Chapitre 4
Le soleil entrait par les fenêtres de la classe avec une chaleur douce, presque apaisante, et pourtant j’avais l’impression que mon monde était suspendu à un fil.
Lior était là, assis à côté de moi, le visage paisible, comme si rien ne s’était passé.
Le reste du monde continuait à bouger, à rire, à respirer, ignorant le chaos invisible qui l’avait frôlé.
Je le regardais du coin de l’œil, chaque geste, chaque souffle, chaque clignement de paupières devenant un indicateur de sa présence — ou de ce qui restait de sa vie.
Personne ne se doutait de rien. Personne, sauf moi.
Nora, assise un peu plus loin, m’observait avec insistance.
Ses yeux ne me quittaient pas, et je sentais cette curiosité qui pesait, silencieuse mais oppressante.
— Vadim… murmura-t-elle finalement, la voix douce mais ferme.
— Hum ?
— Tu… tu m’as raconté ce qui s’est passé avec Lior ? Je veux dire… juste avant que…
Je me figeai. Mon cœur s’emballa. Comment pouvais-je expliquer ce qu’il était devenu ? Comment pouvais-je avouer que rien n’était normal, que Lior n’était plus tout à fait vivant, mais pas encore mort ?
— Rien de grave, répondis-je, la voix un peu trop ferme. Il a glissé… un petit choc. C’est tout, dis-je, en espérant que ça sonne crédible.
Nora me fixa encore quelques secondes, ses yeux scrutateurs cherchant une faille dans mon mensonge. Je sentis mon souffle se raccourcir. Chaque seconde semblait s’étirer, lourde et irrésistible.
Je me sentais effaré, pris au piège. Tout pouvait basculer en un instant. Et si elle voyait ? Et si elle devinait ?
Pour me détourner de cette tension, j’observai le reste du groupe. Lior esquissa un sourire faible en entendant un des garçons lancer une blague absurde, et le rire des autres résonna autour de moi.
Je soufflai en silence, un souffle que je n’avais pas réalisé retenir. C’était moins une. Juste un instant de normalité dans ce monde devenu fragile.
Nora détourna finalement le regard, captivée par l’éclat de rire de Milo, et je sentis un léger poids se lever de mes épaules, même si je savais que ce n’était qu’un répit temporaire.
Mais le calme ne pouvait durer. Dans une semaine, ce seraient les vacances d’été. Deux semaines entières où nous allions passer tout notre temps ensemble chez l’un d’entre nous.
Pour tout le monde, ce serait un moment de joie, de liberté, de rires interminables. Pour moi… c’était un cauchemar qui approchait.
Comment allais-je cacher ce qu’était devenu Lior ? Comment pourrais-je prétendre que tout était normal quand je savais que sa présence dépendait entièrement de moi ?
Je passai le reste de la journée à observer chaque mouvement de Lior, à analyser chaque réaction de nos amis.
Je notais mentalement les situations qui pourraient révéler quelque chose.
Si Lior s’effaçait du monde, même pour une fraction de seconde, que ferais-je ?
Si quelqu’un le voyait réagir étrangement, ou percevait son absence d’énergie, comment pourrais-je détourner leur attention ?
Je dressai une liste dans ma tête, un plan approximatif, fragile mais nécessaire.
Le garder près de moi, marcher à côté de lui, l’aider à interagir avec le groupe.
Inventer des excuses si son comportement semblait étrange.
Préparer des réponses rapides à toute question inattendue.
Et pourtant, malgré tous mes plans, je ne savais pas vraiment ce qu’il était devenu.
Il était vivant… mais seulement pour moi.
Et le simple fait de savoir ça me remplissait d’une peur glaciale.
À chaque pause, je le voyais sourire faiblement aux blagues, participer aux conversations, mais je sentais combien tout cela était artificiel.
Chaque rire, chaque geste était soutenu par ma main posée sur la sienne, par ma présence.
Sans ça, il n’existait pas.
Le groupe ignorait encore tout, mais je savais que ce fragile équilibre ne tiendrait pas éternellement.
Je me surpris à imaginer des stratagèmes pour les vacances :
- Inventer des petites histoires si Lior ne réagissait pas comme prévu.
- Le placer stratégiquement dans les photos ou les jeux pour qu’il paraisse normal.
- Préparer des excuses plausibles pour expliquer toute bizarrerie.
