Chapitre 1

9 minutes de lecture

Un affreux sifflement suivi d’un claquement me fit grincer des dents et me réveilla. Je plaquais mes mains sur mes oreilles et enfonçai ma tête dans l’oreiller. Je détestais ce bruit. Il persista pendant encore une bonne dizaine de secondes, jusqu’à ce qu’Emma ouvrît la porte.

Quand elle tira les rideaux, laissant entrer le soleil, je grognais en remontant la couverture. Son rire effaçait l’assourdissant sifflement de mon verrou électromagnétique.

— C’est l’heure de vous lever, dit-elle d’une voix calme et reposante.

— Encore dix minutes, s’il te plaît.

Si je pouvais avoir dix minutes de sommeil supplémentaire, je me devais d’essayer.

— Vous dites la même chose tous les matins, mademoiselle Elena. Que faites-vous donc de vos nuits ?

Avec délicatesse, elle retira la couverture et la plia au pied du lit. Je sentis le vent me chatouiller les pieds. Emma avait dû laisser la fenêtre ouverte pour aérer ma chambre.

— Rien que ma mère ne m’autorise pas déjà, enchaînai-je en m’asseyant finalement en tailleur. À quoi bon me lever tôt tous les matins si c’est pour ne rien faire ?

— Elle est occupée toute la journée avec la garde impériale, ses conseillers et il fait beau. Que diriez-vous de nous promener dans les jardins du château ?

Elle désigna la fenêtre. Depuis mon lit, je pouvais apercevoir un magnifique ciel bleu et un grand soleil. Nous n’étions pas en août pour rien. Je plaçai mes coudes sur mes genoux et mon menton dans mes mains et soupirai.

— Encore ? De toute façon, ce n’est pas comme si j’avais autre chose à faire.

Je sortis finalement pour aller prendre une rapide douche. Quand j’eus fini, Emma me sourit et attrapa la chaise de mon bureau pour venir la poser dans la salle de bain, en face du miroir. Je me séchais les cheveux avec ma serviette tandis qu’elle mettait tout en place. J’avais beau observer ses gestes attentivement chaque matin, elle ne déviait jamais d’un centimètre et faisait tout dans la délicatesse, comme si chaque objet était en cristal, à tel point que j’étais capable de les prédire.

Elle commença par ouvrir le premier tiroir, en sortit ma brosse neuve et le referma. Elle fit de même pour les élastiques, les épingles et même la laque, rangée juste sous le lavabo. Elle savait que je trouvais ça inutile, n’ayant aucune activité qui pourrait me décoiffer, mais elle le faisait quand même. Je ne l’en empêchais pas non plus. Elle s’amusait tellement à inventer des coupes que je ne pouvais lui enlever ça. Je voyais dans son regard, à travers le miroir, à quel point c’était l’un de ses passe-temps préférés.

Quand elle eut enfin fini de tout préparer, elle se tourna vers moi. C’était le moment d’aller m’asseoir, mais je voulais la taquiner, mon activité favorite. J’attendais debout, appuyée contre la porte de la douche en souriant béatement. Elle se redressa et croisa ses bras tout en restant silencieuse. Elle m’adressa ensuite un regard dépité et je ne réussis pas à contenir mon rire.

— Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de vous ? soupira-t-elle.

— Je ne sais pas, à toi de me le dire, plaisantai-je.

— Je pense que je vais finir par vous abandonner seule ici, enchaîna-t-elle avec un sourire.

— Avoue, je te manquerais cinq minutes après ton départ.

— Je ne peux avouer ce qui n’est pas vrai, Mademoiselle.

Je me redressai pour poser un pied sur la porte de la douche.

— Au bout de dix minutes ? ajoutais-je en rigolant.

— Vous n’êtes pas croyable.

Elle secoua la tête, ce qui me fit encore plus rire, avant de se retourner vers le miroir.

— Mais qu’est-ce que je ferais sans toi, hein ? Dis-moi, enchaînais-je pour enrouler mes bras autour de son cou.

— Je me le demande aussi.

— Ah ah, tu vois, tu ne peux pas te passer de moi.

Je la lâchais pour la contourner et la regarder dans les yeux, tout en grimaçant.

— Venez vous asseoir au lieu de dire des bêtises.

L’écoutant enfin, je m’installai devant le miroir. Délicatement, elle enleva la serviette qui entourait mes cheveux humides. Ils tombèrent sur mes épaules et des gouttes d’eau glissèrent le long de mon dos. Emma attrapa la brosse et commença à les démêler. Je me détendis, m’appuyai contre le dossier de la chaise et sentis ses doigts parcourir mes cheveux, des racines aux pointes pour suivre la brosse. Je pouvais presque m’endormir tellement elle était douce.

Emma sentait la cerise, comme moi. Peu de temps après qu’elle fut entrée à mon service, je lui avais fait promettre d’utiliser mes produits quand bon lui semblait. Nous n’en avions plus reparlé depuis, mais je savais qu’elle respectait son engagement. Si ma mère ne l’autorisait pas à prendre soin d’elle, c’était mon devoir de le faire. Et puis, elle n’aurait jamais pu s’en rendre compte puisque c’est Emma elle-même qui s’occupait du ravitaillement.

Quand elle eut terminé cette étape, mes cheveux étaient lisses. Elle reposa la brosse et prit un peigne plus fin pour séparer des mèches. Dans le miroir, je la vis s’activer, faire des nattes, les attacher individuellement avant de les rassembler. J’aurais pu faire toutes les grimaces du monde, elle ne l’aurait jamais remarqué. Elle était bien trop concentrée sur ce qu’elle faisait. Elle ne me tirait jamais les cheveux. Elle sortit ensuite le fer à friser. Ce n’était pas tous les jours qu’elle l’utilisait. Elle acheva avec un peu de laque. Elle m’avait fait trois nattes de chaque côté, réunies en une seule. D’autres mèches restaient détachées, bouclées, tombant en cascade sur mes épaules.

