Et si on s'évadait ?

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Les seuls repos ou soulagement qu’elles prenaient pendant la journée étaient lorsqu’elles revenaient des horrea* leur chariot vide et que sur le quai le calier* leur donnait à boire.

La nourriture était la même que sur la galère, servie de la même façon, c’est-à-dire jetée dans leurs mains ou par terre, les rations étaient copieuses mais elles étaient toujours affamées car elles travaillaient dur.

La nuit, elles restaient entravées enchaînées aux brancards du chariot à cotés d’un Porte-falot* dont la sourde lumière les éclairait peu mais puait beaucoup.

Yumi essayait de se souvenir de ce qu’elle avait dû faire de si mauvais dans une autre vie pour mériter celle-ci. Quant à Saavati, elle ne savait que trop bien que son enfer sur cette terre ne pourrait que précéder celui que son Dieu lui promettait.

Du temps où elle était à Saad-Ohm et sous la houlette de Dame Layna, elle avait appris l’art de la fellation, à en apprécier la douceur ainsi que le goût. Dans tout ce qu’elle avait entrepris, elle avait toujours essayé d'être bonne, d’être la meilleure. Mais ici le foutre des argousins n’était ni la conclusion d’un festin, ni celle d’une nuit d’amour. Ainsi quand ils avaient commencé à la brutaliser pendant qu’ils tenaient ses petits seins pour en pincer les tétons durcis, ou qu’elle branlait leurs grandes queues avant qu'ils la baisent, elle pensait « Bordel ! j'aime encore ça ! même avec eux ? même si je dois lécher leur sperme sur mes seins. »

Yumi, qui d’une certaine façon était une professionnelle de la séduction, savait apprécier le regard des argousins, et même le hale-bouline* qui les surveillait et les conduisait de cruelle façon, celui-là qui aimait faire en sorte qu’elles aient leur contentement de souffrance. Elle avait su le séduire et le jauger. Et parmi le nombre d’attelages, c’est le sien qu’il semblait le plus prendre plaisir à observer.

Mais c’est vrai qu’elles faisaient tout pour être le centre de l’attention du jeune matelot, même si les lanières de la garcette* leur caressaient d’un peu trop près les côtes. Mais apparemment Saavati semblait fort bien s’en accommoder, elle trouvait l'application du fouet ou de la garcette excitante.

Pendant qu’on chargeait leur chariot et que le calier s’apprêtait à les abreuver, ils n’étaient pas moins de cinq ou six à les violenter pendant qu’elles se tenaient penchées la tête sous le joug prise dans le carcan de l’attelage, disposées à laper cette eau tant convoitée. Elles laissaient faire sans aucune protestation, sans savoir s’il y avait dans le regard de leurs compagnes d’infortune de l'envie ou de la pitié. Mais cela donnait à celles derrière elles dans la file des chariots un plus long repos.

Pour affermir sa volonté. Il suffisait à Yumi de se souvenir de son passage au port de Trugole comme ramasseuse "de terre de nuit", un joli nom pour des excréments qui allait devenir de la "poudrette" l'engrais des agriculteurs locaux. C'était un travail exténuant, misérable, qui durait toute la nuit. Elle se souvenait que pour prévenir de son arrivée, son garde lui plaçait chaque soir des clochettes à tétons et des grelots sur le baril et sur le harnais qui lui servait à porter la tinette. Alors Yumi pensait qu’ici tout n'était pas si mauvais, il suffisait d’attendre et de sauter sur l’occasion. Sa compagne de chaine semblait du même avis.

Malgré toutes ses mésaventures, pour Saavati la nudité n’allait toujours pas de soi. La jeune femme trouvait très humiliant de travailler nue dans les rues. Sur la galère et dans le port, elles étaient seulement deux esclaves nues parmi beaucoup d'autres. Mais quand elles longeaient le souk pour atteindre les horrea*, elles étaient les seules nues au milieu d’une population habillée, les esclaves et même les prostituées portaient des vêtements. Elles devaient constamment entendre des remarques sur leur mauvaise odeur, sur leur manque de pudeur, sur le fait qu’elles travaillaient lentement.

C’était la pause de midi, le calier avait jeté quatre louches de gruau sur le pavé, au milieu des brancards, devant la tête des filles.

  • Prenez votre pitance, salopes ! avant que les chiens ou les rats ne viennent.