Et tout en réfléchissant à tout cela, je réalisai que je devais aussi me préparer mentalement à la douleur que cela me causerait si, malgré tous mes efforts, il commençait à s’effacer devant tout le monde.
Si je devais être l’unique lien entre lui et la vie, alors chaque seconde, chaque toucher serait une responsabilité écrasante.
Le soir, je rentrai chez moi, le poids de ces pensées me rongeant.
Je savais que je ne pouvais pas parler à quelqu’un d’autre, pas encore.
Nora avait posé ses questions, mais elle ne savait rien. Et je comptais bien que cela reste ainsi.
Je posai mon sac, m’assis à mon bureau, et griffonnai des idées, des scénarios, des plans… tout pour que les vacances ne deviennent pas un cauchemar irréversible.
Chaque détail comptait : chaque déplacement de Lior, chaque interaction, chaque geste pour maintenir son existence.
Et tandis que je m’endormais cette nuit-là, je sentis une tension sourde dans tout mon corps.
Lior dormait dans sa chambre, juste à côté de la mienne, et je savais que je devais le protéger, même dans le silence.
Même si je ne comprenais pas entièrement ce qu’il était devenu.
Même si je savais que cette semaine, et celles qui suivraient, seraient un test constant de ma vigilance.
L’école avait un air différent ce jour-là, comme si chaque couloir, chaque fenêtre respirait l’impatience des vacances.
Les rires fusaient, les élèves parlaient plus fort, et le soleil semblait projeter sur tout le monde une lumière chaude, presque festive.
Pour la première fois depuis l’accident, Lior ne semblait pas fragile.
Enfin… pas totalement.
Il marchait à côté de moi avec ce léger flottement dans ses pas, mais il ne semblait plus vaciller, et son regard était plus vif qu’hier.
Je l’observais en silence, mon cœur battant plus vite que je ne l’aurais voulu.
Chaque sourire qu’il adressait à nos amis me rappelait combien il avait été “normal” avant tout ça, combien il avait été vivant avant que je devienne le seul fil qui le retenait ici.
Je me demandais si ces deux semaines de vacances allaient être un enfer.
Comment allais-je gérer chaque geste, chaque regard, chaque mot pour que personne ne remarque ce qu’il était devenu ?
Nous nous dirigeâmes vers la cour après les cours, et nos amis commencèrent à parler des vacances, des jeux et des défis qui allaient ponctuer ces deux semaines.
C’était le moment qu’ils attendaient tous.
Pour moi, c’était le début de la semaine la plus effrayante de ma vie.
Puis Milo lança un pari absurde, comme ils en avaient toujours.
— Hé, Lior, si tu oses… tu dois embrasser Vadim sur la joue, sinon tu dois payer le double !
Le rire général accompagna la remarque, et je sentis mes joues s’échauffer, mes mains se tendre.
Lior leva les yeux vers moi, un sourire mi-innocent, mi-moqueur.
— Très bien… dis-je à voix basse, essayant de masquer mon agitation.
Je sentis mon cœur rater un battement alors qu’il s’avançait vers moi.
Le contact fut bref.
Juste un baiser sur la joue.
Rien de plus.
Et pourtant… tout changea.
Je le regardai reculer, et un frisson parcourut mon corps.
Lior reprit immédiatement vie.
Ses épaules se redressèrent, son sourire devint plus lumineux, ses yeux pétillèrent comme avant l’accident.
Il rit à une blague de Théo, bougea avec aisance, parla avec Milo et Kamil comme si le temps n’avait jamais laissé de cicatrices.
Je restai là, figé, incapable de cligner des yeux.
C’était lui. Enfin lui.
Vivant. Comme avant.
Je sentis un mélange d’étonnement et de soulagement m’envahir.
Tout le monde semblait simplement s’amuser, mais je savais que ce regain d’énergie était fragile, temporaire.
Une heure peut-être. Pas plus.
Plus tard, seuls dans un coin de la cour, Lior s’arrêta et me regarda avec une expression à la fois curieuse et songeuse.
— Tu sais… murmura-t-il, presque pour lui-même, mais assez fort pour que je l’entende, Je me demande si… ce baiser n’est pas la raison pour laquelle je me sens… comme avant.
Je restai interdit.
Comment répondre à ça ?
Je savais que ce n’était pas juste un geste affectueux.
Pour une raison que je ne comprenais pas, ce baiser avait déclenché quelque chose en lui.
