Pacte

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  Le vent secouait les lourds rideaux d’un rouge sombre du balcon de ma chambre. En contrebas, s’étendaient les rues et les murs de la cité de mon père. Ecbatana. Aussi belle qu’une courtisane aux courbes rondes et souples, parées de ses plus beaux atours. Ses draperies dansaient dans le zéphyr nocturne et ses torches brillaient de mille feux, pareilles aux reflets d’un ciel d’été. Mais cette nuit, le ciel, lui, était aussi noir que de l’encre. Les lumières célestes s’étaient toutes éteintes. Et moi, je me tenais debout, les mains agrippant si fort la balustrade que mes doigts en étaient engourdis. Je balayais du regard les rues de la merveilleuse cité, ses temples, ses maisons, ses commerces, ses villas et ses palais avec une avidité sans bornes. Je voulais la posséder toute entière, l’étreindre, et la faire mienne que son maître le veuille ou non. Je voulais voir ployer sa volonté. La soumettre. Devenir si fort que le monde se souviendrait de moi des milliers d’années après ma mort. Les mâchoires bloquées, galvanisé par cette soif indomptable de conquête, je fouillai ma ceinture de soie et en retirai l’anneau noir. Il ne m’avait pas quitté depuis ma rencontre avec la vieille sorcière. Je le saisis délicatement entre mon pouce et mon index droits, le contemplai à la lueur des braseros, et l’enchâssai sur mon annulaire gauche en signe de l’alliance que je m’apprêtai à faire. Je ne savais pas ce qui m’attendait, mais c’est tout à fait résolu que je criais :

  • Vah-Shatnâk !!!

Les ténèbres se firent plus denses autour de moi. Si denses qu’elles étaient palpables. Elles se dotèrent de reflets écarlates dansant comme des flammes qui n’éclairèrent pas mon balcon, les jardins du palais royal et la cité en contrebas, mais les parois rutilantes d’une grotte d’onyx. Une chaleur oppressante se dégagea brusquement du sol et des murs. Une forme colossale se dessina alors dans l’obscurité. C’était un djinn. Un éfrit à la musculature impressionnante et à la peau d’ébène, habillé de flammes couleur de sang. Il irradiait de puissance et ses yeux flamboyants immolèrent mon âme sur un bûcher de terreur. Mes jambes se mirent à trembler terriblement, mais je soutins le regard du génie qui resta muet pendant quelques secondes. Un temps infini. Sa bouche articula enfin, lentement, des mots qui tonnèrent comme un ciel sur le point de répandre toute sa fureur.

  • Tu es Cyaxares.
  • Oui, fut tout ce que ma gorge desséchée par l’effroi put dire.
  • Tu veux étancher ta soif de régner à la source de mon pouvoir et de ma force. Tu veux faire taire à jamais ceux qui se sont ris de toi. Tu veux qu’ils tremblent de peur à ta vue comme tu trembles devant moi. Tu veux le royaume de tes ancêtres, le monde, ses hommes et ses femmes à tes pieds.
  • Oui, répétais-je, les yeux exorbités par la peur et une excitation démente.
  • Peu importe le prix.
  • Oui, affirmai-je une ultime fois, déterminé,
  • Eh bien tu les as. Va-t’en maintenant.

Le djinn, la grotte et ses reflets rouges disparurent aussitôt, me laissant de nouveau seul sur mon balcon. Je couvais Ecbatana du regard une dernière fois avant de faire demi-tour pour regagner mes appartements. Je sentais brûler en moi un feu sauvage, insinuant dans chacun de mes muscles et dans mon esprit une puissance et une assurance démesurées. Je me tins devant le grand miroir ovale d’or poli de ma chambre et détaillai mon reflet. Je ne mesurais pas plus de cinq pieds, mes épaules étaient étroites et saillantes, mes bras maigres et mes jambes osseuses et fragiles. Mais ma poitrine était gonflée de fierté et mes jambes me parurent plus sûres que jamais. Je me sentais et me voyais grand. Fort. Prêt à écraser les montagnes qui se dresseraient sur le chemin menant sur le trône de mon père. C’était l’œil brillant d’une flamme nouvelle que je me couchai et échafaudai les grandes étapes de mon accession au pouvoir. Jamais je n’aurai pu deviner les bouleversements qu’allait connaître mon existence.

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