Les années de servitude avaient fait de Yumi une survivante qui ne comptait que sur elle, incapable de pitié.

Saavati ignorerait simplement cela. Aussi pensait elle : « La vie est dure, Mais avec elle, ce sera différent. Ce pourrait être juste cela… une partenaire, qui pourrait réellement ne pas vouloir supporter le fardeau d’une rame pour le reste de la vie ? Cela pourrait être quelqu'un qui vaut la peine que j’apprenne à connaître. »

Et donc, c’est un peu à contrecœur que Saavati lui tendit la main, lui offrant le reste de sa nourriture.

Yumi sourit et commença à lécher méticuleusement la main de Saavati. Elle avait vraiment faim. Une fois terminé, elle se lécha les lèvres, puis se tourna rayonnante.

  • Y. Merci, Saavati, dit-elle. Elle continua à sourire, cherchant une réaction sur le visage de Saavati, mais elle acquiesça seulement.
    Pour tout dessert, Saavati venait de se faire fouetter par l'un des plus jeunes gardes par le hale-bouline*. Elle fit une grimace de douleur, mais rapidement, elle eut le sourire sage des soumises, le sourire de quelqu'une qui avait passé plus d’une année de sa vie nue, enchaînée à une rame.
  • S. Aïe ! dit-elle doucement, alors que Yumi raclait le pavé à côté d'elle à la recherche d’un peu de gruau.
  • Y. Tu ne m’as pas dit comment tu t’es retrouvée esclave ?
  • S. j'était une Nonce Salamandrine. J’ai été arrêtée et accusée d'être une espionne par ce coquin de Subarnipal. J'étais agenouillée devant lui vêtu de mes robes sacerdotales, ses chiennes m’ont dévêtues, j’ai été torturée, enchaînée. J’ai été jetée dans la cale de son navire palais. C'était tellement incroyable que j'en aurait presque ri. La veille, j'étais riche, importante, noble. Vingt-quatre heures plus tard, je ressemblais à une galérienne. Je n’ai plus envie de rire en me souvenant de mon séjour dans leur maudite cage, ni en repensant à ce salopard de nain ou à ce maudit prêtre à qui on m’a fait cadeau. Mais j’avais un petit secret. Quand j'ai pensé qu'il était temps pour moi d’en parler et de mettre fin à cette farce scandaleuse, un gardien m'a frappée avec son fouet pour me faire arrêter. Subarnipal a dit qu'il en avait assez entendu. Le bourreau debout à côté de moi m'a dit que je venais d'être condamnée à être une esclave. Il l'a dit d'un ton neutre, comme si ce n'était rien. Il a même dit qu’on m’avait offerte en cadeau au prêtre d’Ishtar. En y repensant, je me demande pourquoi je n’ai pas crié parce que c’est vraiment ce que j’ai ressenti. Une envie de hurler.

Saavati s'arrêta brièvement pour se gratter la tête.

  • Y. Ma pauvre, de si haut tomber si bas...
  • S. Oui, tu l'a dit. Ensuite, ils m'ont emmenée et ont forgé ce collier autour de mon cou et ces fers autour de mes poignets et de mes chevilles… Puis l’embarquement sur la galère et notre rencontre.

Elle pointa son vagin.

