Vingt minutes

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A ma sœur, que je vois si peu.

Je raconte ma vie, fais des blagues, m'entraîne à rester dans un cadre précis à l'écrit et m'exerce à respecter la concordance des temps...

Il y a de ça un an, ma sœur me rendit visite. Nous étions au début du printemps mais climat désintégré de cette terrible ville qu'est la capitale oblige, il faisait dehors un froid de canard.

Pour sortir, ma sœur était fort bien couverte, tandis que j'optais pour une simple veste en sweat, malgré les multiples mises en garde de celle-ci pour mieux me couvrir, en vain.

Une tête de mule. Et c'est de famille.

Une fois sortie de chez moi, nous marchions jusqu'à la gare, en bavardant avec allégresse, comblées par l'euphorie de nous revoir après tant d’années. Oui, pas des jours. Ni des semaines. Encore moins des mois. Des ANNÉES sans se voir.

Mais au fur et à mesure que nous avancions en direction de la gare, le froid commençait à engourdir mes sens, jusqu'à paralyser et rendre blancs ivoires mes doigts. Mes pas ralentissaient, ce qui n'échappait pas aux yeux de lynx de mon aînée…

— Je t'avais bien dit de porter un manteau ! T'es gelée !

Et effectivement, ma démarche ressemblait de plus en plus à celle du pingouin... moi qui avais mobilisé toute mon endurance et surtout ma fierté pour ne pas me frotter les bras serrées contre ma poitrine. J'étais découverte et je préférais recevoir un verglas en plein cœur plutôt que d'admettre à ma sœur qu'elle avait raison.

— Oh la honte ! T'as froid hein ! Je t’avais dit !!

Elle était morte de rire en soulignant la tête d’enterrement que je tirais…

Nous étions enfin arrivées à la gare après dix douloureuses minutes de marche. De l'extérieur, nous apercevions le tableau de bord, où étaient indiqués les horaires et itinéraires…

C'est une blague !

J’étais à un cheveu de crier au scandale. Vingt minutes d’attente pour le prochain RER. Vingt minutes !

— Tu te rends compte !

J’espérais que ma sœur soit aussi indignée de moi, mais cette information la traversa comme le vent, protégée par son manteau et son châle en laine.

— Et alors ? Attendons. Sauf si tu as trop froid.

Un sourire diabolique accompagna sa réponse.

— Ferme ta bouche, on va t’acheter des billets. Avec de la chance, on sera passées à un quart d’heure..

— Roh la la ! Elle n'est pas marrante. Tu ne vas pas en faire toute une histoire…

La machine à tickets ne voulait pas coopérer, elle buguait, passait d’une langue à une autre sans préavis, les boutons fonctionnaient un coup sur deux et le clou du spectacle : impossible de payer ! Et évidemment, l’agent gardant le service d'accueil était absent…

Je suis sûre qu’il était parti se cacher, pour mater les caméras de surveillance et se moquait de nous !

Enfin sur le quai, nous guettions le temps d’attente : dix-huit minutes, alors que nous avions passé au moins cinq minutes en haut à bidouiller un robot capricieux. Le pire était que le quai se situait à l’extérieur. J’étais donc exposée au froid et bien évidemment aux moqueries de ma sœur qui constatait bien que ma peau virait à une teinte pâle, que mes lèvres étaient presque blanches et que je tremblais de froid et ne manqua donc pas de me vanner. A un moment donné, elle me donna son châle, me couvrit avec.

— Ça va aller, Cosette.

— Je t’emmerde.

— Oh c’est trop marrant ! Quand je vais raconter ça à maman, elle sera morte de rire.

— « Quand je vais raconter ça à maman » ! je répétais avec méchanceté. T’as trois ans ou bien ?

— Roh ! T’es chiante, May-osette, n’oublie pas que tu as MON châle !

— Pardon, maîtresse.

— Bien.

Peu à peu, la chaleur de son écharpe parfumée au lilas, l’odeur de ma sœur, se répandait dans mon corps et je repris vite des forces.

— Hâte que ce putain de RER arrive…

Nous reprenions une conversation normale sur un sujet lambda quand débarqua un type comme une fusée, le regard noir, la capuche rabattue, les traits déformés par l’énervement et… l’alcool. Sûrement accompagné d'un soupçon de drogue. Il était terrifiant. Un crackhead, comme on n'en trouve plus.

— Mate, riait ma sœur, en le désignant d’un mouvement de menton.

— Arrête de le montrer comme ça ! Imagine s’il te voit ? Tu veux qu’il vienne nous buter ?

— Mais déstresse ! Il est bien trop défoncé pour nous voir… puis regarde, il va à l’autre bout du quai.

— C’est une version masculine de toi.

— C’est ton mari dans trente ans. En mieux.

Nous continuons notre conversation en essayant de l'ignorer. Lorsque je suis seule, en croisant ce type d’énergumène, je panique, me terre au fond du quai, parfois quitte le transport si je ne suis pas pressée (jamais donc), en tremblant d’angoisse, terrorisée à l’idée qu’ils ne viennent me parler ou pire, malgré toutes ces années passées dans le coeur même de la ville, dès l'enfance, je ne m’y fais toujours pas. Ma sœur et son tempérament s’en tamponnent complètement. Le fait qu’elle n’ait presque pas vécu ici aidant…

C’était juste l’attraction du futuroscope du jour pour elle…

En compagnie de ma frangine, j’arrivais pourtant à mettre ma peur de côté et presque oublier sa présence.

Tout le temps d’attente, le quai ne faisait que de se remplir d’autres humains. Des envoyés de Satan venus perturber cet endroit tout à l’heure si calme et surtout – SURTOUT – là pour réduire en miettes mon espace vital. La piste du complot était à privilégier ici. Enfin, le tableau affichait deux minutes.

— Deux minutes, je soufflais. Même ça, c’est trop. Dis, on regarde un épisode des deux minutes du peuple ?

— Allez.

Je cliquais sur le premier épisode que la suggestion de youtube me proposait et nous écoutions attentivement la vidéo, bien que régulièrement coupées par nos gloussements à chaque jeu de mot et aussi aux cris d’agonie du crackhead…

Le RER arrivait enfin, alors que les dernières répliques fusaient. Nous marchions vers la porte en continuant de ricaner comme des poules. Dans le train, heureusement peu rempli, comme le reste de la population s'en allait vers l'avant et le milieu du train là où s'engouffra le cinglé, résonna un peu trop fort le générique de fin qui fit se retourner quelques passagers qui nous lancèrent des regards amusés et complices pour d’autres.

Je pensais : les deux minutes ont été respectées à la lettre, pour une fois…

En conclusion, je dirai que pour clouer son bec à ma sœur, j’en ai fait « toute une histoire » au sujet de cette anecdote, puisque je l’ai couchée sur papier, un an après.

Et couvrez-vous, les enfants.

Et n’arrêtez jamais d’être des emmerdeurs.

AutobiographieHumour
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Vingt minutesChapitre1 message | 1 mois

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