Txorien Kalejira ou Défilé des Oiseaux.

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Du 17 au 22,

la galère navigua entre de hautes falaises abruptes entre lesquelles le fleuve roule encaissé.

A partir d'un port fortifié, depuis longtemps ruiné, du nom de Mébesh, des montagnes de grès tendre, élevées et taillées à pic, couvertes d’une garrigue sauvage étaient présentes sur les deux rives occidentales du fleuve. Elles en rétrécissaient le cours, comme une suite de hauts murs.

Elles se déployaient au loin par de nombreuses et profondes vallées encaissées, dont elles accentuaient l'aspect aride et minérale. Le fleuve, en les baignant de ses eaux tumultueuses, en minait peu à peu la base. Des amas de blocs s'avançaient quelquefois jusqu’au milieu du fleuve, rendant sa navigation des plus dangereuses. C’est pour cela que l’on n’y naviguait que de jour, et encore aurait-il fallu une vigie à la proue et au sommet du grand mat. Ce qu’il y avait aussi d’étonnant c’était que ces falaises étaient multicolores recouvertes d'une multitude d'oiseaux qui nichent dans les milliers d’anfractuosités de la roche, ils vivent là paisiblement sans être ennuyés par personne.

Le fleuve leur fournit une nourriture abondante en alevins, batraciens, crustacés, vers de vase et insectes de tous genres dont ils sont très friands.

C'était vraiment une scène des plus curieuses, au lever du soleil, que de voir ces milliers d’oiseaux s'éveiller en poussant chacun leur piaillerie singulière, comme s'ils eussent voulu chauffer leurs voix. Puis lisser méticuleusement du bec leur plumage, battre de temps en temps des ailes comme pour garder leur équilibre au bord des falaises, et finalement piquer vers le fleuve, vers les rives qui bordent les eaux tourbillonnantes avec mille cris discordants qui constituent le plus étrange de tous les concerts.

Il faut les voir plonger du haut de leur observatoire, raser vivement la surface de l'eau, se relever avec un poisson argenté, étincelant au bec. Cette succession de falaises rocheuses est connue dans le pays sous le nom de Txorien Kalejira ou Défilé des Oiseaux.

***

Le 22 au soir,

nous mouillions à hiru iturriak (les trois sources), gros bourg de la rive gauche d'un aspect des plus étrange, enfoui sous les pommiers du désert, les palmiers, les dattiers, les tamariniers. Trois figuiers, âgés certainement de plusieurs siècles, suffisaient à eux seuls à ombrager la place principale triangulaire dont ils formaient les angles. Il y avait fête ce soir-là dans la contrée : le zaharra ou chef du village mariait sa fille, et il avait fait faire de grandes distributions de vivres à tous les habitants sans oublier d’y ajouter quantité de vin de palme, de bière des hauts plateaux. Et à en juger par les chants et les danses auxquels ils se livraient la fête allait bon train ; des derviches pas encore fatigués n’en finissaient pas de tourner sur eux même comme des toupies rendues folles, ivres de boissons et de musique. Des prédicateurs haranguaient une foule abrutie d’alcool et d’herbes à songes*, et comme toujours, d'après ceux des nôtres qui comprenaient la langue, ils excitaient les vrais croyants au massacre de ces chiens de Samaëliens qui souillaient de leur présence la terre du prophète à venir. Les temps étaient proches où, à la voix d'un nouvel élu beau comme un Dieu et non ressemblant à un monstre craché des enfers, se lèverait, et jetterait au vent du désert les tripes des Samaëliens et des Messiens.

Nous jugeâmes prudent de ne pas passer la nuit au milieu de ces fanatiques exaltés par la boisson, et bien que le zaharra en personne soit venu nous convier à assister au repas qu'il donnait le soir dans son castel, à tous ses parents et alliés, nous déclinâmes cette offre, alléguant l'obligation d'arriver au plus tôt à Tagurxch.

Trop heureux, il n'insista pas et nous envoya en cadeau trois cerfisars*fumés, deux trabuks salés pour la chiourme un sac de beau froment concassé bluté, de la grosseur de notre semoule ordinaire, et prêt à être employé pour le couscous, et une douzaine de régimes de belles dattes cinq cageots de pommes acides du désert et trois grands sacs de riz rond. En retour notre Capitaine lui fit présent d'un magnifique fusil à vapeur, avec ses munitions, ainsi que de vingt lingots de d’acier cimmérien qu'il reçut avec des démonstrations de joie non équivoques.

Nous renouvelâmes notre provision d'eau fraîche, car les sources de hiru iturriak sont renommées, et malgré la nuit nous mîmes à la voile et à la rame presque aussitôt devant une foule de six ou huit cents personnes, que la présence du zaharra et de sa milice empêchait de nous honnir, car les mots de chiens d'étrangers, d'impurs infidèles, étaient dans tous ces murmures.

La voile portait bien, les rameuses souquaient ferme et en quelques minutes notre galère disparaissait dans la nuit. Alors une immense clameur éclata sur le rivage : « à mort les infidelak* ! (Les infidèles).

Nous étions loin, et nous ne fîmes que sourire de ces insultes impuissantes.

Au lever de la lune Major, nous nous arrêtâmes dans un des méandres du fleuve pour jeter l'ancre jusqu'au lendemain.

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