( Bon, là c'est du lourd, mais il y a pire. Ce n'est qu'un avant goût de mon mauvais goût. Au revoir lecteur ... )

« J'ai pleuré, j'ai crié et maintenant tout ce que je peux faire, c’est attendre. Je frissonne même si ce n'est pas de froid, c'est la peur, je suppose… Dans l'ensemble, les choses sont plutôt sans espoir… Je ne vois rien pour atténuer mes tourments, ce n’est pas un cauchemar, c’est l’enfer que je vis ! De toute façon, mes semaines sont comptées, du moins, je pense… Je croyais mourir chez moi, ou dans une chambre d’hôpital… c’est raté. La dernière chose dont je me souviens, c’est ce jour de décembre, ce jour d’été et du diagnostic du docteur. »

• Mademoiselle Baeckelandt, soyez forte, vous avez une leucémie aiguë… et sans greffe, il y a peu d’espoir. Vous présentez des complications potentiellement mortelles liées à une forte anémie. Ces infections et ces hémorragies nécessitent une hospitalisation en urgence en milieu spécialisé. Votre chambre est déjà réservée au Groote Hôpital de Schuur. Mais je ne vous cache pas qu’il y a peu de chances que vous passiez la nouvelle année. À moins que… Votre famille a une certaine fortune, alors ce que je peux faire, c’est vous stabiliser, pour soit attendre un donneur compatible, soit vous transférer aux states. C’est jouable, cela coûtera très cher, mais pour vous, je pense que cela ne doit pas être un problème.

« Et je me retrouve dans un trou à rats… les jours passent et je ne suis pas encore morte, j’ai même pas de fièvre, je suis juste battue, humiliée, enchaînée. Mais je suis toujours en vie. »
Antje prit à deux mains la chaîne de son collier. Elle était solide, aussi réelle que les murs qui l’entouraient.

Il lui semblait, du moins, c’était une impression qu’elle avait… c’était d’avoir été projetée dans une autre dimension. Comme dans cette série qu’elle aimait regarder à la télé : « The Twilight Zone. » C’était absurde et pourtant si réel, un peu comme dans ce roman de Kafka « La colonie Pénitentiaire. » Ce putain d’auteur juif.

Pourtant, son père faisait des affaires avec Israël, on avait beau ne pas les aimer. Il fallait bien passer par eux pour vendre les diamants ou acheter des uzis. Ils étaient partout ces cafards, même aux soirées que donnait sa famille. Le pire, c’est qu’on ne les reconnaissait pas toujours, ils n’avaient pas tous un nez crochu et de grandes oreilles, il fallait faire attention à ne pas faire de gaffes, à ne pas les vexer. Ils n’auraient pas pu être comme ces putains de kafirs, reconnaissables de loin ?
C’est qu’il n’y a pas si longtemps, à ce qui lui semblait, Antje Baeckelandt jouissait de la vie enviable de l’héritière d’une des plus riches familles du Cap… mais présentement elle semblait être à des années-lumière de tout cela.
En fait, elle y avait réfléchi et elle pensait que c’était une possibilité envisageable, car si dans un cauchemar, l’absurdité n’existe pas, dans cette réalité tout était étrange, inimaginable dans le monde qu’elle connaissait, mais pourtant si réel dans celui de son présent.
Le froid l’avait sorti d’un sommeil agité, ses rêves d’évasion s’étaient évanouis au moment même où elle avait ouvert les yeux.
Contre le dur rappel de sa situation, il n’y avait rien à faire et cela la rendait folle de rage. D’autant qu’elle semblait guérie, elle n’avait plus de saignements, elle n’avait plus non plus de pétéchies, ses maudites taches rouges qui apparaissaient sur sa peau au niveau des tibias et des chevilles. C’était peut-être une rémission, elle ne savait pas. « Je n'ai toujours aucune idée d’où je suis, je ne me souviens même pas comment je suis arrivée ici. Je me suis réveillée et j'étais là, nue, ficelée comme une dinde pour noël. J'ai essayé de me calmer, j'ai même réussi à arrêter de pleurer jusqu'à ce que je sente ce maudit anneau dans mon nez. » pensa-elle.
Combien de jours… elle ne saurait le dire.

Tout était si déroutant, tant de détails qui ne collaient pas à une réalité qu’elle aurait pu appréhender.
Un geôlier qui n’avait pas de montre, ni de pantalons, ni de short, mais une courte tunique, ou parfois un pagne long, aucun vêtement synthétique, mais du cuir et du lin grossièrement tissé. Il parlait une langue qu’elle ne comprenait pas, qui ressemblait vaguement à un sabir de latin mâtiné de grec et, ce qui lui faisait le plus peur… était le fait qu’il ne portait pas de cagoule. Si c’était un enlèvement pour une rançon, cette absence de masque ne pouvait signifier que la pire des choses… Les premières fois qu’elle avait vu son gardien elle avait jugé que de toute façon, vu sa maladie cela n’avait plus guère d’importance.
Mais l’absence de maux de tête, de saignements l’avait vite troublée. Et il y avait le reste, tout le reste.
Malgré le froid, elle s’était une fois de plus réveillée en sueur dans cette geôle dégoûtante où l’humidité déposait jour après jour son noir duvet visqueux sur les murs. Seule une faible clarté lui indiquait la prime aurore.

Assise sur une paillasse souillée qui sentait un mélange de vomi moisi et d’urine elle attendait.
En général, le garde la réveillait à l’aube, c’était le claquement sur les dalles de ses sandales cloutées, puis le bruit de la clé dans la serrure en train de tourner, suivait le grincement des battants qui jouaient sur les lourds gonds rouillés de la porte.
Si elle n'était pas dans la position apprise, elle recevrait des gifles ou, pire, le fouet.

Au début, elle avait crié, imploré des explications, mais pour seule et unique réponse, elle n’avait obtenu qu’un déluge de coups supplémentaires.
C’était pour cela qu'Antje essayait d’être réveillée plus tôt.
Elle conservait encore sur sa peau les traces brunies de son sang ainsi que la saleté des lieux. D’ailleurs depuis qu’elle était ici, elle ne c’était pas vraiment lavée, sauf ses chevilles et le bas de ses jambes qu’elle essayait de garder le plus propre possible. Elle les auscultait, les examinait à la recherche de ces maudits pétéchies. Mais rien hormis quelques bleus dont elle ne connaissait que trop bien la provenance.
Affamée, anxieuse, elle attendait nerveusement la visite du garde. Elle la redoutait autant qu’elle la désirait impatiemment.
Que lui voulez-t-on ? le saurait-elle un jour ? Et quand ?
Le temps passaient peu à peu, elle ne pouvait que se languir au plus profond d’un des cachots de la Civitas.

