Souliers

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C’est sous un barnum que se déroulait la deuxième milonga à laquelle Noella se rendit, le lendemain, place Jean Jaurès, en plein centre ville. Elle n’y allait pas pour danser, ni même dans l’espoir de voir surgir un bandonéoniste avec son instrument car elle savait, d’ores et déjà, qu’un autre DJ allait « musicaliser » cette milonga.

Noella voulait sentir l’ambiance, dans cet autre lieu. Savoir qui participait, en si grand nombre, à ces manifestations et observer également ses propres réactions. Allait-elle se laisser emporter, cette fois, par la musique sud-américaine ? Au point de s’élancer sur la piste sans avoir jamais dansé le tango auparavant ?

Quand bien même elle l’aurait voulu, les chaussures de randonnée qu’elle portait encore aux pieds, cet après-midi-là, lui auraient considérablement compliqué la tâche. Ça n’était pas pour rien, en effet, que les tangueros se promenaient partout en ville avec un petit sac à dos ou en bandoulière. Un sac à chaussures. C’était bien pour disposer des chaussures adéquates sans les abîmer sur le trajet, lui apprit un danseur en train de se préparer, car les matériaux les plus souples sont aussi souvent les plus fragiles. Il aurait d’ailleurs bien voulu faire entretenir les siennes, cette année encore, par le cordonnier qui l’avait dépanné l’an passé. Mais son échoppe était fermée, cette fois, aux dates du festival. Un manque de synchronisation malvenu, déplorait cet habitué des lieux en souriant.

Inspirée par cette anecdote, Noella réfléchissait : il faudrait un cordonnier partenaire de la manifestation, qui proposerait ses services au plus près des festivaliers ! Et pourquoi pas un cordonnier « nomade », un passionné de danse, qui suivrait les tangueros d’un festival à l’autre, de par le monde ? Un jour à Tarbes, l’autre à Toulouse ou Cadaquès et le troisième à Buenos Aires, emportant avec lui les cuirs les plus fins, les fils les plus précieux et les plus solides, les outils les plus perfectionnés ! Oui, les tangueros avaient droit au meilleur !

La fièvre du tango était-elle en train de s’emparer de Noella ? Avait-elle été contaminée par le virus ? Elle commença à s’intéresser aux chaussures. « Que fallait-il donc porter de plus adéquat pour danser que ses chaussures de randonnée ? » demanda-t-elle à son voisin, l’habitué des lieux, tandis que sa partenaire, arrivée entre temps, se préparait à son tour.

« La taille est un critère très importanr, commença-t-il. Une chaussure trop grande et le pied n’est pas bien maintenu, les orteils se crispent et la cheville risque de se tordre à la moindre occasion. Trop petite, le pied est trop serré, le sang circule mal et c’est la crampe assurée. Cependant, il faut tenir compte du fait que le matériau – cuir ou daim le plus souvent – va se détendre avec le temps. Il vaut donc mieux prévoir un peu plus petit que trop grand, comme pour les espadrilles. Au pire, il est parfois possible de dépareiller pour trouver chaussure de tango à son pied. » Le tanguero était intarissable mais sa partenaire, enfin prête, commençait à s’impatienter. « Allez donc à la Halle Marcadieu, conseilla-t-il alors à Noella, en s’éloignant vers la piste de danse. Vous y trouverez des commerçants spécialisés qui se feront un plaisir de vous renseigner ! »

Cela tombait bien car le soir même se produisait à la Halle un véritable orchestre pour « musicaliser » la milonga, en alternance avec une des « fantastiques DJs »du festival.

* * *

C’est une halle monumentale, de style Baltard, dont les murs sont constitués de marbre en soubassement avec une marquise en saillie de trois mètres tout autour du bâtiment. Savante construction mêlant la pierre, le métal et le verre sur plus de quatre mille mètres carrés, la halle Marcadieu accueille chaque jeudi un des plus gros marchés du Sud-Ouest. Mais c’est aussi un lieu d’animations diverses, notamment lors de Tarbes en tango.

À l’intérieur, sur le pourtour, une dizaine d’exposants proposent en effet des chaussures pour hommes et femmes mais aussi des tenues et accessoires parmi lesquels des éventails et même des petits objets décoratifs, nœuds ou boucles, pour agrémenter les chaussures.

Les modèles pour femmes rivalisent de couleurs et d’élégance mais les chaussures ont un point commun : ce sont toutes des chaussures à talon, élément « indispensable pour une bonne posture en dansant » indique à Noella une commerçante enjouée, vêtue d’une robe aux couleurs chatoyantes, qui a repéré la néophyte. « Celles-ci sont des chaussures pour le bal mais nous avons aussi des modèles pour les séances d’entraînement. Et nos semelles glissent parfaitement sur le sol. C’est de la belle fabrication italienne ! » Noella remercie d’un sourire, en s’éloignant. « Vous pouvez essayer des chaussures d’entraînement, si vous débutez », essaye encore la vendeuse à la robe chatoyante.

Mais Noella a-t-elle l’intention de fouler la piste de danse ? Dans l’immédiat, elle se dirige vers les gradins, essayant de deviner quel emplacement lui donnera la meilleure vue sur les musiciens quand ils se produiront sur scène. Et ce qui la frappe d’emblée, quand elle se retrouve assise au troisième rang, c’est l’impression qui se dégage du parquet central. Une vision d’ensemble qu’elle n’avait pas pu avoir, précédemment, en étant installée au ras du sol.

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