Le traité de paix

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Mon cœur s’affolait à l’intérieur de ma poitrine, je ne faisais que relire encore et encore en boucle les mots ainsi que les signatures inscrites sur le dit-parchemin.

Moi, Shenarah Valyrill, souveraine du clan Valyrill et du village d’A’mdorei promets en mariage ma première fille la princesse Elerinna Valyrill au premier fils d’ Adresyn Feyralan souverain du clan Feyralan et du village de Sarelys, le prince Daeron Feyralan. Je m’engage à respecter cette alliance afin de perpétuer la paix entre nos clans.

Elerinna, il était écrit Elerinna. Cela pouvait être une coincidence, il devait exister une autre jeune femme répondant à ce nom. C’était sûr, j’étais une humaine, j’en étais persuadée. Je ne pouvais pas être cette princesse elfe que Daeron espérait tant. J’avais lu dans ses yeux, une once d’espoir, il semblait vouloir reposer celui-ci sur moi, mais je n’étais qu’une humaine, qui maniait bien l’épée certes, mais pas l’arc et encore moins la magie. La voix glaciale de la brune s’éleva dans la pièce, elle parlait si peu que j’en avais presque oublié sa présence ici.

“Si je puis me permettre, nous pourrions discuter de vos fiançailles un peu plus tard. La nature vient de me réveler l’avancée des troupes de Moriak vers Cartétoile.”

Je n’arrivais plus à reprendre mon souffle, Cartétoile..Loïs et Rybald se trouvaient là bas. Je me devais de les avertir si le danger qu’ils présentaient était réel. Mon corps finit par s’écrouler sur cette maudite chaise après le choc qu’il venait de recevoir. J’abattais mon poing sur le bois dur du bureau, fixant la jolie mage.

“Ramenez-moi, Méliana, s’il vous plaît. Je dois aider ma famille.

-Je suis désolée, votre Majesté. Le sort de téléportation demande énormément d'énergie magique, d’autant plus que cela ne fait pas partie de l’élément que je maîtrise, je ne saurais être capable de le reproduire d’ici des mois.

- Des mois ? Vous venez de me dire que l’attaque de Cartétoile était imminente !

- C’est bien ce que j’ai dit, votre majesté.

- Cessez de m’appeler ainsi !”

Je me retournai subitement vers l’elfe aux long cheveux argentés, d’un ton sévère je lui dicta:

“Vous, trouvez un moyen de me ramener à Cartétoile ! Sur le champ !”

Méliana était toujours dans une posture d’une extrême rigidité, ses yeux, d’une couleur d’un ciel au crépuscule, étaient toujours enracinés sur un point devant elle. Le prince, quant à lui, paraissait moins sûr de lui. Il tenta de se rapprocher doucement de moi, avec un faible sourire accroché sur ses stupides lèvres dont il m’était impossible de quitter des yeux.

“ Mademoiselle, notre principal objectif était de vous mettre en sécurité. Le reste n’a plus autant d’importance. Vous êtes la dernière descendantes des Valyrill, vous êtes bien plus importante que quiconque dans cette ville.”

Je n’arrivais plus à contenir la rage qui se déversait en moi, je renversa le siège sur lequel mon corps s’était reposé quelques minutes plus tôt. Il était hors de question que j'abandonne les personnes qui avaient pris soin de moi, durant toutes ces années. Ces personnes que ce “prince” venait de décrire comme indigne d’intérêt étaient ma seule famille, et je ne comptais pas rester ici à ne rien faire.

“Je vais voir ma famille, que vous le vouliez ou non !”

Sur ces mots je sortis en trombe de la pièce qui devenait de plus en plus étouffante, je ne savais plus si c’était la révélation de mon identité ou le danger imminent qu'encourent mes proches mais je me sentais fébrile, mon corps était pris de convulsions mais je me forçais à continuer de courir sans lancer un regard en arrière. Mon pied trébucha soudainement contre une racine, me projetant violemment sur le sol. J’observa cette racine noueuse qui venait d'apparaître sous mes pieds, j’étais persuadée qu’elle ne s’y trouvait pas, il y a quelques secondes. En relevant les yeux, j'aperçois alors Méliana en face de moi, ses yeux s'illuminent d’une étrange lumière bleue, son visage toujours impassible.