Les seuls sons qui lui parvenaient étaient des murmures presque inaudibles derrière le cliquetis de ses chaînes ou encore le bruit du petit filet d’eau glaciale qui coulait en permanence dans un étroit caniveau courant d'un bout à l'autre de sa cellule pour disparaitre sous la porte.
Un minuscule soupirail à hauteur du plafond dispensait une très faible lueur, il était trop haut pour qu’elle puisse se hisser au niveau de l’ouverture et de toute façon la chaîne de son collier était trop courte pour qu’elle l’atteigne, mais bien assez suffisante pour autre chose.
Alors elle passait des journées entières le plus souvent agenouillée sur sa paillasse.
Elle n'était certainement pas belle à voir, parfois par ennui, par dépit, elle reniflait ses aisselles, son odeur ne la choquait pas ou plus. Pourtant elle devait sentir bien mauvais. Les brûlures sur son front, son épaule et son pubis lui faisaient toujours mal. Ses chaînes ainsi que ses trois brûlures qu’elle avait à l’intérieur de la cuisse n’étaient qu’une preuve supplémentaire qu’elle ne rêvait pas.

Quand elle ne pleurait pas, Antje se masturbait à longueur de temps.
Elle jouait avec l’un des seuls objets à sa disposition, la chaîne de son collier qui l'attachait au mur de sa cellule. Des heures durant elle était à califourchon dessus. Elle la faisait aller et venir, tantôt lentement pour sentir chaque maillon s’incruster dans les plis de son sexe et appuyer fortement sur son clitoris. Tantôt, ses mouvements étaient brusques, frénétiques. Elle serait fortement les cuisses. Rapidement la chaîne froide devenait chaude et lustrée d'une cyprine qui poissait ses mains et dégoulinait le long de ses jambes.
L’orgasme n’était jamais long à arriver, souvent puissant, ponctué de spasmes. De moins en moins, elle pleurait de honte, maudissait sa faiblesse, sa déchéance, puis elle recommençait.
Ses gémissements, étouffés par l’épaisseur des murs, lui renvoyaient l’écho de sa jouissance. Pendant un bref instant, même dans ses fers encore toute haletante elle se sentait libre, bien vivante. Prête à recommencer.
La première fois qu’elle avait fait cela, c’était sur l’ordre d’une jeune négresse presque une gamine, qui était chargée de la dresser, cela avait été pour elle le comble de l’humiliation.
Elle avait dû recommencer devant le garde qui s’amusait de la voir ainsi s’avilir sur commande.
Depuis son retour en cellule, c’était devenu une sorte de drogue qui la coupait du temps. Elle ne pouvait plus arrêter de se caresser. Quoi qu'elle fasse, elle le faisait une main entre les cuisses. Dés qu'elle s’éveillait, elle recherchait cet étrange plaisir solitaire. L'exaltation de plus en plus puissante de la masturbation, elle pouvait littéralement se toucher toute la journée. Après avoir atteint l'orgasme, il n'y avait pas de temps à perdre. Elle était juste devenue plus sensible et réactive à chaque fois qu'elle a atteignait la jouissance. Elle en voulait plus. Parfois, elle se tenait juste au milieu de la geôle, prenait des poses lubriques. Elle imaginait que d'autres la regardaient, elle espérait la visite du garde. Ses fantasmes étaient teintés d'images fortes de violence et d'abus. Sa main s’essayait à tous ses orifices s'y enfonçant le plus profond possible. Elle essayait bien de se résonner, mais rien n'y faisait... Cette vicieuse esclave enchaînée, ce n'était pas elle, cela ne se pouvait pas, pourtant, pourtant... cette seule pensée la menait au bord de l'extase.

Au Cap, elle aurait vendu son âme pour un supplément de vie, elle aurait accepté une vie de chien en échange de la santé, le diable avait dû l’entendre.
Elle examina encore une fois ses chevilles, plus de taches rouges, plus de nausées, plus de saignements de nez ou de gencives, pour un peu elle aurait été heureuse.
Elle se souvenait de sa première nuit de cauchemar entre ces mûrs… ligotée sur cette même paillasse, seule dans l’obscurité de ce lieu inconnu. Maintenant elle en aurait joui, mais c'était avant la brûlure.

Une vague de désespoir l’avait submergée comme un raz-de-marée.
Sa poitrine était oppressée du poids énorme d’une angoisse qui grandissait sans cesse, c’était sans fin… sans fin.
Elle était attachée par de nombreuses sangles de cuir qui la maintenaient dans une immobilité désagréable.
Des courroies lui liaient les poignets, les coudes et le haut des bras de façon si étroite, qu’ils semblaient n’en faire qu’un.
Il en était de même pour ses jambes et ses chevilles, sauf qu’elles étaient repliées dans son dos. Une corde reliait ses chevilles à son cou, une autre à ses poignets.
Au début, la douleur venait de ses épaules tirées en arrière, mais bien vite elle s'était étendue à tout son corps, augmentant à chaque instant.
Elle s'était transformée en un calvaire lancinant, qui comme autant de piqûres d’une myriade d’insectes embrasaient chacun de ses nerfs.
La sangle autour de son cou aggravait sa situation.
Elle était couchée sur le ventre, c’était la seule manière qu’elle avait trouvée d'échapper à l'étranglement. Elle devait se cambrer et étirer son cou vers la plante de ses pieds.
Mais sans autre soutien que sa volonté, ses membres se fatiguaient. Elle commençait alors à trembler. L'effort devenait insoutenable. Ce n'était qu'une question de temps avant que ses forces ne l’abandonnent. Finalement, comme à chaque fois, ses muscles la trahissaient et sa tête s'affaissait doucement sur la paillasse.
Mais dès que cela se produisait, la courte corde de chanvre tendue entre ses chevilles et son cou se tendait.
Elle étouffait… Alors sa poitrine était déchirée d’une toux convulsive.
Il lui fallait à chaque fois un certain temps avant que son corps ne se calme et qu’elle puisse à nouveau faire l’effort de relever la tête.
Ce cycle continu l'exposait à une forme de torture dont elle était à la fois la victime et le bourreau malveillant.
Chaque combat afin de garder son corps ainsi cambré l’épuisait et échouait à un moment ou à un autre.
L'affaissement qui s'ensuivait provoquait un nouvel étouffement, une nouvelle quinte de toux.
Malgré le froid qui suintait des murs, sa peau s’était vite couverte de sueur. Sa transpiration en petites gouttes coulait de son front, sur ses joues puis sur la paillasse.
Elle essayait de réfléchir à la manière d'échapper à ce terrible tourment.
Elle risquait de devenir folle ou pire, de suffoquer avant la fin de la nuit.
Soudain elle entendit le bruit d’une clef dans une serrure, puis le grincement des gonds, l’ombre d’un homme qui devait être très grand se découpa dans l’embrasure de la porte, le couloir derrière lui étant faiblement éclairé, en tout cas assez pour qu’elle le vit entrer un coutelas en main.
Il parlait une langue qu’elle ne comprenait pas, pourtant, il y avait quelque chose de familier dans ces mots qu’il grommelait.
D’un coup sec, il trancha la courte corde qui reliait son cou à ses chevilles.
Machinalement, elle le remercia, il détacha une calebasse qui pendait à sa ceinture, c’était une gourde, il la fit boire, le liquide avait un vague goût de réglisse. Quand il jugea qu’elle avait assez bu. Il remit la calebasse à sa ceinture, vérifia que les courroies étaient bien serrées, puis, il ressortit la laissant seule avec son désarroi.
Dans la petite pièce baignée de ténèbres, il était impossible de suivre la course du temps.
Mais enfin libérée d’une torture qui l’avait laissée sans souffle, elle commença à se tortiller, elle espérait faire glisser une de ses nombreuses sangles. Ses gémissements, qui accompagnaient ses contorsions, résonnaient contre les murs de pierres.
À chaque mouvement de bascule, les courroies serrées irritaient la peau autour de ses poignets et de ses chevilles, provoquant une sensation de brûlure.
Il y avait un léger bruit d'eau qui sourdait de quelque part, peut-être d’un des murs de sa cellule.
Elle était tellement occupée par la lutte contre ses liens, qu’elle ne prêta pas attention à cela.
Épuisée, elle retomba sur le côté, puis elle roula et chuta de la paillasse sur un sol au dallage grossier et froid.

