3.2 La cinquième baguette

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Tout avait commencé à Melbourne. Eileen était arrivée dans le Bureau Détaché des Portoloins Australe, où l'avait accueillit Ozzi. C'était une femme d'origine aborigène, aux alentours de la trentaine. Peut-être avait elle le même âge qu'Eileen, mais il émergeait d'elle une expérience telle qu'il lui était impossible de lui parler sans le supplément de respect qu'on réservait à ses aînés. Chevelure brune et courte, peau cuivrée, elle n'était pas spécialement belle cependant on devinait qu'elle aurait pu l'être si son apparence ne passait pas après ses missions de terrain.

Ensemble, elles avaient fait des réserves d'eau, de nourriture, de matériel et avait conduit deux jeeps jusqu'Ararat. C'était là qu'elles avaient rejoint le reste de l'équipe, occupée à surveiller la population de Bunyip cachée dans le parc national. Ils étaient quatre, trois hommes et une femme, dont le chef était Ryan, un type tellement sec qu'il semblait être moulé directement du sable du désert.

Le courant était beaucoup moins bien passé avec eux, qui voyaient en Eileen une touriste anglaise avide d'exotisme. Ils n'avaient certainement pas tort.

Jusqu'alors, elle n'avait vu des Bunyip que dans les livres. Des vieux grimoires, dont les illustrations semblaient aussi fidèles que lorsque les Européens médiévaux dessinaient des éléphants. La réalité était bien éloignée de cela.

Écailles dures, rugueuses. Corps trapu, musculeux, prêt à se jeter sur sa proie. Griffes acérés. Naseaux frémissants. Yeux avides, fous, brillants à la vue du sang. Dents... coupantes comme le fil du rasoir. Plus longues que celles d'un crocodile, plus effilées que celles d'un requin.
Les poings d'Eileen se serrèrent. Oh oui, maintenant elle savait très bien à quoi un Bunyip ressemblait.

Tout s'était passé extrêmement vite, pourtant elle avait l'impression que chaque instant resterait à jamais gravé dans sa mémoire. Il était aux environs de 3 heures du matin. Les créatures du billabong n'étaient normalement actifs que durant le crépuscule ou bien juste avant l'aube, aussi il fallait éviter les déplacements à ces heures. Notre anglaise avait profité de son décalage horaire interne pour prendre la première garde, en haut d'un grand perchoir, puis elle s'était faite relever.

Elle marchait, un peu endormie, à la lumière hésitante du bout de sa baguette brillante.

L'attaque était survenue de nulle part. Elle fut renversée par une force terrible, retombant au sol quelques mètres plus loin.

Autant Eileen était toujours prête à dégainer sa baguette quand elle était attaquée par un maléfice, autant elle était incapable de réagir à une demi-tonne de muscles et d'écailles qui chargeaient. Une fois au sol, elle fut trop groggy pour bouger. Il s'agissait plus du choc que de la douleur, car à ce moment là, elle ne sentit rien de la souffrance qui se révèlerait le lendemain.

Un cri déchira la nuit. Trop puissant pour être humain, trop sauvage, trop... glaçant. Cela agit sur elle comme un électrochoc. La nuit était trop sombre pour savoir ce qui l'avait attaqué. Elle roula sur le côté, la boue sur ses vêtements était le cadet de ses soucis. Cela lui permit de rattraper sa baguette, encore illuminée, que sa chute lui avait fait perdre.

  • Lumos Maxima ! elle s'exclama.

La peur du noir, du danger tapis dans la nuit, était aussi vieille que l'humanité. Pourtant, parfois, ce qui est dévoilé par la lumière est bien pire.

Le sortilège se refletta dans le fond de deux pupilles dilatées. Sous ces yeux se trouvaient une bouche ornée de dents trop nombreuses pour qu'elle ne puisse les compter. Ses babines étaient retroussées, salivantes.

Le monstre - car il n'y avait pas d'autre mot pour le décrire - se prépara à charger.

  • STUPÉFIX ! hurla-t-elle, priant pour que cela marche.

Cela ne marcha pas. Entre le moment où le sort rebondit sur le cuir épais du Bunyip et celui où il se jeta sur elle, Eileen eu le temps de voir sa vie défiler mille fois. Une demie-seconde plus tard, une douleur terrible lui déchira l'épaule droite.

Elle ne se souvenait plus bien d'avoir crié à ce moment là. Mais il n'aurait pu en être autrement : plusieurs centimètres de crocs s'enfoncèrent dans sa chair.

Le monstre ne relâcha pas sa prise. Comme un crocodile ou une hyène affamé, il aurait été impossible de lutter contre la force de sa mâchoire. Eileen sentit toute la vie de son bras droit lui glisser entre ses doigts, en même temps que sa baguette. Toujours sans rien lâcher, le Bunyip la traîna sur le côté.

Quand le "crac" typique du bois qui se brisait retentit, elle pria pour qu'il ne s'agisse que d'une branche. Pourtant, baguette ou branche, cela ne changeait pas grand chose. Elle allait finir dévorée par une créature sauvage. Comme quoi, son désamour pour tout ce qui touchait aux Soins aux Créatures Magiques n'avait rien d'illogique. A Poudlard, on lui avait toujours dit qu'elle finirait brûlée par un dragon ou piétiniée par une licorne... Jamais elle n'aurait du se lancer dans une telle aventure ! Qu'on lui rende son Londres, son bureau au Ministère, même ses baguettes nulles qui la détestaient...

Le monde devint noir.

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  • T'ay complaitement stoupid' ou quoi ?

Était-ce l'épais accent australien du chef de l'expédition qui la perturba, ou bien son esprit était trop embrumé par la douleur pour avoir pleinement conscience de ce qu'il se passait ? Elle grogna et secoua la tête, ce qui ne voulait pas dire grand chose.

Elle n'avait dû sa survie qu'à l'intervention in extremis de son équipe, alertée à la fois par son cri et celui de la bête. Autant dire qu'ils n'avaient pas vraiment apprécié le fait qu'elle ai été incapable de réagir correctement à l'attaque d'un Bunyip. C'était pourtant simple : toujours fuir. Dans une forêt marécageuse, elle devait viser le premier arbre venu et grimper hors de portée et surtout - surtout ! - quelle idée, d'agiter une baguette sous son museau et l'attaquer ! Un Stupéfix en plus ! Qui lui avait fichu entre les pattes un boulet pareil ? Ils avaient dû se mettre à trois pour l'empêcher de la dévorer. On lui avait bien dit, pourtant, qu'il fallait éviter au maximum toute intervention humaine dans le milieu naturelle du Bunyip !

Eileen n'écoutait pas vraiment. Elle passa sa main sur son épaule ensanglantée, ravivant une douleur infernale. Pendant une seconde, elle crut que le truc dur sur lequel elle buta, c'était un morceau d'os. Heureusement - enfin heureusement... - c'était un petit cadeau que lui avait laissé l'animal. Une dent, couverte de son propre sang. Il faudrait qu'elle pense à la porter en trophée autour de son cou.

Autant dire que depuis ce jour là, Eileen avait fait profil bas. Elle se sentait probablement moins coupable que l'équipe aurait voulu, cependant sa mauvaise humeur donnait l'impression convaincante d'un mea culpa. Avoir cassé sa baguette lui faisait se sentir inutile, ce qui n'arrangeait pas son sentiment de solitude. Bref, elle commençait à regretter cette idée d'aller se perdre sur un autre hémisphère.

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