Quelques reflets roux

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Le chat crépitait dans l'âtre. J'observais les flammèches verdâtres le consumer avec lenteur. À côté de lui, les morceaux de ma femme et de ma fille attendaient sagement leur tour pour alimenter le brasier. Le soulagement d'être encore en vie surpassait la tristesse qui m'accablait. Il aurait suffi de quelques jours pour que je me retrouve à mon tour ensorcelé par le sac à puces. En bon passionné d'horreur, j'aurais dû voir venir la combine. Grâce à mes réunions régulières, j'étais un spécialiste de l'horreur. Une fois par mois, le vendredi, nous nous réunissions avec des adeptes du genre, autour d'un verre pour échanger sur nos dernières effroyables découvertes.

Tout avait commencé par l'anniversaire de ma fille de neuf ans. Depuis plusieurs années, on lui promettait un animal. Bien sûr, ce maudit chat l'avait converti en premier. C'est ma femme qui avait craqué, après les nombreuses et incessantes demandes. J'avais donc suivi sa décision, à contrecoeur. Ce n'était pas un secret dans le voisinage, si ma femme avait été un chef d'état, sa place aurait été aux côtés de Staline et de Mussolini. Depuis la naissance de notre fille, nous avions pris nos distances dans le couple. Nous ne dormions plus dans la même chambre. Ma femme s'était transformée en véritable louve.

C'est également elle qui voulait donner une deuxième chance à un animal abandonné. Pourtant, si on décide d'abandonner un animal, c'est qu'il y a une bonne raison. Honnêtement, parfois avec un excès de morale on peut commettre de sacrées conneries. En tous les cas, personne n'abandonnait ce félin-là. Le même scénario se répétait inlassablement : un couple de vieillards emmenait le matou le sourire aux lèvres, le chat leur jouait ensuite la nuit des morts-vivants. Il revenait ensuite tranquillement au bercail pour attendre ses prochains propriétaires. Et ces cons de la protection des animaux voyaient le tueur en série poilu revenir sans se poser de question.

Ma fille le prenait tout le temps dans les bras. Elle ne le quittait pas, même durant la nuit. On dit que le ronronnement d'un chat est apaisant. Moi ça m'énervait, ça me rappelait le bruit d'une tronçonneuse. C'est d'ailleurs comme cela qu'il devait procéder : cette vermine hypnotisait ses victimes, le son mettait en transe la cible. Il la fixait ensuite avec ses yeux verts jusqu'à entrer dans leur esprit. Je suis incapable de dire le moment exact où ça s'est produit pour ma fille, mais je me souviens très bien du faire-part de décès de la petite Sarah. Je me souviens aussi du visage dévasté des parents pendant l'enterrement. On avait parlé d'un accident. Quand on retrouve une fille empalée sur la clôture de la cour d'école, on ne parle pas d'accident. La grille se trouvait à trois mètres de hauteur. Ma petite chérie avait apporté calmement son témoignage. C'est-à-dire ce que son imagination de psychopathe avait inventé pour couvrir son meurtre. La police n'y a vu que du feu. Sous prétexte que ça sort de la bouche d'un enfant, c'est forcément la vérité. L'école avait ensuite mis en place des mesures de sécurité pour éviter tout épisode similaire.

C'est à l'enterrement que j'avais compris que quelque chose clochait chez ma fille. Lorsqu'on avait descendu le corps en terre, je m'étais tourné vers ma fille :

- Tu sais, la petite Sarah est sûrement en paix là-haut dans le ciel et elle nous regarde.

- Non papa, cette petite pute, se fait brouter la chatte par les démons de l'enfer.

Cette phrase accompagnée du regard qu'elle m'avait jeté m'avait donné des frissons pendant plusieurs jours. En même temps, ça n'empêchait pas ce faux visage d'ange de scander des chimériques : "Je t'aime maman". Je connaissais ma fille et j'avais compris qu'un esprit diabolique la possédait. Il ne m'avait pas fallu longtemps non plus pour comprendre que son comportement avait changé depuis l'arrivée du chat dans notre vie. J'avais donc mis au point un plan. Emmener la bestiole dans mon chalet pour la brûler. Une chose que mes lectures sur les sorcières m'avaient enseigné : aucun esprit démoniaque n'aime le feu. Pour m'assurer de ne pas être prit sous son joug, j'avais prévu de ne pas regarder l'animal dans les yeux et mis des boules quiès pour ne pas entendre ses miaulements. Pendant la nuit, j'étais entré dans la chambre de ma fille et j'avais collé un tissu imbibé de chloroforme sur le nez du félin. J'avais pensé qu'une fois éloigné de la maison, le chat ne pourrait plus nuire à ma famille. Mais, il s'était réveillé dans la voiture. Après la moitié du trajet, je m'étais retourné et j'avais vu cette petite gueule des enfers ronger les barreaux comme un dément. Arrivé au chalet, j'avais commencé à préparer le feu, poser des bûches dans la cheminée. Je ne les avais pas entendu arriver, il avait dû les contacter par une sorte de lien télépathique. J'avais senti une brise fraîche dans ma nuque. Ma femme et ma fille se tenaient dans l'encadrement de la porte. Mon épouse portait une pelle et ma petite un couteau de cuisine. J'avais immédiatement retiré mes boules quiès :

- Allez-vous en ! Avais-je dis.

- Tu essayes, avait débuté ma femme.

- De faire quoi, avait continué ma fille.

- Exactement, avait terminé ma femme.

- Tuez ce maudit chat ! Il vous a transformé, quand ce sera un tas de cendres, vous retrouverez votre raison.

- Oh ! C'est bien ce que nous pensions, mais malheureusement, dit ma fille.

- Elles sont mortes toutes les deux depuis longtemps, enchaîna ma femme.

Le reste se passa rapidement. Les deux zombies s'étaient approché de moi en brandissant leurs armes de fortune. J'avais vite compris, qu'il n'y avait qu'une issue possible. J'envoyai le tisonnier dans le ventre de mon épouse qui ne broncha pas. J'avais espéré un instant que je pourrais éviter de défigurer ma femme, qu'elle pourrait s'en aller paisiblement. Mais je remarquai qu'elle ne ressentait pas la douleur. Je repris le tisonnier qui brulait les intestins moribonds de ma femme et je frappai de toutes mes forces dans le cou. Ma femme s'écroula. C'est à ce moment-là que je ressenti une vive douleur dans le dos. Ma fille venait de me planter son couteau dans les reins. Je la vis ouvrir la bouche pour hurler un son guttural qui venait depuis des dimensions inconnues. Je pleurai en plantant la barre brulante dans les yeux de mon enfant. Sur le sol, elle bougeait encore, brûlée et aveugle. Une chance pour moi que mêmes les forces les plus démoniaques de l'univers restent limité par le corps qu'elles contrôlent.

Le corps couvert de sang, J'observais les flammes verdâtres engloutir ma famille. C'est à ce moment-là que je me suis rappelé les légendes concernant les vies multiples des chats. Les flammes se reflétaient dans mon iris, ma tristesse disparaissait et je me disais soudain que les deux femmes de ma vie n'étaient que deux salopes et qu'elles avaient bien mérité leur sort, comme tous ceux qui dorénavant allaient croiser ma route.

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