Souvenir de Mayotte

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LA RENCONTRE

Aujourd’hui j’ai fait une rencontre magique.

Cela n’a rien à voir avec Harry Potter. Saint Exupéry n’aurait pas renié ce genre de rencontre et il a dû connaître les mêmes sentiments quand il fit la connaissance du Petit Prince. Sauf que le Petit Prince est un personnage imaginaire et le petit garçon que j’ai rencontré, lui, était bien réel.

J’étais sur le parking du supermarché Jumbo. J’avais la moitié du corps dans la voiture pour poser mon porte document sur le siège passager quand j’entendis une petite voix derrière moi.

- Monsieur…

Je sortis la tête du véhicule et là, je vis un petit bonhomme tout à fait ordinaire entre 10 et 12 ans. Il me dévisageait avec une tristesse infinie. Une seconde tête apparut derrière lui. L'autre devait avoir 8 ou 9 ans. Ils semblaient sur leurs gardes, surtout le grand. J’avais l’impression qu’ils avaient dû faire un effort particulier et prendre leur courage à deux mains pour m’interpeller. Pensaient-ils qu’un homme pouvait plus facilement être dur et manquer d’empathie alors qu’une femme serait moins agressive et plus compréhensive ? Ce ne sont que mes impressions et mon côté psychologie de comptoir.

Donc ils avaient un air triste et inquiet quant à ma réaction, le plus grand semblant faire de son corps un bouclier pour le petit.

- Oui ? Qu’est-ce que vous voulez ? répondis-je.

Il marmonna quelques phrases inaudibles.

- Qu’est-ce que tu veux ? Je n’ai rien compris.

Après plusieurs baragouinages de sa part, je compris enfin :

- Vous n’avez pas un euro ?

- Et pourquoi tu veux un euro ?

- C’est pour manger, fit-il dans un murmure

- Pourquoi ? Tu n’as rien à manger ? m’étonnai-je.

Il secoua la tête en signe de dénégation.

- Ils sont où tes parents ?

- Anjouan. Son visage devint soudain plus expressif.

- Tu n’as pas une tante pour te nourrir ?

J’avais appris que la famille élargie pouvait prendre soin des mineurs isolés laissés sur place par les parents expulsés aux Comores.

- Si.

- Elle ne te nourrit pas ?

- Si mais il n’y a pas assez à manger, expliqua-t-il en baissant les yeux.

- Tu habites où ?

Il marmonna quelque chose où je compris vaguement qu’il était loin de ses pénates et ajouta en guise de conclusion :

- Je peux avoir un euro pour manger ?

Je pensai que le questionnaire avait assez duré et qu’il avait mérité un petit quelque chose. Je sortis mon portefeuille et lui tendis un billet de cinq euros en précisant :

- C’est pour vous deux.

Je me glissai dans le véhicule pour ranger le portefeuille dans mon porte document quand j’entendis à nouveau sa voix cristalline :

- Monsieur…

Je sortis la tête de l’habitacle et là je vis un visage transfiguré. Il était à quelques pas et s’était retourné pour me parler. Je ne suis pas écrivain et je ne trouve pas toujours les mots qui conviennent mais je dirais qu’il irradiait. Pas de bonheur, je ne dirais pas cela. Il y avait comme un soulagement qui éclairait son visage. C'était comme l'apparition soudaine du soleil entre deux nuages. Sans doute la vie ne l’avait pas favorisé jusqu’à présent. Il ne semblait pas s’en plaindre d’ailleurs. Il la prenait comme elle venait, n’en voulait à personne. Il essayait seulement de vivre avec ce qu'elle lui offrait. Il ne paraissait pas plus malheureux pour autant. Il ne se victimisait pas. Il acceptait seulement les bonnes choses qui lui arrivaient sans se plaindre des mauvaises. Il me semblait qu’il attendait un geste de réconciliation avec le monde et ce geste, je le lui avais donné.

Il m’avait appelé mais ce n’était pas pour me remercier. Ce fut avec des yeux vifs et un visage radieux qu’il me dit avec sa simplicité enfantine :

- Monsieur, vous êtes gentil.

Avec le recul, chez moi, je pris conscience de la magie de ce moment.

Je ne pensais pas que quelqu’un et encore moins ce petit bout de chou, pouvait me réconforter à ce point. Il est vrai qu’arrivé depuis deux mois à Mayotte, je pouvais me sentir seul, isolé et déraciné et que j’avais besoin du réconfort d’un compatriote. Mais ce n’était pas le cas. Il se pouvait aussi que plongé dans une culture complètement différente de la mienne – je débarque du monde occidental pour connaître des coutumes africaines, d’un monde judéo-chrétien pour être confronté à l’islam – j’avais besoin de me situer et de trouver ma place dans tout cela et que cette perte de repère pouvait générer du stress. Mais ce n’était pas le cas non plus.

Je suis très bien à Mayotte, bien dans mes chaussures et je n’ai aucunement besoin d’être réconforté. Et pourtant ce garçon m’a réchauffé le coeur simplement par ces mots :

« Monsieur, vous êtes gentil ».

Peut-être cela m’avait touché parce qu’il me voyait meilleur que je ne le suis. Ces deux garçons me rappelaient deux autres enfants. Quelques jours auparavant, j’étais assis à la terrasse d’un restaurant, dégustant un café après un bon repas. Deux adolescents sont entrés jeter un œil, espérant trouver des clients d’autant plus compatissants qu’ils étaient repus. Mais la patronne du restaurant ne l’entendait pas de cette oreille et les a chassés gentiment mais fermement. Elle n’aurait pas fait autrement avec des chiens errants. Je regrette ce geste mais je le comprends. Ils sont partis sans broncher, sans un geste d’irrespect qu’auraient fait beaucoup de jeunes en métropole dans la même situation. Peut-être ont-ils la même capacité que les deux garçons que j’ai rencontrés sur le parking de Jumbo, celle de donner sans le vouloir une leçon de vie, à savoir de se contenter de ce qu’on possède et de ne pas s’aigrir si on a moins que les autres. C’est certainement cela le secret du bonheur. Le Petit Prince l’a appris à Saint Exupéry. Il disait qu'on ne voit bien qu'avec le cœur et que les choses les plus importantes sont invisibles.

Ces enfants ne sont pas des chiens errants. Il faut les regarder avec un cœur simple et sincère, au-delà des apparences parce qu’ils peuvent beaucoup nous apprendre.

Pour moi, chacun d’eux est un Petit Prince.

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