Plongeons

3 minutes de lecture

La famille Garay a-t-elle pu se baigner sur la côte sauvage argentine ? Voilà le genre de question que se posait désormais Noella, alors même que quelques semaines plus tôt, elle ignorait jusqu’à l’existence de ce Fernando, de son frère Antonio, de Jules et de Julienne et leur départ pour Buenos Aires. Les enfants, et Fernand particulièrement, avaient-ils appris à nager à Mar del Plata ? Y avait-il là-bas des cours de natation ? C’était peut-être irrationnel mais Noella voulait comprendre, comme si sa propre vie dépendait de la résolution de cette énigme.

La petite station de Balneario Marisol, par exemple, plus proche de Dorrego ou Pringles, existait-elle déjà du temps de Jules et Julienne ? Était-elle facilement accessible ? Ou bien datait-elle des années 1910 comme Balneario Orense et son sable doré dans la région de Tres Arroyos ?

Une fois de plus, Noella était perplexe. Cette histoire du plongeon de Fernando lui donnait du fil à retordre. Il n’était pas si facile que ça de reconstituer la vie de ses aïeux. S’il s’agissait bien d’un aïeul, d’ailleurs. Chaque fil sur lequel elle tirait faisait naître de nouvelles questions en cascade et les meilleures « applis » du monde ne pouvaient répondre à toutes ses questions.

Au gré de ses recherches sur la natation, Noella apprit néanmoins que la discipline sportive, en tant que telle, et les piscines pour la pratiquer se développèrent surtout, en France, à partir des Jeux olympiques de 1924. La piscine des Tourelles, à Paris, fut construite à l’occasion de ces Jeux d’été où elle accueillit, notamment, cinq compétitions de plongeon, dont le « plongeon de haut vol ». L’exercice, ouvert aux femmes comme aux hommes, nécessitait une plateforme culminant à dix mètres au-dessus du sol. Tendu ou carpé, renversé ou retourné, le plongeon, pour être réussi, se devait et se doit toujours d’être aussi esthétique que difficile. Le plongeon de Caroline Smith, médaillée d’or au tremplin de dix mètres, était en effet particulièrement gracieux, constata Noella sur une photo en noir et blanc.

La capitale avait déjà son club de natation, « La Libellule de Paris », depuis 1898, année de la naissance de Fernando. Et la natation était aussi enseignée, au moins de façon théorique, abdomen posé sur un tabouret, au cours du service militaire d’alors. Mais ce qui étonna le plus Noella, la laissa même sans voix, c’est d’apprendre qu’au début du vingtième siècle, le journal « l’Auto » organisait régulièrement la « Grande Traversée de Paris à la Nage » et que celle-ci se déroulait sur la Seine !

Pour sa 23e édition, en juillet 1930, les organisateurs étrennèrent un nouveau concept : douze kilomètres à parcourir par équipes et en relais. Les nageurs s’élançaient des piles du pont National et se relayaient d’un pont à l’autre : Bercy, Austerlitz, pont au Double, Solférino… « Fort courant et vent debout » rendirent cette année-là la course « assez dure » d’après les journalistes de « l’Auto » qui se réjouissaient, en même temps, de son succès populaire « considérable ».

Non moins étonnante et tout aussi populaire était la Coupe de Noël, créée en 1906 par Georges Moëbs, président fondateur de la Société Nationale d’Encouragement à la Natation. Il s’agissait pour les nageurs amateurs de traverser la Seine en plongeant d’un ponton rive droite, en amont du pont Alexandre III, jusqu’à la rive gauche qu’ils rejoignaient par une échelle. L’épreuve se déroulant, chaque année, l’après-midi du 25 décembre, deux difficultés majeures s’additionnaient pour les coureurs : la force du courant, là encore, et bien sûr la température de l’eau. Réussir la traversée était donc déjà, en soi, un exploit.

La Coupe de Noël avait d’ailleurs, aussi, pour but – outre d’encourager à la natation – de populariser le sauvetage en eau froide. En 1913, les organisateurs avaient même corsé l’épreuve en demandant aux compétiteurs de « sauver » un mannequin placé au milieu du fleuve et de le ramener jusqu’à la rive, tête hors de l’eau. « L’excellent sportsman Moëbs désirant prouver, relatait « Le Petit Parisien », que par tous les temps un bon nageur doit pouvoir se porter au secours d’un de ses semblables tombé à l’eau. » Le public, nombreux, apprécia la performance. Les nageurs peut-être moins car cette innovation ne fut pas reconduite les années suivantes.

Au vu de ces nouveaux éléments, Noella comprend mieux pourquoi le journaliste du « Petit Parisien » avait pu penser à un désir d’exploit de la part de Fernand, plongeant du pont au Change au début du printemps. Après tout, il avait peut-être appris à nager à Bagnères, ville d’eaux parmi les plus anciennes, avant de se perfectionner dans une piscine parisienne. Peut-être même avait-il rejoint la Libellule de Paris ? Noella repense aux débuts de Fernando dans la capitale, à sa rencontre avec Ernesto et l’allusion de celui-ci à Cipriano. Oui, il y avait bien un « Cipriano Garay » mentionné quelque part, dans les papiers de son grand-père ou sur un document qu’elle avait glané sur la Toile.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire LaudaQuoi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0