Mais quoi exactement ?
Aucune idée.
— Je… je ne sais pas, soufflai-je finalement.
Il haussa les épaules, un sourire amusé aux lèvres, mais son regard restait intrigué, presque incertain.
Pendant cette heure, nous marchâmes ensemble, parlâmes, rîmes, et tout semblait redevenir normal autour de nous.
Pour un moment, Lior était lui-même.
Et moi… moi je me sentais étrangement léger.
Cette légèreté, cependant, était teintée de peur.
Parce que je savais qu’à la fin de l’heure, il reviendrait à son état fragile.
Qu’il redeviendrait le Lior dépendant uniquement de ma présence, celui que je devais protéger avec vigilance.
Je l’observai s’asseoir avec nos amis, participer aux jeux, répondre aux blagues, et je ne pus m’empêcher de sourire.
— C’est bizarre, murmura-t-il à nouveau, me jetant un regard rapide, Je me sens… vivant. Vraiment vivant. Peut-être que ce baiser… je ne sais pas.
Je hochai la tête, incapable de parler, trop préoccupé par la fragilité de ce moment.
C’était comme tenir un cristal entre mes mains : brillant, lumineux, mais si facilement brisable.
Lorsque la cloche retentit, signalant la fin des cours, nous nous dirigions vers la maison de Théo, où nous allions tous passer la soirée pour fêter l’approche des vacances.
Lior continuait de bouger, de parler, de rire — normal. Presque trop normal.
Je me demandai si quelqu’un d’autre avait remarqué ce changement. Mais personne ne semblait y prêter attention.
Et pourtant, je savais que ce “retour à la vie” ne durerait pas.
Sur le chemin, Lior me lança un regard ambigu, à moitié sérieux, à moitié taquin :
— Peut-être que… je devrais t’embrasser plus souvent, dit-il, un sourire en coin.
Je ne savais pas quoi répondre.
Un mélange de soulagement, d’inquiétude et de confusion me traversa.
Ce baiser avait réveillé quelque chose en lui, quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre.
Cette nuit-là, avant de m’endormir, je me surpris à repenser à chaque seconde passée à observer Lior redevenir lui-même.
Chaque geste, chaque rire, chaque mouvement semblait précieux.
Et la question me hantait : pourquoi un simple baiser avait-il eu un effet si fort ?
Je ne savais pas. Je ne comprenais pas.
Mais je savais une chose : je devais rester à ses côtés, coûte que coûte.
Demain, les vacances commenceraient.
Deux semaines entières à passer ensemble, loin de la surveillance des adultes, dans un monde qui pourrait enfin révéler — ou cacher — ce que Lior était devenu.
Et je savais que, malgré cette heure de normalité, le plus dur restait à venir.
La chaleur humide du spa me saisit dès que je franchis la porte. La vapeur s’élevait en volutes argentées, s’insinuant dans chaque recoin, enveloppant le groupe d’une douceur presque hypnotique. L’odeur subtile d’eucalyptus flottait dans l’air, et l’eau chaude ruisselait doucement dans les bassins, envoyant des éclaboussures légères qui résonnaient comme une musique apaisante. Chaque rire, chaque petit mouvement de nos amis résonnait autour de moi, mais je restais concentré sur Lior, qui marchait juste devant moi.
Il semblait à la fois paisible et vif, chaque geste fluide et naturel, comme s’il n’avait jamais connu la fragilité qui l’avait suivi depuis l’accident. Ses cheveux collés par la vapeur encadraient son visage et, malgré la chaleur, ses yeux brillaient, pétillants d’une énergie que je n’avais pas vue depuis longtemps. Je restai immobile un instant, respirant profondément, consciente du contraste entre sa normalité apparente et la tension invisible qui m’accompagnait à chaque pas.
Le groupe se précipita vers les bassins, éclaboussant l’eau et riant, et Lior éclata de rire en répondant à une taquinerie de Milo. Je sentis mon souffle se retenir, mes muscles se tendre malgré la chaleur. Chaque éclat de rire était précieux et fragile, et je savais qu’il suffisait d’un instant d’inattention pour que tout bascule à nouveau. Je m’installai près de lui dans l’eau, laissant nos épaules se frôler, et je sentis un frisson qui n’avait rien à voir avec la vapeur. Il me jeta un regard rapide et un léger sourire, et je compris que ce moment, bien qu’éphémère, était précieux.
