j’ai admiré Damien de lui faire l’amour pendant plus de quinze minutes – deux fois – puis Esteban, d’être apparemment très … réceptif à deux échanges successifs.

Vers six heures, quand j’ai été sûr qu’ils dorment, j’ai entrouvert la porte pour les trouver nus, l’autre sale con sur le dos, exposant son sexe flaccide, mon crush sur le ventre, le cul offert. Ultime humiliation…

J’y ai poussé le truc à roulettes et j’ai ouvert le robinet de sécurité, avant de reconfiner l’espace au maximum. Je suis reparti, sautant de haie en buisson et j’ai rejoint le village pour y attendre le premier bus vers la civilisation.

Le lundi matin, en arrivant à la fac, à l’entrée du bâtiment B31, j’ai retrouvé Mélanie en pleurs …

- Esteban et Damien …

- Ben quoi ?

- Ils sont morts ! Un chauffage d’appoint défectueux, le gaz …

- Tous les deux ? Ils étaient ensemble, là ?

- Mais oui, ils sortaient ensemble ! Tout le monde le savait. Sauf toi, on dirait. Tu es tellement innocent, mon pauvre Noé, c’est mignon.

Je suis … mignon. Soit. Mais surtout innocent, on dirait. C’est bon !

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