“Toutes mes excuses, votre Majesté. Je ne pouvais pas vous laisser vous enfuir.”

De la magie. Je me retrouvais pour la première fois confrontée à de la magie. Comment allais-je fuir si cette femme continuait à me mettre des obstacles en travers de mon chemin !

Juste derrière elle apparut la silhouette élancée du prince aux reflets d’argents, son regard s’était adouci, il semblait inquiet.

“ Mademoiselle, vous n’êtes pas blessée ? Excusez les manières un peu abruptes de notre mage. Laissez-moi vous aider !”

D’un mouvement tout aussi gracieux que rapide, il se pencha vers moi avant de m’entourer de ses bras pour me remettre sur mes pieds. Le contact de sa peau contre la mienne me fit frissonner, mes jambes menaçaient même de me faire faux bond, une nouvelle fois.

“Lâchez-moi !” crachais-je en me débattant contre ses bras.

Il se recula, définissant alors une certaine distance entre nous. Bizarrement, cette distance soudaine me parut très désagréable, trop même. Je choisis de passer outre ce sentiment étranger afin de me concentrer sur mon réel but : retourner à Cartétoile.

“Mademoiselle, je vous prie d’excuser mes maladresses. Je n’ai pas pour habitude de m’adresser à énormément de femmes, je ne voulais certainement pas vous contrarier. Je comprends votre inquiétude concernant votre…famille. Il serait imprudent de prendre la route alors que la nuit menace au-delà de ces murs. Mon existence se résume désormais à votre unique protection, Elerinna.”

Mon maudit myocarde s’était bêtement mis à bondir dans ma poitrine à cette déclaration, je venais à peine de le rencontrer et il me faisait ressentir ce que je n’avais osé éprouver auparavant. Il était le premier à me juger digne d’intérêt depuis ma naissance. Ma mère m’avait promise à cet homme, elle devait faire suffisamment confiance à cette famille pour me laisser entre leurs mains, non ?

Je ne pu me reprendre uniquement lorsqu’il déclara solennellement qu’il comptait m’accompagner lors de mon voyage jusqu’à Cartétoile, le lendemain à l’aube, que l’on sera escorté de deux de ses hommes et de la superbe magicienne. Mes pupilles s’attardèrent justement sur celle-ci, elle était certes très mystérieuse mais elle n’en était pas moins ravissante et puissante. Une question des plus étonnantes se forma dans le creux de mon cœur : s’était-il déjà passé quelque chose entre le prince et elle ?

Le prince avait demandé à la magicienne aux boucles indomptables de me raccompagner dans ce qu’il me semblait être ma chambre pour la nuit à venir. Mon inquiétude ne cessait de gonfler en mon for intérieur.

“Méliana, savez-vous combien de temps reste-t-il aux troupes de cet homme pour atteindre Cartétoile ?

-Mon estimation serait d’une bonne semaine, votre Majesté.”

Mon muscle cardiaque s’était légèrement calmé, si je me souvenais bien après avoir étudié la carte de Mivaar qui pourrissait maintenant dans le coffre de bois de la chambre de Loïs, la distance entre la forêt que nous devrons travers demain et Cartétoile n’était que de quelques jours, cinq tout au plus.

Le trajet jusqu’à mes quartiers, pour la nuit, s’était fait des plus silencieux. La magicienne n’était pas des plus bavardes, au contraire, elle inspirait le mystère. Elle semblait faire ce que l’on attendait d’elle, rien de plus, rien de moins. Je mourrais d’envie d’en apprendre davantage, néanmoins, ce n’était pas tous les jours que j’avais la chance de marcher côte à côte avec un mage. Je m'arrêtai brusquement dans ce long couloir orné de magnifiques bougeoirs dorées suspendus sur un plafond fait de verre. La brunette s’arrêta à son tour, sans se retourner vers moi pour autant.