Elle se contorsionna comme un serpent qui voudrait échapper à sa mue, ses longs cheveux blond platine, presque blancs étaient répandus autour de son visage, des mèches s’étaient collées sur son front couvert de sueur.
Elle sentait des larmes se mêler à sa transpiration.
Elle était soulagée de pouvoir enfin respirer normalement, mais elle se rendit bien vite compte que tous ses espoirs afin de se libérer resteraient vains. Plusieurs fois encore, elle roula sur elle-même. Ses sanglots recommencèrent à couler de plus belle, un profond sentiment de désespoir l’envahit lorsqu’elle roula dans une espèce de caniveau rempli d’une eau glaciale.
Elle cria de rage.
Comme une chenille ou plutôt une limace (car elle laissait derrière elle une traînée humide) elle regagna difficilement son grabat, la fatigue l’enveloppa d’un linceul de plomb. Alors épuisée, les paupières gonflées, elle sombra un temps dans un sommeil fragile.
Le soulagement ne viendrait pas, bien que son corps ait soif de repos.

Elle se réveilla rapidement. Était-ce dû à la douleur irradiant de ses épaules anormalement jointes et tirées dans son dos ? Ou à cause du bruit entendu dans l'un des coins de sa cellule ?
Les yeux écarquillés, elle tendit son cou et tenta de pénétrer l'obscurité à la recherche d'un possible intrus. Mais même si elle pensait avoir aperçu le bref clignotement de petits yeux dans cette obscurité, rien ne se passa. Même sa peur des rongeurs lui sembla futile à cet instant.
Une fois de plus, la fatigue l’emporta. Le sommeil agité qui suivit fut une boucle d'inconscience, altérée de cauchemars, elle s’éveillait, luttait contre ses entraves, maudissait son impuissance et se rendormait accablée de fatigue.
Dans un de ses cauchemars : elle se voyait étreinte par un grand nombre de noirs musculeux de l’A.N.C. aux corps luisants. De leurs mains puissantes, ils l’immobilisaient, avant de la jeter dans un des puits sans fond d’une des mines de sa famille, là elle se retrouvait toute nue devant un tribunal dont les juges, qui la condamnaient dans une langue qu’elle ne comprenait pas, étaient des autruches, elles lui montraient un cercueil débordant d’asticots jaunes et blancs prêt à la dévorer. Submergée par la terreur de son dernier cauchemar, elle chercha un peu de lumière dans toute cette noirceur. Enfin elle devina plus qu’elle ne vit un mince rayon rosé descendre du plafond, encore ténu. Il annonçait l’aurore.
Elle grelottait à cause du caniveau dans lequel elle avait roulé, à cause de ses larmes et de sa transpiration qui avaient refroidi sur son corps dénudé.
Elle aurait voulu se rendormir, mais cela lui était impossible tant son inconfort était prégnant.
Soudain, le bruit du verrou de la cellule la sortit de son état léthargique. Elle avait dû se rendormir, car l'obscurité traversée seulement de son rayon rose, avait cédé la place à une grisaille blafarde. Elle filtrait à travers un soupirail fortement barré, qui se situait tout en haut d’un des murs de sa prison.
Elle cligna des yeux alors que la porte s'ouvrait et que la lumière d'une lanterne éclaira encore plus sa geôle.
Elle reconnut son geôlier, il était accompagné d’une petite négresse nue, presque une enfant tenue en laisee et bâillonnée. Elle portait une lourde besace en toile.

Sur un signe, elle s’agenouilla et, à bout de bras, elle la tendit à l’homme.

Elle resta ainsi figée tandis que le geôlier posait la lanterne dans une niche pratiquée dans le mur.
Il lui prit le sac qu’il laissa tomber, il lui retira la laisse et le bâillon.
Antje ouvrit la bouche, elle voulait protester sur sa condition, le gardien fit un geste, la fillette nue se redressa, alla vers la paillasse, tira en arrière les cheveux d'Antje et la gifla sur les deux joues du plus fort qu’elle pouvait.
Elle se préparait à recommencer quand l’homme lui donna un ordre, alors elle déboucla les sangles d'Antje.
Durant ce temps le gardien avait vidé la besace, qui gisait là à ses pieds aplatie dans son vomi de chaînes, de colliers et de cadenas.
Rapidement, Antje se retrouva sur le sol, puis ses poignets et ses chevilles furent enchaînés. Elle ne le savait pas, mais ce n’était que des entraves temporaires.
Maintenant que la lanterne éclairait la cellule, Antje pouvait détailler dans quel lieu lugubre elle était retenue.
Une petite pièce carrée avec sur un côté son grabat, une espèce de banquette en béton sur laquelle était posé un matelas de paille nauséabond, elle savait que c’était de la paille, ou quelque chose qui s’en rapprochait, car à maints endroits, il était crevé.
À chaque coin de cette maudite stalle, il y avait des anneaux et des chaînes.