  • Y. Tu as envie que je te caresse ?
  • S. Non, pas encore. tu vois avant j’étais vraiment pudique, couverte de soie. Alors, pourquoi ne pas être nue ? et porter autre chose que des chaînes pour le reste de ma vie ? Qu'en est-il un joli collier de bronze lourd autour du cou, tu penses que ça me conviendrait ? J’ai été enchaînée avec plus de dix autres femmes pour arriver jusqu’à Trugole des semaines de marche à vider nos gamelles et notre vessie debout et en marche parce que nous ne devions pas interrompre la caravane pour cela. Nos mains menottées dans le dos pour la nuit ? Dormir à même le sol au milieu d'une jolie cage, ou à l'air libre comme ici, ou dans la cale sur notre banc de nage ? Et bien tu vois je n’arrive pas à m’y faire ! j’ai honte quand je marche en ville, j’ai honte quand les enfants se moquent de moi, j’ai tout le temps honte.
    Yumi baissa les yeux sur le pavé.
  • Y. Je suis désolée de ce qui t’est arrivé. Mais il n'y a aucune raison de croire que nous resterons toujours des esclaves et je ne veux pas affaiblir ma volonté d'être libre à nouveau. Tu as peut-être simplement perdu tout espoir, dit-elle sombrement.
  • S. Maintenant écoute ça, je ne te dénoncerai pas, mais ne compte pas sur moi, je n’ai pas envie de finir crucifiée, soupira Saavati.
  • Y. Éloigne-toi de moi alors, dit Yumi en s'éloignant de Saavati à genoux.
  • S. Désolé mais tu ne peux pas aller bien loin, n’oublie pas la chaine et le joug qui nous relient l’une à l’autre.
  • Y. Va te faire foutre.
  • S. Tu as raison ! Je devrais et j’aimerais. Puis elle surveilla les gardes et comme elle n’en voyait pas trop près d’elles. Ne t’inquiète pas, j’ai dit ça pour voir ta réaction. il faut bien rigoler un peu ?
  • Y. Idiote ! Regarde ! si on a une petite chance, une opportunité pour nous évader ? A ce moment, tu feras quoi ?
  • S. Tout risquer sur un coup de dés ? hein oui je suis partante. Je ne suis pas un mouton. J'ai envie de mordre, de tuer. Tu as un plan ?
  • Y. Oui, ce jeune crestin de hale-bouline*porte un démanilleur* à la ceinture. Pendant que tu le chauffes, je lui pique le démanilleur* je sais faire j’ai été une assez bonne voleuse. Et après on verra. j’ai vu que sous le débarcadère, il y avait une bouche d’égout juste assez large pour qu’on puisse s’y glisser.
  • S. On peut faire ça cette nuit. Toutes les deux nous savons manier les armes, cela ne sert à rien d’attendre.
  • Y. Tu as raison, si on se serre les coudes on y arrivera.

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Horrea* : entrepôts de l’époque romaine (au singulier : horreum*)

Calier* : Matelot chargé de la surveillance des marchandises en cale. A l'époque de la marine à voile, le calier était l'homme chargé de la distribution de l'eau douce.

Garcette* : - Petit cordage tressé. - Garcettes de ris : réparties sur les bandes de ris, parallèlement à la bordure, elles servent à serrer la partie de voile réduite. Autrefois, tresse faite de vieux cordages, qui servait à infliger des châtiments corporels aux mousses et aux matelots.

Sub* : monnaie de l'Empire de l'Est

Onérarias*: Navire de transport le plus répandu ; D'une lon­gueur de 20 à 30 mètres pour 8 à 10 mètres de large, il pouvait charger de 100 à 300 tonnes (soit plus de 10000 amphores) Les principaux bois utilisés pour sa construction étaient le pin, l'orme, le cyprès et le chêne ; Sa poupe était le plus souvent ornée d'une tête de cygne.

Cérastes* : Galère Légère, rapide, elle comptait un seul rang de rames et une grande voile carrée. Cercles de mât, Cercles de bois qui coulissent autour du mât et servent à tenir le guindant d'une voile aurique.

Onérarias*: Navire de transport le plus répandu ; D'une lon­gueur de 20 à 30 mètres pour 8 à 10 mètres de large, il pouvait charger de 100 à 300 tonnes (soit plus de 10000 amphores) Les principaux bois utilisés pour sa construction étaient le pin, l'orme, le cyprès et le chêne ; Sa poupe était le plus souvent ornée d'une tête de cygne.

Avitaillement* : Fourniture du combustible, vivres, etc., nécessaires à bord d'un navire pour l'exécution d'un transport. Tout ce qui constitue l'approvisionnement d'un navire, particulièrement les denrées nécessaires à l'alimentation de l'équipage et des passagers. Désignation des produits, objets ou matières destinés à être consommés sur un navire, échappant ainsi à la législation douanière. Le terme désigne à la fois l'action et les marchandises. Verbe : avitailler.

Hale-bouline* : Ce terme a désigné un jeune matelot sans expérience ou un marin grossier et peu instruit.

Porte-falot* : Récipient empli de suif, de poix, d'artifices, servant à éclairer les abords d'un lieu de fête, les cours des maisons, etc.

Démailler* : Retirer le lien qui unissait un objet à un autre. Séparer les maillons d'une chaîne, ou l'ancre de sa chaîne.

Démaniller* : Séparer deux maillons d'une chaîne, ou deux manœuvres unies, en enlevant la manille d'assemblage.

Démanilleur* : Instrument servant à serrer ou desserrer une manille.

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