UN CHOIX TACTIQUE

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Respire. Respire.

Non mais j’étais prête à lever le voile et voilà que le monstre aux lippes chercheuses a tout gâché.

Gardienne de quoi ?

Pourquoi j’ai autant de connaissances sur le monde humain et si peu, disons carrément aucune, sur mon passé ?
Qui je suis ? D’où je viens ?
Bordel ! C’est si frustrant de ne pas savoir.

Il me semble que la colère avait déclenché la machine. Mais je suis dans le corps d’un chat. Une enveloppe charnelle qui me contraint à la prudence. C’est fragile un chat. Même si c’est sensé avoir neufs vies et retomber sur ses pattes, c’est de l’ordre de la légende. En vrai, un coup bien placé au niveau du cou et crac. Finito. Hasta la vista bébé.

Je m’égare, mais vrai. Je peux pas jouer les Rambos. De toute façon j’ai pas de doigts pour appuyer sur une gâchette. Va falloir que je me remue les méninges. Que je sois plus maligne.

Calme. Tranquille.

Je force cette enveloppe que je remplis à se relâcher. Serrée contre l’humaine qui continue à geindre et à me déverser ses gouttes d’eau salées sur la face, je ferme les yeux et prends une forme inerte.
Elle me repose et cesse de pleurer immédiatement.

Elle me manipule de nouveau. De façon moins fébrile. Apparemment elle a vraiment fait des études de vétérinaire et semble relever mes constantes.

« Ça va aller. Ça va aller ma belle. »

Je suis pas SA belle. Je me fais violence pour ne pas réagir.

Je jouerai pour elle la belle au bois dormant si ça peut l’écarter.
J’ai besoin de réfléchir. De mettre un peu d’ordre dans tout ça et son odeur, ses chialeries, sa présence m’empêchent de faire le tri.

« Tu t’es endormie. C’est parfait. Je suis tellement désolée. J’aurais dû couper la tranche de saumon en petits morceaux. C’est ma faute. »

Et la voilà qui se relance encore dans son mea culpa. Une victime. Voilà ce qu’elle est.
Mais je devrais pouvoir tirer à mon avantage la culpabilité de cette chialeuse. Faut juste qu’elle m’accorde une pause.

Elle me couvre d’un bout de couverture chaude et douce et s’en va en tentant de faire le moins de bruit possible. Bien sûr, elle se cogne dans une table et fait tomber un livre en poussant un juron. Un éléphant dans un magasin de porcelaine. Quelle championne !

Pas grave, le principal c’est qu’elle se casse.
La lumière de la pièce ne s’éteint pas. Quelque chose me dit qu’elle va revenir.
Je ronge mon frein. J’attends. Si je m'écoutais je saccagerais tout ici. Je foutrais le feu à cette baraque. Je passerais mes nerfs sur tout à portée de pattes. Je me crispe. Non. Respire. Respire. Il faut que je me calme pour étudier la situation dans sa globalité. Calculer toutes mes possibilités et choisir la meilleure option.

Je ne me suis pas trompée. Elle revient littéralement sur la pointe des pieds. Beaucoup d’efforts pour peu de résultats. Je perçois les yeux fermés chacun de ses mouvements. Si je n’aspirais pas à la tranquillité je le lui ferais savoir, d'un bon coup de griffes dans les mollets par exemple, il me serait facile de me glisser au sol et de l'approcher en catimini, mais pour le moment seul compte qu’elle me laisse seule avec moi-même.

« Je t’ai coupé le saumon en petits morceaux comme ça si tu te réveilles et que tu as faim tu pourras manger. »

Je ne suis pas censée comprendre et ne bouge pas un cil. Histoire qu’elle me croit endormie.

Ça semble fonctionner. Quelques instants après elle repart et éteint la lumière.

Enfin seule.

Bon, passons aux choses sérieuses.
Petit récapitulatif. Mon premier souvenir est un éclair. Mon second, le choc. Après le réveil avec les deux hystériques aux voix criardes dont celui qui a un cheveu sur la langue et voulait m’empailler. Je me suis ensuite mise en colère et c’est là que le voile a commencé à se déchirer. Ou parce qu’elle a parlé de devenir mon amie ?

La notion de Gardienne a explosé. Mais gardienne de quoi ?

Ce qui est sûr c’est que j’ai une connaissance des us et coutumes humaines incroyable et que je comprends parfaitement leurs paroles, leur mode de fonctionnement et tout en général.

Autre point : je ne les apprécie pas.

Je crois même que c’est ça qui a fait ressortir le terme de Gardienne.

Pourquoi ? J’en ai vraiment aucune idée.

Point suivant. Pour retrouver la mémoire, il va me falloir du temps.

Si je me tire maintenant, je devrais affronter les dangers de la rue, des prédateurs, chiens, autres humains, voitures, mauvais souvenir. Ici j’ai le confort, la sécurité et la nourriture assurée. En contrepartie y’a les deux monstres mais ça j’en fais mon affaire.

Le suave fumet du saumon fumé titille mes narines.

Ce corps de félin m’est à moitié étranger. Il ne me dérange pas, mais me donne la sensation d’être à l’étroit. Je me sens féline mais pas que.
Il y a trop de questions sans réponse.

M’étirant, je me lève et observe les lieux. Mes yeux percent sans difficulté la pénombre tant la pollution visuelle, téléphone en charge, chiffres lumineux sur la box, témoins sur l’ordinateur sont présents. Personne à l’horizon. Tout est sécure.
Mon odorat fonctionne parfaitement et l’envie de dévorer ce délicieux poisson se fait plus insistante.

J’y cède sans plus résister. Le ventre plein, la réflexion est plus aisée.

Mon repas terminé, je me lèche le bout des pattes et nettoie mes vibrisses, puis fait une toilette rapide.

Ok. Tactiquement il faut que je reste ici. En tous cas pour le moment.

Je vais devoir faire « amie-amie » avec celle qui a le pouvoir ici. C’est le meilleur choix.

Le plus intelligent et je suis intelligente. Bien plus que ces bipèdes pédants.

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