En face de la niche dans laquelle la lanterne était posée, les murs en pierre de taille étaient noircis de suie et d’humidité.
Face à la porte, il y avait quelque chose qui ressemblait à une auge avec au-dessus un bec en bronze vert-de-gris duquel sortait un mince filet d’eau, le débord s'écoulait dans un caniveau qui coupait la pièce en deux.
À divers endroits de gros anneaux ainsi que des chaînes et des colliers étaient scellés dans les quatre murs, et même à la voûte du plafond.
Rapidement, elle se retrouva avec un collier enchaînée à un mur.
L’homme donna ses ordres à la gamine ainsi qu’un nerf de bœuf et son fouet.
Puis, il les laissa ensemble.
À la nuit tombée, il revint, Antje était maintenant couverte de marques, de zébrures rouges et violettes, mais elles obéissait rapidement à une vingtaine d’ordres simples, elle pouvait même articuler trois ou quatre phrases tout aussi simples qui devraient lui suffire pour le reste de son existence.
C’est fou comme on apprend vite, surtout quand c’est à coup de trique.
Après plusieurs jours de ce traitement, elle pouvait s'exprimer, répondre à quelques questions, mais de toute façon cela n’avait aucune importance, d’ailleurs elle avait peu d’occasions d’ouvrir la bouche, elle n’en avait pas besoin, elle ne devait qu’apprendre à obéir sans discuter.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Puis un jour, deux gaillards entrèrent dans sa geôle.
L'un d'eux portait une grosse lanterne qui l’éblouit, l'autre, deux grands seaux d'eau froide qu'il lui jeta violemment.
Un des gardes montra à l’autre le bol de bouillie qu’il nommait cycéon* encore plein.
Cela faisait trois jours qu’elle refusait obstinément toute nourriture, elle ne faisait que chantonner à genoux sur sa paillasse.
On la fit s'asseoir et écarter les jambes, on lui attacha les chevilles au bas flanc de telle sorte qu'elle avait les cuisses grandes ouvertes sans pouvoir les refermer si elle en avait eu envie. Mais non elle ne fit même pas semblant. Elle se tenait juste là, ses lèvres juteuses affichant sans équivoque un rose luisant à des hommes qui en avaient vu bien d'autres.
Elle exhibait sa fine toison blonde presque blanche.
Elle frissonnait, sûrement de froid, de peur, mais certainement pas de pudeur, il ne lui en restait plus guère.
Deux jeunes filles nues aux crânes rasés firent leur apparition.
L’une portait une bassine, l'autre un panier d'osier.
Elles s'occupèrent de son pubis à la toison légère.
Elles entreprirent de l'épiler, lui arrachant les poils avec des pinces de cuivre.
Elle cria et reçut en retour une magistrale paire de gifles qui la calma.
Leurs pubis étaient aussi lisses que le plat de la main, elle devina que le sien le serait tout autant.
Les geôliers riaient, les filles ne disaient mot, œuvrant avec application.
Le sang perlait de temps en temps, mais il était vite essuyé par la langue d’une des filles.
On lui badigeonna le sexe d’une sorte de colle brunâtre, un des gardes baragouina quelque chose.
Alors les filles s’écartèrent pour attendre dans un coin, l’une d’elle mit la bassine à remplir, l’autre rangeait les pinces et les ciseaux.
Elle n’eut pas longtemps à attendre pour sentir la brûlure de cette glu.
Elle sanglotait doucement, reniflant sa morve, regardant son con tout barbouillé de cette étrange colle.
Les gardes oisifs regardaient en riant, puis sans se concerter, l’un se mit à gauche, l’autre à droite d'Antje et, de concert, ils sortirent leurs bites de leurs pagnes lui ordonnant de les branler.
L'inquiétude pouvait se lire dans les yeux d'Antje, pourtant elle obéit. Un sexe dans chaque main elle exerçait des mouvements de va-et-vient. Elle regardait le sol pour ne pas voir ce qu’elle faisait. Pour éviter d’y penser, elle serrait ces boyaux de chair palpitants, les comprimant dans ses paumes comme s'il s'agissait de traire deux pis de vache.
Quand ils sentirent qu'ils allaient jouir, ils lui firent signe d'ouvrir la bouche. Contrainte elle obtempéra sans faire de problèmes tant elle était abasourdie, tant son état de sidération était totale.
À tour de rôle, ils y déchargèrent leur foutre, égouttant leur plaisir sur sa langue et ses lèvres tremblantes, mais cela ne suffisait pas à les contenter, ils crachèrent chacun un gros mollard qui se mélangea au sperme qu’elle avait sur la langue.
Un des hommes sèchement lui tapota la joue, elle avala le tout sans broncher. Une seconde de plus et un hauts-le-cœur lui auraient tout fait recracher. Tandis qu’elle ingérait cet affreux mélange, elle se disait : « Pense à des huîtres, pense à des oursins, pense que tu gobes des fruits de mer. »
Ensuite, elle lécha les pénis pour faire disparaître la plus petite trace de semence. Elle avait retenu toutes les leçons de la fillette, aussi elle les remercia dans leur langue.
Une fille racla la colle qu’elle avait. L'autre la rinça. Cette glu était d’une efficacité redoutable, elle sut plus tard qu’il faudrait presque une année avant que le poil ne repousse.
Quand les deux filles eurent fini, elles se prosternèrent devant leurs maîtres, leur front touchant le sol et elles attendirent.
Antje avec horreur pouvait contempler à loisir les grandes marques qu’avait laissées un fer rouge sur leurs fesses.
Elle eut le pressentiment qu’elle aussi y aurait droit.
Seuls les hommes parlaient. L’un d’eux cria « Debout ! Vite ! » C’étaient quelques-uns des mots qu’elle comprenait.
Elle était folle de terreur, terrifiée à l'idée de ce qui pourrait l'attendre. Elle était perdue dans un monde qui ne lui rappelait rien, c’était comme un cauchemar sans fin, que lui arrivait-il, que lui arriverait-il ?
Ils lui retirèrent son collier, ils lui firent boire une bonne rasade de la boisson au goût de réglisse qu’elle connaissait déjà mais cette fois le goût était nettement plus fort. .
Ils lui mirent un bâillon, lui attachèrent les mains dans le dos. L’un d’eux avec de la suie lui dessina dans le dos et sur le ventre un grand V inversé, en réalité la lettre "lambda". L’autre lui mit une corde autour du cou.
Tenue en laisse, ils l’emmenèrent dans un dédale des galeries souterraines.
Elle les suivit en silence dans des longs couloirs éclairés par quelques lampes à huile aux flammes vacillantes et fuligineuses.
Il y eut aussi des escaliers à monter. Mentalement elle compta les marches. Il y en avait 72, elle fut surprise de n’être pas essoufflée…
« Une des nombreuses choses anormales, » pensa-t-elle.
C’était la première fois qu’elle sortait de son cachot. C’était la première fois qu’elle mettait le nez dehors et le spectacle qui l’attendait, ne pouvait que la surprendre.
Les escaliers donnaient sur une vaste cour grouillante de vie, Elle ne fut pas éblouie par la lumière, c’était une fin d’après-midi et elle avait le soleil dans le dos. Elle sentit une légère brise lui caresser la joue, son nez qu'elle avait petit huma cet air frais, sa langue passa sur le bord de l'anneau, c'est alors qu'elle prit pleinement conscience qu'ici elle n'était qu'un animal. Soudain le vent lui rappela aussi sa nudité, un souffle passa sur son corps, elle en eut la chair de poule, ses tétons durcirent. Elle avait faim, elle avait soif, mais elle était comme anesthésiée, machinalement elle suivait son garde qui de temps en temps tirait sur la laisse, cette douleur la réveillait, l’excitait un peu. Elle semblait être la spectatrice impuissante de son avilissement. Elle eut un éclaire de lucidité, elle vivait un cauchemar. Sur la place elle fut abasourdie par le bruit. Des hommes d’armes souvent accompagnés de molosses semblaient trier des centaines de femmes, d’adolescentes et même de fillettes qui, comme elle, étaient nues et entravées. Toutes attendaient effrayées, comme recroquevillées sur elles même. Comme une jeune chienne apeurée elle se pissa dessus, l'urine coula le long de ses jambes chaude et bienfaitrice, personne ne fit attention à cela.
D’autres hommes et quelques femmes richements vêtus accompagnés de serviteurs en tuniques rouges passaient au milieu de cette foule angoissée. Ils avaient des airs de maquignons, tantôt sur un ordre de leurs accompagnateurs, les tuniques rouges traçaient au pinceau des signes à même la peau des prisonnières.
Beaucoup avaient déjà sur elles plusieurs marques d’écrites.
Antje pensa à juste raison qu’elles devaient attendre sur cette place depuis plus longtemps qu’elle.
On entendit le son d’une trompe et des ordres qu'on hurlait, alors les fouets, les chiens, les gardes entrèrent dans la danse, bien vite, il y eut trois colonnes.
on la plaça dans la plus maigre.
Une porte s’ouvrit et les deux plus grosses rangées sortirent.
Elles se retrouvèrent esseulées entourées de chiens et de gardes. On les aligna sur une seule ligne. elles devaient être une cinquantaine.