“ Méliana, comment vous êtes-vous retrouvée parmi les Feyralan ?”

Un long silence s'ensuivit, si long que j’ai cru qu’elle ne me répondrait jamais. Sa position rectiligne ne s’était pas rectifiée mais je crus apercevoir une légère tension se créait dans les lignes fines de sa mâchoire, l’avais-je déstabilisée ? Sa voix ferme et froide se fit finalement retentir dans l’allée.

“Ce sont les seuls qui ne m’ont pas jugés et qui m’ont considérée utile à leurs activités. Je leur suis loyale, ma dame.

-Pourquoi serais-tu jugée ? Les mages ne sont pas acceptés en Mivaar ?”

Ma question sembla la prendre au dépourvu car je déchiffra dans son expression quasi impassible, une parcelle de perplexité. Un léger rictus éleva d’un iota une de ses commissures, ses lèvres charnues étaient teintés d’un beau marron chocolat séparés d’un fin trait blanc.

“Je ne suis plus considérée comme un mage en Mivaar, Votre Altesse. Je suis Apostat.

- Une Apostat ?

- Ce sont les magiciens qui n’ont pas étudié ou se sont fait bannir de l’Académie des Mages. Les seuls mages reconnus en ces terres sont les petits choyés de cette fameuse Académie, qui, d’ailleurs, n’apprennent pas grand-chose à ce que l’on m’a dit. Une interdiction formelle d’utiliser ses pouvoirs en dehors de l’enceinte du bâtiment et de leurs cours. Ma mère était étudiante là-bas auparavant.

- Pourquoi n’avez-vous pas continué avec votre mère ?

- Ils l’ont chassé. Un de ses professeurs l’avait agressé et elle s’était retrouvée enceinte de moi. Les Anciens n’ont pas voulu écouter sa version des faits. Les lois étaient claires, les mages doivent faire voeu de célibat, seuls les Anciens permettent à un mage de procréer avec un autre selon les bons vouloirs de ces…hommes.”

L’effroi me glaça la peau, à moins que ce soit le sang qui s’était refroidi dans mes veines. Ces règles étaient tout bonnement absurdes, ces “Anciens” semblaient être de parfaits crétins, ils ne valaient pas mieux que ce Moriak.

“C’est…c’est horrible, je suis navrée pour votre mère, Méliana.

- Bienvenue à Mivaar, votre Majesté”

Sur ces mots, elle me dévoila l’espace dans lequel j’allais passer la nuit. Derrière cette large porte en bois sombre, se dévoilait une vaste salle, une salle dont le luxe m’avait directement laissé sans voix. Le bois de chaque meuble avait été délicatement sculpté, les voilages de tissus semblaient tout aussi raffinés, j’étais subjuguée par le charme incontestable de cette chambre. Je n’avais jamais perçu de ma vie une pièce aussi fastueuse, je ne m’étais rendu qu’une seule fois au sein de la grande salle du château du Jarl Frédérik et je ne doutais du fait que Cartétoile entière ne pouvait rivaliser avec cette pièce elfique. La ville dans laquelle j’avais grandi était modeste, depuis toujours, je ne m’étais simplement pas rendue compte d’à quel point.

Méliana referma la porte dès que j’eu franchi le seuil de l’encadrement. Me revoilà seule, je m’était avachie sur le lit à baldaquin qui était encore plus confortable que je ne l’avais prédit. Comment avais-je bien pû me retrouver dans une telle situation ?

Moi qui rêvait d’aventures, me voilà servie. Mes yeux embués de larmes se levèrent instinctivement vers le ciel. Ma mère. Ma mère était une elfe, une reine, une guerrière. J’avais donc hérité de son goût de l’aventure et de son sens du devoir. Je le savais. Je savais que j’aspirais à plus grand que la vie que m’offrait Cartétoile. Une pression se fit sentir sur mon cœur à cette pensée. J’espère que l’on arrivera à temps pour prévenir oncle Rybald et le Jarl. Les habitants avaient beau m’avoir traitée comme une intruse depuis toujours, ils n’en restaient pas moins des innocents dont le sang ne devrait pas servir à abreuver davantage la soif de guerre et de pouvoir de ce Moriak.

