PAS:SION

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Écrit en écoutant notamment : KAS:ST - Hell On Earth

I

Il se tenait là, indifférent à la violence qu’il déchaînerait. Un soleil d’été, d’une mollesse écrasante, déposait sur ce garçon aux cheveux noirs des ondulations scintillantes. Il n’y avait plus que ce corps ; tout le reste s’était soudainement évaporé dans une brume ascendante. Lui ne s’en était pas aperçu, il plaisantait, serra et déplia ses doigts avec une grâce qu’il ne pouvait soupçonner. Le son de sa voix me paraissait un instrument divinement mélodieux, dont on apprécie chaque mouvement ; nul besoin d’en comprendre le sens pour être frappé par les émotions les plus intenses, vraies et profondes. Mon sang cognait avec fureur dans mes tempes, dans ma poitrine, et pourtant, une immense faiblesse s’empara de mes membres. Mes mains semblèrent se décomposer, se diluer dans un éther impalpable. Je flottai ainsi quelques instants, avec pour seule attache l’éclat que me renvoyait ce jeune homme. Il s’était éloigné de quelques pas, restant la pièce maîtresse du tableau estival qui se dressait devant mes yeux. Les siens, accueillants et inaccessibles, ne s’attardèrent pas suffisamment longtemps sur moi lorsqu’il dépassa la butte côtière depuis laquelle je l’avais vu approcher. Une courte rêverie suffit pour qu’il disparût, plus volatil que mon songe.

II

À plusieurs reprises, j’hésitai à courir, désespéré, à la recherche de cet inconnu, responsable malgré lui de cette houle qui avait secoué ma perception. Pour quelle raison ? Comment aurait-il pu comprendre cet élan instinctif, ces quelques minutes éblouissantes qui auraient voulu devenir des heures, des jours ? L’indécision avait désormais laminé mes derniers espoirs ; pourtant je me refusais à croire qu’un lien aussi neuf et éclatant pût ainsi voler en éclats, ne laissant que quelques images éparses et mouvantes, vouées à se figer tels de lointains vestiges, puis à perdre leur fins reliefs et dorures, avant de tomber progressivement en poussière. Pour l’instant, repoussant la détresse qui frappait perfidement à ma porte, je m’imprégnais autant que je pouvais de ce visage angélique, m’enivrais comme lors d’une nuit de fête du souvenir de cette voix séduisante, redoutant le moment où le rythme de cette musique lascive s’interromprait. Puis je compris que la révolte était vaine, et je me sentis à nouveau accablé par le poids de mon corps, comme lors d’un réveil après une nuit trop brève.

III

La clarté uniforme de la journée avait cédé sa place aux ombres grandissantes, bientôt démesurées, puis les ultimes lueurs multicolores capitulèrent. Je me battais contre une entité invulnérable ; ma seule arme était de me rappeler une fois de plus que cette merveille appartenait encore à “aujourd’hui” ! Le sommeil, sournois dans son mode d'exécution, me faucha sans que je souvinsse de ma dernière incantation. Je fus projeté dans un monde nouveau, cerné de contours flous, aux prises d’un régime anarchique. Au croisement de quelque instabilité matérielle, je reconnus ces cheveux ondoyants, l’invitation taquine de ces yeux. Une tension lia nos regards, fit apparaître un brin invisible qui transportait notre désir, cette sève bouillonnante qui m’emplissait de vigueur. Enfin, lorsqu’elle fut à sa portée, ma main se tendit vers la chair ferme de son torse dénudé, plus réel que mon existence. Elle se perdait dans des lacets interminables ; soudain, une douceur m’envahit, et je sombrais, dispersant ma conscience dans ce corps, jusqu’à un réveil douloureux. Les dernières survivances de mon fantasme moururent hâtivement, m'ayant glissé comme une poignée de sable fin entre les doigts.

IV

À l’extérieur, le monde reprenait vie : le paysage frémissant attendait impatiemment de retrouver sa parure radieuse. Ma tragédie lui était inconnu, et sans le vouloir, il m’entraînait de toutes ses forces vers des expériences nouvelles. Mes sentiments, incapables de suivre cette direction, me guidèrent à nouveau jusqu’au lieu que ce garçon avait ensorcelé par son passage. Se pouvait-il vraiment que le miracle se réitère ? Je devrais alors aller affronter sa beauté, accepter de me soumettre à son appréciation ; il aurait le pouvoir démiurgique de déchaîner une passion qui m'entraînerait vers les sommets les plus étincelants ou dans une spirale abyssale d'une noirceur que même la nuit craindrait. Les heures passèrent ; je scrutais avec mélancolie les allées et venues. Mes yeux s'épuisaient à mesure que mes chances s'amenuisaient, mais la crainte suprême de manquer l'instant que j'espérais me maintenait aussi vaillant qu’un soldat. Je doutais, et le jour rétrécissant aliénait l’essence même de mon entreprise. Il faudrait bientôt abandonner mon poste et reconnaître qu’une folie ridicule m’avait emporté, ayant octroyé à ces quelques mèches flamboyantes le pouvoir dévorant de malmener mes sens impuissants.

V

Je repoussais mille fois ma reddition, comme si la minute suivante, dans une manigance subtile, eut été décisive. Soudain, comme avant l’orage, je sentis l’air se figer, se condenser, m’écraser de tout son poids. Il émergea alors ; mon infernale attente l’habilla d’une attirance sublime, et cette dernière m’envahit de toute part, mon discernement flambait dangereusement. Je redoutais que, comme un mirage dont on s’approche trop, il s’évanouît sans qu’on pût en discerner les détails. Son sourire, que je m’imaginais destiné, alla se déposer sur des lèvres étrangères. L’union heureuse se prolongea dans un terrible cataclysme qu’une force étrange me contraignait à regarder fixement comme un film d’horreur. Son ami se délectait de ma possession, il abattait mes espérances avec une douce violence amoureuse. Je ne pouvais pas contempler plus longtemps la destruction d’un idéal forgé avec passion depuis la veille : misérable, je me levai empreint d’une ivresse mélancolique, laissant le hasard décider de la direction vers laquelle il voulait emmener mes pas lourds et chagrinés. Lorsque la première vague fut passée, je souris en pensant au réconfort que pourraient me transmettre mes amis ; à l’insouciance qui viendrait alors recouvrir ma déception.

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