Fedormalba et Abrulus en étaient au terme de leur transaction, restait un détail à la conclusion de ce qui ressemblait à un contrat. Ils passèrent devant elles, accompagnés d'un scribe en tunique rouge, ils les tâtèrent comme du bétail, sur certaines, ils écrivaient θ, la première lettre de « θάνατος ».
Ils s’arrêtèrent devant Antje.

• Et celle-là ? Tu me la prends ? Demanda l'esclavagiste
• Ça dépend Fedormalba. Vraiment j’ai vu que tu la faisais à 30, c’est vraiment beaucoup trop, c’est la mise à prix des rebuts destinés aux cul-terreux… Mais c’est vraiment encore trop cher payer, ça fait plus de quinze jours qu’on la nourrit pour rien. Tu aurais du l'égorger une fois sortie du cocon. Elle sait vraiment rien faire, que dalle, que pleurnicher et se branler.
• Parce que tu trouves que λάϐδα* c’est trop cher payé pour une jeunette ? Regarde ses formes, elle est pas mal foutue. Elle a du muscle, de bonnes dents.
• Pour sûr ! Vraiment, mais elle comprend rien cette crevure, c’est pire qu’une barbare, même pas une iota, vraiment je veux bien t’en donner douze, pas un anneau de plus et là, vraiment je te fais une fleur. t'avais qu'a la foutre dans une de tes cages.
• C'est ça Abrulus ! Avec un Hors-Loi qui traîne en ville. Tu veux ma peau ? En plus tu m'en propose douze ? Tu te fous de moi, regardes comme elle est… Mais regarde ses nibards, regarde son cul… Tu pourrais la mettre à l’abattage dans un bordel ou mieux dans une nurseries pour allaiter.
• Des putes ! J’en ai vraiment plus qu’il m’en faut… Et des vraiment bonnes. En plus les blondasses… j’en veux plus, c’est plus vraiment à la mode. Personne ne voudra du lait d’une fille de cocon, il faut plus d’une année avant qu’il perde sa couleur bleu. Vraiment, dois-je te rappeler que dans nos accords, il y avait aussi les certificats pour la conformité de tes marchandises ainsi que la garde de tes esclaves sans papiers.
• Je pensais qu’on avait réglé ça avec les dix iotas que je t’ai donné pour les chariots ?
• Autant l’égorger de suite… Moi vraiment, je paierai pas plus de douze. Ou alors tu la reprends et tu paies sa bouffe et la consigne… Soit trois pétales de bronze.
• Filou Abrulus, t'es qu'un filou ! Tu te fous de ma gueule ? Trois pétales pour quinze malheureux jours de consigne, c’est à peine moins cher que pour la garde d’un dogue.
• Pine d’huître, un dogue, c’est un quart d’anneau, alors vraiment tu vois que pour ton déchet de cocon… trois pétales, c’est vraiment la charité. Un chien tu le nourris et c'est tout. Elle il a fallu l'éduquer un peu, tu veux voir ?
• Qu'est ce que tu as pu faire en si peu de temps ?
• Regarde et prend s’en d'la graine. Il fixa Antje, siffla brièvement deux fois.

Elle sentit son corps bouger tout seul, changeant de position, s'agenouillant devant les hommes, la poitrine relevée, légèrement inclinée vers l'avant, les bras derrière le dos. Elle étira son cou et souleva son visage avant d'ouvrir la bouche. Même si elle ne le voulut pas, c'était comme si on lui avait placé un écarteur de lèvres, forçant sa bouche à être grande ouverte et sa langue tirée.