Cinq beaux chevaux nous attendaient patiemment à l’entrée du village, une ribambelle d’enfants s’étaient amusés à tresser les crinières des animaux avant de s’enfuir en nous apercevant. J’avais troqué la belle robe que m’avait préparée la douce Laureline contre un pantalon et un large chemisier d’homme. Celle-ci m’avait regardée d’un air effaré. “Une grande dame telle que vous ne devrait pas se présenter ainsi devant le prince” m’avait-elle dit. Cependant, je me voyais mal me déplacer dans la forêt vêtue d’une robe, aussi légère soit-elle.

Je m’avançais alors vers un cheval longiligne, dont la robe était blanche parsemée de pigmentation noire. Sa crinière soigneusement coifée, était quant à elle, d’un noir profond, presque abyssal. Je venais poser ma main contre son flanc, il recula spontanément avant de revenir se placer près de moi suite aux sifflements d’un homme.

“ Je te présente Aeluin, cette brave jument est la mienne. Vous avez fait un très bon choix, mademoiselle Birdsong.”

Le bel homme s’était rapproché de la bête et l’avait tendrement caressé, avant de m’adresser un large sourire révélant une nouvelle fois sa fossette. Mon cœur bondit hors de ma poitrine, il avait échangé ses vêtements princiers contre une large chemise blanche immaculée, celle-ci était à la limite de la transparence. Il avait également relevé ses longs cheveux blond polaire en deux tresses se rejoignant à l’arrière de son crâne, laissant quelques mèches rebelles retomber sur son front et sa mâchoire. Du coin de l'œil, j’apercevais la belle Laureline le dévorait des yeux, nous étions deux, Laureline.

“ Savez-vous monter à cheval, mademoiselle ?

- Je.. je n’ai eu que des rares occasions de..

- Bien, vous monterez donc avec moi. Cela serait plus prudent.

- Je ne pense pas que cela soit nécessaire !

- Prouvez-le.” s’exclama-t-il, sur son doux visage trônait un sourire malicieux, me mettant au défi.

Méliana se tenait à quelques pas de nous, elle aussi semblait m’observer. La jolie mage détonnait au travers de la foule, dans son justaucorps blanc moulant son corps magnifiquement sculpté. Sur ses larges hanches reposait un fourreau, une large dague en dépassait. Elle était d’une beauté à faire chavirer les cœurs, le mien résistait de son mieux pour ne pas rejoindre la fosse immense dans laquelle se trouvaient les prétendant de la mystérieuse demoiselle.

Je pressai mon pied dans l’étrier luttant contre l’animal pour garder l’équilibre et balancer mon corps sur la selle. Cependant, la bête ne semblait pas vouloir se montrer coopératif et m’expulsa d’un geste si rapide, que je ne compris ce qu’il s’était passé que lorsque le prince m’aida à me relever.

“ J’ose espérer qu’il ne vous a pas trop fait mal, Elerinna.

- J’ai connu pire.

- Sommes nous d’accord pour dire que vous voyagerez donc à mes côtés ?”

D’un hochement bref de la tête, j’acquiesça à contre-cœur. La dernière chose dont j’avais besoin était de me retrouvée collée contre un homme qui ne me laissait pas complètement indifférente. Trois autres elfes nous avaient finalement rejoints, d’après ce que j’avais cru comprendre, ils étaient les gardes rapprochés du prince Daeron.

“Lopii, tu ouvriras la voie avec Jaraal ! Quant à toi Mokinos, tu la fermera. Restez sur vos gardes, la forêt des Songes regorge de bêtes et l’on pourrait bien tomber sur un espion ou deux.

- De suite, Buul koraal.”

Et c’est ainsi que l’on s’aventura à travers la forêt des Songes.

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