Cent-cinquante-sept, cent-cinquante-huit, cent-cinquante-neuf...

Mes yeux ne sont toujours pas fatigués.
Je connais par cœur le nombre de nervures de mon plafond.

J'y ai collé de petites étoiles, alors je les compte et recompte, jusqu'à ce que, elles aussi, je connaisse leur nombre par cœur.
Je m'ennuie... mon téléphone me nargue dans le coin de l'œil, mais je sais que si je craque maintenant, demain matin je ne me réveillerai pas à temps.

Que faire... il est deux heures du matin, mes parents dorment dans la chambre d'à côté, mais je déborde d'énergie.
Je pourrais me lever, danser et chanter, mais je ne peux pas, ça me réveillerait trop.

Je suis prise au piège par une source d'énergie que je ne peux pas utiliser.

Alors, pour la dépenser quand même, mon cerveau a trouvé un formidable compromis : cogiter.
D'un coup, ma chambre devient une prison, un terrain de jeu pour mes angoisses.

"Oh tiens, regarde ! Ce ne seraient pas tes fiches de révision pour ton prochain examen sur le bureau ?"

"C'est fou que tu ne sois pas en train de les relire. Tu ne maîtrises pas le sujet et tu le sais. Tu vas te planter !"

"Waouh... c'est fou ce que ta chambre est sale et bordélique ! Si tes amis voyaient ça, ils fuiraient !"

"Et regarde ces vêtements sur ta chaise. T'en as pas marre de t'habiller comme un garçon ? Remarque... c'est tout ce qui te va."

"Franchement, tu fais pitié."

Il recommence, mais cette fois j'ai besoin de sommeil, alors je compte bien le faire taire !

— Et toi, tu fais partie de moi, je te signale. Donc, tu fais pitié aussi !

— T'es même pas fichu de retenir un cours !

"Eh ho, si je suis comme ça, c'est parce que tu m'entraînes pas assez ! Feignasse."

— Tu commences à m'énerver, laisse-moi dormir !

J'allume mon téléphone et sors l'arme ultime censée le faire taire pour de bon : des sons de pluie et de forêt. Je m'allonge sur mon matelas, m'étends sur le dos, allonge mes bras le long de mon corps et entame un scan corporel en prenant de lentes et profondes respirations.

— Ce soir je dors.

"Tu crois pouvoir t'en sortir comme ça ?"

— OUI ! Bonne nuit !

"..."

"Tu te souviens de la définition du concept de psychologie génétique selon Jean Piaget ?"

— ...

— Purée...

Je me lève et saisis ma fiche de révision posée sur mon bureau. Je la relis et la repose.

— C'est bon maintenant ?!

"Espérons que tu t'en souviennes, hein."

— Mais c'est ton job ça !

"Comment tu veux que j'assimile quelque chose que tu ne me montres pas assez ?"

— C'est bon, j'en ai marre, je vais dormir maintenant.

"Ok ! Bonne nuit !"

— Bonne nuit.

"..."

"Et tu te rappelles de la théorie préformiste de l'apprentissage ?"

— ...

— C'est bon, t'as gagné...

Je me relève, saisis toutes mes fiches de révision et les emporte dans mon lit.

Plusieurs heures plus tard.

"Oh, regarde, le soleil se lève !"

— J'ai encore pas dormi...

"J'espère que t'es en forme, parce qu'aujourd'hui on doit encore réviser !"