• Ainsi tu as une Adamante*, je croyais la race éteinte ?
• Vraiment, comment le sais tu ?

Fedormalba mit un doigt dans l'anneau nasal de Antje, il le tira tout en faisant un un quart de tour, la fille ne put qu'incliner le cou. Il y vit une légère piqûre. Le baiser Adamante*.

• C'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire la grimace. Je suis prêt à ta l'acheter. Ton prix sera le mien.
• Je savais que j'avais affaire à un connaisseur. Mais elle n'est vraiment pas à vendre, d'abord elle est encore trop jeune et on la réserve pour la reproduction. Son père est encore jeune, on le garde en cage. J'espère que d'ici peu ils nous feront des petits.
• Et surtout des petites. Enchérit Fedormalba d'un ton goguenard.
• Oui la gamine elle se fait la main, sur les esclaves sans valeur. Mais c'est vraiment une sale vicieuse, quand elle n'éduque pas d'autres captives, on la garde bâillonnée, enchaînée et en cage comme son père.
• Et si on en revenait à celle ci ? Et comme viande pour chien, tu m’en donnes combien ?
• T’es vraiment con ? Ou tu l’fais vraiment exprès. Morte, elle te rapporterait à peine six anneaux… Vu son poids et le temps qu’il faudrait pour la débiter.
• Non, je parlais pas de la tuer, mais j’voulais simplement te vendre ses bras. Après, on peut toujours l’atteler à un chariot comme une iota.
• En viande, si je prends les bras et les deux seins, j’dis ça parce qu'y a dla demande… vraiment, y’en a pour un demi-anneau et deux pétales tout au plus… Et après, c’est qui, qui paie le médicus pour qu’elle crève pas ? Allez, deux pétales et tu reprends ton déchet. Et c’est vraiment une fleur que j’te fais.
• Payer pour reprendre une merde, tu te fous de moi.
• Tu vois vraiment, c’est pas moi qui l’dit que tu vends d'la merde. Et il partit d’un grand rire, Fedormalba en fit de même.
• Bon, voilà ce que je te propose. Une iota ça vaut dix-sept et cinq pétales. Un dogue dressé ça vaut quarante anneaux, un dogue à peine sevré ça vaut quinze. J’ai besoin d’un chien. Alors je t’échange mon déchet contre un jeune chien et un pétale… mais je choisis le chien. C’est à prendre ou à laisser. Je trouverai toujours quelqu’un pour me la prendre au prix d’une iota… c’est ni la première, ni la dernière fois, qu’on verra un attelage mixte.

Abrulus réfléchit un peu se gratta la tête. Des chiens dans les chenils de la Civitas, il en avait pléthore et il fallait les nourrir. La viande d'esclave, d'Iŭga ou de iotas il fallait bien l'acheter même si cela coutait moins chère que celle des kurts. D'autant que les bas morceaux iraient dans la grande marmite de cycéon des Iŭga du Dépotoir. Et avec la mousson qui s'annonçait il y aurait sûrement des pertes parmi les Iŭga, leur prix remonterait un peu, il était certain de pouvoir la vendre au Dépotoir sachant que les Iŭga de la Civitas n'avaient pas besoin de papiers.

• Allez vraiment, c’est d’accord tope-là marchand, on a peut-être fait tous les deux une affaire. Je vais la mettre rapidement à la meule. Si elle crève pas dans le mois, j’aurai fait une affaire. Après, je verrai où la foutre. Toi si tu choisis bien ton clébard t’as moins de risque de perdre de l’argent.
• Foutre dieux !!! Je suis le pire des marchands et c’est toi le roi des escrocs… c’est le monde à l’envers… tu pleures pour une putain d’esclave qui t’a coûté un malheureux pétale de bronze. Je devrai te prendre pour associé… quoique non, tu trouverais moyen de me dépouiller.

Bien sûr, elle ne comprit presque rien à leur conversation, ou si peu.
La colonne où elle était fut dirigée vers un des coins de la cour, en tout cas, pas vers la porte.
Le soir tombait, pour la première fois, elle vit deux lunes dans ce ciel qu’elle ne reconnaissait pas.
De stupeur, devant ce spectacle inattendu, elle se figea. Resta immobile le nez en l’air, contemplant la lune major avec sa belle couleur bleutée et ses anneaux argentés, et la minore qui ressemblait à celle de sa terre natale bien qu'on puisse y voire une grosse tache rougeoyante, ça doit être un lac de lave pensa-t-elle.
Cet entracte fut bref, une bourrade dans le dos, un coup de nerf de bœuf sur les fesses la firent redescendre sur cette terre qu’elle ne connaissait pas.
L’autre côté de la cour était barré par une suite de bâtiments, des entrepôts, des bureaux et une forge sous un grand préau.
Elle pensa :

« Une forge, c’est la première fois que j’en vois une pour de vrai. C’est bien une forge avec tout… La cheminée avec son âtre rougeoyant, ses enclumes, son gros soufflet, ses baquets d’eau et d’huile et bien sûr ses forgerons… quatre gars monstrueux à la longue natte brillante de graisse, vêtus comme dans un film d’horreur, d’un épais tablier de cuir… mais où je suis bordel ? Qu’est-ce que je fous là ? »
Un des hommes attisait des braises à la respiration rougeoyantes, elles irradiaient une forte chaleur, un autre alignait sur une table une grande quantité de chaînes et de colliers en bronze ainsi que plusieurs seaux pleins à ras bord, l'un d'eux débordait d'une substance d'un jaune fluo. Un forgeron choisissait des marteaux. Un dernier regardait ses compagnons en buvant une chopine assis sur une pile de lingots d’airain. Les gardes avaient retiré de la file les filles marquées de la lettre θ.
Elles étaient une dizaine toutes terrifiées, yeux écarquillés, bave aux lèvres, genoux en dedans et tremblantes.
Un geôlier passa, il leur mit un sac sur la tête, un autre le suivait et avec un grand coutelas qu’il venait de prendre à la forge… il les égorgea à la chaîne comme si c’étaient des poulets… le tout se passa en silence et dans la bonne humeur.
Toutes ces filles étaient bâillonnées et elles avaient toutes bu cette boisson au goût de réglisse qui altérait la volonté.
Antje avait regardé les yeux écarquillés d’horreur, sans comprendre qu’elle venait d’échapper d'une lettre à ce sort funeste.
Un chariot tiré par quatre iotas escorté de deux Iŭga arriva, elles chargèrent les corps dont certains gigotaient encore. Le bourreau fit un signe et une des Iŭga qui vint lécher le couteau. Quand le chariot s’éloigna, on aurait pu facilement le suivre car il laissait, comme le Petit Poussé une trace de son passage.
Les chiens léchaient les dalles couvertes de sang. C’était toujours du son d’économisé, bref rien que du banal en cette fin de journée.
Dans la forge, la lumière vacillante entre deux respirations du soufflet hésitait entre le vermeil et le cramoisi.
On alluma des lanternes.
Autour d’elles, ce n’était qu’ombres sur les murs, que silhouettes dansantes et inquiétantes.
Durant le mois de la foire annuelle des esclaves de Yuchekha, la forge de la Civitas avait été très occupée. La saison des marquages touchait à sa fin. Le maître saintier* était déjà parti pour une autre cité. Ici il avait fini de couler des milliers de cloches, clochettes et autres grelots afin d'en équiper des centaines d'esclaves.