Les discussions commencèrent doucement. Les blagues fusaient, ponctuées de rires, et chacun racontait ses souvenirs d’été. Lior participait pleinement, ses gestes et son rire semblant irrésistiblement naturels. Quand Milo fit une remarque sur mon maladroit plongeon dans l’eau, Lior éclata de rire et me lança un clin d’œil taquin. Ce simple geste me fit sourire malgré moi, mais une partie de moi restait alerte, consciente que sa vitalité retrouvée était fragile et qu’elle dépendait encore de ma présence.
Alors que nous nous séchions sur les bancs du spa, Nora s’approcha doucement. Ses yeux brillaient d’inquiétude et d’une curiosité presque insistante.
— Vadim… murmura-t-elle, hésitante, mais avec cette intensité qui trahissait son inquiétude.
— Qu’est-ce qui s’est vraiment passé avec Lior ?
Mon estomac se noua. Chaque respiration semblait lourde, chaque seconde s’étirer. Je devais inventer quelque chose, détourner la question sans paraître suspect.
— Rien de grave… juste un petit incident, il a glissé… c’est tout, dis-je avec un sourire que j’espérais rassurant.
Mais elle me fixa encore, ses yeux cherchant la moindre faille. Je sentis mon cœur s’emballer. Puis, comme pour détourner l’attention de la tension palpable, Milo éclata de rire et lança une anecdote sur un problème qu’il vivait à la maison. Je soufflai silencieusement, reconnaissant pour cette interruption salvatrice.
— En fait… commença Milo, d’une voix plus sérieuse, je dois vous dire quelque chose… J’ai remarqué des bleus sur les bras de ma mère. Je… je ne sais pas comment ça s’est produit… Je crois qu’elle revoit mon père en cachette et… je crains qu'elle retombe en dépendance affective…
Un silence s’abattit sur le groupe. Les rires avaient disparu, remplacés par l’attention silencieuse et protectrice de nos amis. Nora posa une main sur l’épaule de Milo, et les autres commencèrent à lui offrir des conseils doux et attentifs, parlant de secrets, de dépendance, de vigilance et d’empathie.
Je restai en retrait, observant, et soudain je me rendis compte d’une vérité qui me frappait presque douloureusement : depuis l’accident, toute mon attention avait été concentrée sur Lior. Chaque souffle, chaque sourire, chaque geste de lui avait absorbé mon esprit et mon énergie. Pendant ce temps, Milo et Nora avaient leurs propres inquiétudes, leur propre détresse, et je n’avais presque rien remarqué.
Je me surpris à réfléchir, à prendre conscience de cette focalisation exclusive. Lior était ma priorité, c’était évident, mais le reste du monde n’avait pas disparu. Et je devais apprendre à rééquilibrer mon attention, sans négliger ce lien fragile mais vital qui me liait à Lior.
Le reste de la soirée se déroula ainsi : Lior riait, participait aux discussions, racontait des anecdotes, et moi, je le surveillais tout en essayant de m’ouvrir un peu aux autres. Nous parlâmes de projets pour les vacances, de défis stupides à relever, de baignades et de jeux dans l’eau, mais sous cette apparente légèreté, je gardais toujours un œil sur lui. Chaque éclat de rire, chaque mouvement était pour moi un indicateur de sa santé, de sa vitalité.
À un moment, alors que nous étions tous assis autour du bassin chaud, Lior me lança un regard ambigu, presque amusé :
— Peut-être… je devrais t’embrasser maintenant, murmura-t-il.
Je restai interdit, incapable de répondre, un mélange de soulagement et de confusion me traversant. Ce simple geste, ce petit baiser, avait réveillé quelque chose en lui, quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre. Mais je savais une chose : je devais rester à ses côtés, le protéger, quoi qu’il arrive.
Et tandis que nous quittions le spa pour rentrer dans la maison, je pris conscience que ces vacances seraient bien plus qu’un moment de détente. Elles seraient un test constant, un équilibre fragile entre normalité apparente et secret invisible, entre rire et vigilance, entre Lior et moi.
Je sentis le poids de cette responsabilité m’envahir, mais aussi une étrange détermination. Peu importe la difficulté, peu importe la fatigue, je ne laisserais rien arriver à Lior. Pas ce soir. Pas demain. Pas jamais.

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