C'est ici et maintenant que tout se joue. J'ai compris ; la Peur se sert de mes craintes pour me forcer à rester pour toujours au Donjon. Certes, c'est chez moi, mais tous les oisillons quitte le nid un jour. À mon tour désormais.

 — Je pars. annoncé-je simplement

 La Peur prends un toute autre expression. Elle semble... craintive ? Je souris de la même manière qu'un fauve qui s'apprête à se jeter sur sa proie. J'ai été son esclave trop longtemps, il est temps d'inverser les rôles. Elle m'a retenue, faite prisonnière, c'en est assez. Les temps changent et moi, je suis sur le point d'être délivrée de son joug.

 — Je pars ! poursuis-je galvanisée. Tu ne me reverras plus ! Je vais aller dehors, aller voir Espérance. Et toi, tu seras toute seule ici. Tu pensais me retenir encore avec ce satané miroir ! Mais c'est comme ça que tu m'a perdue. Je suis libre, tu m'entends ! Libre !

 La Peur pousse un cri de fureur. Elle veut que je reste, elle ne veut pas rester seule.

 Je dois courir, c'est la seule solution.

 Alors je m'élance vers les escaliers, bousculant ma geôlière au passage. Je dévale les marches le plus rapidement possible. De combien d'étages est composé le Donjon ? Dix ? Trente ? Cinquante ? Cent ? Mille ?

 Peu importe, je sortirai d'ici quoi qu'il m'en coûte. Cette fille dans le miroir m'a ouvert les yeux ; si je demeure dans cet endroit, il n'y aura que moi et la Peur pour l'éternité. Et Espérance, cachée derrière le brouillard. Je suis heureuse à l'idée de la voire. L'adrénaline me monte au cerveau, je cours, la Peur sur les talons. De sa démarche décharnée, elle crie son désespoir. Mais je n'ai pas pitié, oh que non. Elle m'a laissé croupir moi et mes larmes trop souvent.

 Les escaliers s'enchaînent, les uns aussi similaire que les autres. Les salles ouvertes que j'aperçois sont semblable à celle du miroir. Des assemblages métalliques sont entassés partout. Pourquoi tant de plaques, de barres, de rouages d'acier ? Je soupire, je ne le saurai jamais. Mes jambes commence à fatiguer. Tous les muscles de mon corps m'élancent ; j'ai perdu la notion du temps. Mes paupières tombent. Puis, une nouvelle vague d'énergie me redonne espoir. Je dois continuer.

 La Peur elle aussi se surmène. Sa respiration est rauque, cependant, elle n'abandonne pas. Elle est le chat, et moi la souris. Néanmoins, ce petit rongeur sait se faufiler partout et trouver son chemin.

 Tandis que j'accélère la cadence, je vois un raie de lumière en bas. Est-ce... la fin ? Un sourire victorieux illumine mon visage. Plus que six étages ! Six !

 La Peur sent qu'elle a bientôt perdue. Elle puise dans ses dernière réserves pour me rattraper. Ses pas martèlent le sol de métal.

 Plus que cinq étages.

 Elle gagne du terrain ; résistant à la panique j'ordonne à mon corps d'aller plus vite. Je pousse un rugissement de détermination.

 Plus que quatre étages.

 La Peur me hurle de rester. Je lui dis non de toutes mes forces. Je ne veux pas rester au Donjon pour toujours ! Je veux voir comme c'est par delà le brouillard !

 Plus que trois étages.

 La peur donne des ailes. Je vole pour lui échapper. Je pense aux grues de papier que j'ai laissé dans ma chambre. Promis, j'en referai si j'arrive à m'échapper.

 Plus que deux étages.

 J'y suis presque ! La lumière s'intensifie vivement. La sortie est proche... La défaite de la Peur aussi.

 Plus qu'un étage.

 Ces dernières marches seront décisives. Espérance, j'arrive !

 Mes jambes sont lasses, néanmoins je ne cesse pas de courir. Je pense à tous ces moments passés ici. Mon enfance solitaire repasse en boucle dans ma tête. La Peur a échoué. Elle trébuche dans un hurlement de chagrin.

 Une grande porte ouverte par laquelle se déverse la lumière me tend ses bras ouverts.

 Je n'attends pas. Laissant la Peur et le Donjon derrière moi, je pénètre dans le brouillard.

 Je suis libre.