Bientôt ce serait celle du fleuve. Il faudrait forger des milliers de clous pour l’entretien des mégadromons.

Puis il faudrait curer et rallumer la fonderie, prévoir de grande quantités de sable de qualité pour les moules. Il faudrait aussi faire le tour des ruchers pour acheter de la cire. Beaucoup de travail en somme.
Aussi fort de nombreuses années d’expérience, les quatre hommes et les arpettes qui y travaillaient étaient devenus très efficaces dans tout ce qui concernait l’art de la forge ainsi que dans celui de la ferronnerie ou de la fonderie.
Le marquage des esclaves n’était pour eux qu’une routine distrayante, voire amusante. À eux quatre, ils avaient marqué des dizaines de milliers d’individus.
Souvent en ville, ils suivaient le résultat de leur travail marcher devant eux ou les servir. Alors, passant un doigt expert sur la marque, ils pouvaient dire :

• Tiens celle-là, c’est mon frère qui l’a faite, tiens celle-ci, je m’en souviens, j’avais trop bu la veille.

Il n’est nul besoin de prendre soin des esclaves de rebut, alors ce fut sans ménagement qu’ils commencèrent leur besogne.

D'abord, le collier de bronze était ajusté au cou des filles.
Puis, avec quelques coups de marteau énergiques sur les axes de manilles ils les bloquaient définitivement. Le maître forgeron fixait ensuite les chaînes aux poignets et aux chevilles. Antje remarqua que toutes les entraves étaient en bronze (Sur Exo le Fer était cher et rare voila pourquoi le bronze était le métal le plus couronnement utilisé) mais cela elle ne le savait pas encore. Ce dont elle se doutait c'est qu'elle risquait de les porter à vie. Subir cela jour et nuit, devait être une expérience douloureuse, épuisante, humiliante. Il est vrai que déjà elle avait eu le temps de s'en rendre compte.
Finalement, le forgeron plaçait la chaîne de collier qui servait à relier les filles, ou à les maintenir à des postes particuliers.
L'ensemble du processus ne durait que cinq minutes, mais pour ajouter une touche de sadisme, les forgerons le faisaient alors que les esclaves pouvaient voir la dernière et la plus douloureuse des étapes, les marques au fer rouge sur leurs fesses avec les symboles de leur propriétaire…
Pour Antje, cela serait un losange vide, car elles étaient un rebut appartenant à la Civitas de Yuchekha. Dans le meilleur des cas elle serait vendue, dans le pire elle resterait une bête de location. Il restait le cas abominable ou elle serait transférée au Dépotoir.
Arriva son tour, entre ses jambes, était posé un billot, une corbeille de chaînes, des bracelets de métal et de nombreux outils.
Le forgeron qui s’occupa d’elle grogna comme le font certains chiens avant de mordre, il lui jeta un regard morne.
Il la saisit par les cheveux, la força à s’agenouiller, tête sur le billot.
Malgré sa peur, elle obéit. Depuis qu’elle avait atterri dans cet enfer et qu’elle avait vu ce qui était arrivé dans la cour et la façon un simple sifflement pouvait la commander elle ne pouvait que se soumettre, que se plier à la volonté de ces hommes.
Dans cette position, il riveta avec un gros clou incandescent un large collier de bronze portant quatre anneaux. L'un d'eux était pourvu d’une courte chaîne. Elle sentit la brûlure du rivet et cria.
En grognant, il la tira par les cheveux et lui plongea la tête dans une bassine d’eau froide.
Une poigne ferme souleva la jeune femme dégoulinante pour la replacer devant la bille de bois.
Rapidement et sans effort, il lui retira ses liens, mais ce ne fut que pour lui poser des bracelets et des chaînes.
Magnanime, il lui jeta un seau d’eau, refroidissant ses ferrures qui fumèrent en chuintant.
Pour ce qui est de son marquage, elle fut gâtée. Heureusement pour elle, elle perdit connaissance dès la première application du fer car, en tant que future fille du Dépotoir, elle n’eut pas droit à deux marques, mais à quatre : une sur la fesse, une autre sur l’épaule droite, une autre sur le pubis et la quatrième sur le front. Pour les deux dernière avant de les stigmatiser on lui avait appliquer cette pâte jaune qui débordait d'un sceau puis dessus on avait poser une fine feuille qui ressemblait à de l'or puis le fer rouge avait rempli son œuvre. Toutes les filles destinées au Dépotoir eurent droit à ce traitement de faveur.
On passa un onguent sur les brûlures puis on la réveilla à grands seaux d’eau.
Elle portait maintenant les anneaux de servitude, une chaîne à son cou, une autre reliait ses poignets et la dernière entre ses jambes entravait sa marche.
On fixa à son collier un médaillon provisoire, Antje ne comprit pas ce qui y était gravé.
Un des gardes qui l’avait sorti de son cachot vint la reprendre. Son corps n'était que douleur.
Sans un mot, il la tira sèchement par la chaîne de son cou l’entraînant, il la ramenait à sa cellule. Et c'est en martyre qu'elle le suivit.
Les filles attendaient toujours prosternées face contre terre. Antje était certaine qu'elles n'avaient pas bougé d'un pouce
Le garde, aboya un ordre, les filles disparurent emportant leurs paniers.
Mais bien vite elles revinrent l’une portant un brasero, l’autre avec une marmite de cycéon, une boite et un bol.
Antje, selon les ordres, était à genoux et fixait le sol.
Le garde alluma le brasero. Le temps passa. Il prit le bol qu’il remplit à ras bord le renversa devant Antje, il recommença deux autres fois.
Elle ne broncha pas, en fait, c’était la nourriture qu’elle avait refusée. Il lui fit signe de manger. Elle posa les lèvres sur la bouillie, pas plus. D’une main, il lui enfonça la tête dans le cycéon. Elle ne mangea pas d’avantage.
Alors calmement, sans crier, il ouvrit la boite, elle grouillait d’asticots, il la vida sur le cycéon, elle serra les dents refusa encore.
D’une main, il saisit la chaîne qu’elle avait aux chevilles. Il la tira vers lui, lui écarta les cuisses, de son autre main, il lui montra trois doigts, il ne fallait pas être intelligent pour comprendre qu’il indiquait 3. Alors sans se presser, il retira un tison du brasero et trois fois, il l’appliqua à l’intérieur de la cuisse gauche de la fille qui gigota en hurlant.
Il replongea le tison dans les charbons ardents et désigna à nouveau la bouillie renversée sur le sol.
Malgré la douleur, elle mangea. Elle lécha le sol devant le regard satisfait du garde.
Comme quoi pas besoin de parler la même langue pour se comprendre.
Depuis, dès qu'elle entendait les clés du gardien dans la serrure.
Antje, se pliait rapidement en deux, enjambait la chaîne de ses poignets, avant de se redresser avec les bras enchaînés derrière elle comme le lui avait montré la jeune négresse.
Puis elle s'agenouillait sur les dalles de la cellule à un pas de la porte. Elle baissait la tête, elle se prosternait, son front touchant presque le sol, elle levait ses poignets enchaînés dans le dos vers le garde.
Il entrait portant un seau où trempait une louche qui n’avait certainement jamais été lavée. Il lui apportait sa pitance journalière.
Depuis qu’elle avait été punie, c’était toujours à peu près la même chose: un gruau tiédasse, insipide, indescriptible, agrémenté de larves et d’épluchures, voire de vidures.
Il touillait avec la louche cette pâtée nauséabonde grouillante de vie. Toujours, il la servait de la même façon, en jetant sur le sol devant elle le contenu de la louche.
Si elle lui éclaboussait les sandales, elle savait qu’elle devrait lui lécher les pieds.
Ordinairement, il lui permettait de lui sucer les orteils dans ses sandales.
Antje le faisait maintenant sans réfléchir, mais elle savait que s'il lui permettait de s’appliquer, de bien passer la langue entre les orteils, c'était de bon augure, il lui donnerait à boire plusieurs fois l’eau de sa gourde, cette eau qui avait un si bon goût de réglisse et qui l’apaisait.
S’il faisait cela, c’était à cause des vertus antiseptiques, euphorisantes et aphrodisiaque de la boisson, ensuite, il se servait de la bouche de l’esclave pour son plaisir.
Antje savait le satisfaire, ce qui la surprenait, c’est qu’il n’utilisait que sa bouche, seulement sa bouche, puis il souriait moqueur.
Elle, elle attendait sa récompense quotidienne, sa nourriture.
Elle la mangeait maintenant comme une chienne vorace, tandis qu’il la tenait par ses poignets enchaînés dans le dos, dans une position humiliante d’extrême soumission. Parfois, il marchait sur ses cheveux, juste pour lui donner plus de mal à manger.
Affamée, le nez dans le gruau, les bras tendus tirés en arrière, elle traquait le moindre asticot. Elle sentait à peine la sandale posée entre ses omoplates qui appuyait sur le haut du corps, comprimant ses seins contre ses genoux. Pendant qu'il tirait bien haut la chaîne de ses poignets, lui luxant douloureusement les épaules.
Pourtant, il attendait patiemment qu’elle finisse de tout manger. Parfois, il lui prenait le menton et il lui désignait sa couche. Cette tendresse infinitésimale la ravissait et l'étonnait. Il attendait qu’elle se masturbe devant lui ; ce qu’elle faisait sans l’ombre d’une hésitation.
Enchaînée de façon permanente, nue, sous-alimentée et constamment maltraitée. Elle ne pensait qu’à plaire suffisamment au gardien pour gagner sa nourriture et éviter le couteau qui tranchait si facilement la gorge des esclaves.
Éprouvée par le régime du quartier de dressage, elle était là pour devenir une esclave docile après tout.
Lui, le savait, elle aussi maintenant. Il n'y avait rien pour la distraire de ce qu'elle subissait. Pas de musique, pas d'alcool, pas de téléphone, pas de petit ami, pas de jogging. Ce n'était rien d'autre que la noirceur, la toile parfaite pour que son esprit peigne les pires scénarios. régulièrement la petite négresse Adamante venait parfaire son éducation, venait lui vider un peu plus le cerveau, venait briser ce qui lui restait de volonté. Ses moyens étaient aussi étranges que douloureux. Alors la fillette la frappait, lui infligeait de petites morsures venimeuses, Antje se sentait partir. Comme pour se concentrer sur ses tourments. Son corps devenait plus docile non seulement pour accueillir d'autres souffrances, mais aussi pour l'aider à le stimuler davantage.

• Maintenant jouis ! Jouis pour moi, salope! Hurlait la négresse, alors qu'elle travaillait habilement le corps de Antje.

Celle-ci ne pouvait s'empêcher d'obéir, cela la jetait dans un autre crescendo bouleversant. C'était épuisant. Son cœur lui faisait mal, c'était si douloureux, penser à ses parents, sa vie d'avant lui faisait mal. Elle voulait tout oublier. Son niveau d'abaissement et de déshumanisation était tel qu'il la faisait constamment jouir. Tout se mélangeait dans un flou d'extase et de plaisir.
Antje ressentait à chaque fois la même sensation de chaleur visqueuse qui remontait de son entrejambe. Cela commençait comme quelque chose de vil et de cruel, mais son corps ne pouvait s'empêcher d'appeler ces abus.
Le plaisir provenait de quelque chose de dormant en elle. Se réveillant enfin, elle se perdait lentement dans le feu de l'action.
Dans peu de temps, elle serait un animal qui travaillerait sous le joug.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

λάϐδα* (le lambda vaut 30.)

cycéon d'esclaves*: Le cycéon, intermédiaire entre la boisson et la nourriture, gruau d'orge et de manioc allongé d'eau et additionné selon les cas d'herbes, de drogues, d'aromates, de laitage et des restes qu'on ne donne pas aux cochons. Son nom vient de ce qu’il faut remuer le mélange avant de l’absorber pour éviter la formation d’un dépôt des matières solides, (c'était le cas à l'origine depuis le cycéon désigne plus une bouillie qu'une boisson.)