— Qu’est-ce que vous en pensez ?

— C’est parfait.

Je me retournais sur ma chaise et regardais Emma dans les yeux, elle souriait. Contrairement à moi, elle n’avait qu’une simple queue-de-cheval.

— Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda-t-elle en remarquant que je l’observais.

— Et toi ? enchaînai-je en sachant pertinemment qu’elle n’aimait pas que je commente son apparence.

— Vous n’allez pas recommencer avec ça !

— Hum… si. Tu es belle Emma, pourquoi ne te mets-tu pas en valeur ?

J’espérais vraiment lui faire plaisir avec ce compliment.

— Je travaille, mademoiselle.

Vu sa réaction, j’eus peur que ça ait eu l’effet contraire de celui escompté.

— Qu’est-ce que ta mère dirait en te voyant ainsi ? poursuivi-je malgré tout. Qu’est-ce qu’elle…

— Elle a trois autres filles à pouponner. Elle a largement de quoi s’occuper avec elles.

Pourquoi avais-je l’impression qu’il y avait un problème avec sa famille ? Qu’avait-il bien pu se passer ?

— Sérieux ? Tu ne m’avais jamais dit que tu avais des sœurs.

— Parce que ça vous intéresse ?

Elle avait le ton chargé de reproches, mais envers elle-même. Comme si elle avait envie d’en parler, mais qu’elle s’interdisait de le faire.

— Évidemment !

Je me levais pour me mettre en face d’elle, à sa hauteur.

— Tu es mon amie, Emma, repris-je. Tu n’évoques jamais ta famille.

— Parce qu’il n’y a rien d’important à dire. Mes sœurs sont plus jeunes. Elles vivent avec ma mère et voilà, c’est tout.

On sentait qu’elle les aimait vraiment, même si elle ne voulait rien dire de plus.

— Tu ne vas rien me dire de plus ?

— Non.

— Et ton père ? demandai-je peu sûre de moi.

S’il y en avait un, elle en aurait sûrement déjà parlé.

— Arrête, Elena !

À cause du tutoiement et de la colère dans son regard, je compris que j’étais allée trop loin. Il avait dû se passer quelque chose avec lui. Quelque chose de plus douloureux que de ne simplement pas le connaître.

— Excuse-moi, terminai-je en baissant les yeux.

Je sortis de la salle de bains, estimant qu’elle avait besoin de quelques instants seule. J’en profitai pour rapidement faire mon lit afin d’éviter qu’Emma ne le fasse. Je lui devais bien ça.

Ma chambre était l’une des plus grandes du château, après celle de ma mère. C’était l’unique endroit où j’avais une totale liberté. Que ce soit sur la décoration, les couleurs ou l’arrangement des meubles. J’avais choisi d’avoir le strict minimum d’objets pour avoir le plus de place possible. Pour pouvoir faire tous les mouvements que je voulais sans rencontrer le moindre obstacle. Je pouvais même danser sans me blesser. Je disposais donc uniquement d’un lit double, d’un bureau, d’une table de nuit et d’une grande armoire. Mes rideaux étaient d’un bleu foncé tandis que les draps de mon lit étaient de couleur cyan.

L’armoire était faite de bois brut, que j’avais repeinte avec Emma en gris et rose quelques mois plus tôt. Ça ne rend pas trop mal. Si ma mère avait appris que j’avais moi-même peint cette armoire, elle m’aurait sûrement punie. Ce n’est pas une activité de princesse, comme elle aime à le dire. Pourtant, cette chambre c’était mon espace, ma vie privée, le seul endroit où ma mère n’avait aucun pouvoir. Mon bureau était blanc comme les murs. Hormis quelques livres, choisis par ma mère, et de quoi écrire, il était presque vide.

En face de mon armoire et à côté de l’unique fenêtre qui éclairait cette pièce se trouvait ma salle de bains. Composé d’une baignoire et d’une douche pouvant accueillir deux personnes, cette pièce était aussi lumineuse que ma chambre. La seule chose que j’avais personnalisée ici était les placards et le miroir. Je les avais également peints avec Emma en un rose plus pâle pour apporter une sensation de fraîcheur. Je n’avais jamais touché à la luminosité ni à l’emplacement de la douche et de la baignoire. C’était accueillant et ça me plaisait ainsi, comme si quelqu’un de chaleureux y avait vécu avant ma mère et ses ténèbres.

Quand Emma revint dans la chambre, je remarquais ses yeux rouges, mais je ne dis rien. Elle n’aurait sûrement pas voulu que j’en rajoute une couche.

— La rose ou la blanche ? me demanda-t-elle en me montrant deux robes sorties de mon armoire.

— La blanche, répondis-je en l’attrapant.

— Vous avez bien choisi, elle vous va bien, dit-elle en reprenant sa fonction.

— Si seulement ma mère pouvait le remarquer.

J’avais mis dans cette phrase tout ce que je lui reprochais. Soit plus que n’importe qui aurait pu l’imaginer.

— Pourquoi préfère-t-elle s’enfermer dans la Grande Salle plutôt que de passer un peu de temps avec moi ? Je ne demande pas un miracle, juste une heure ou deux entre mère et fille.

— Je peux essayer de faire quelque chose si vous voulez, même si ça ne donne rien.

— À quoi bon, elle n’accepte jamais rien venant de moi et encore moins venant de toi.

— Je vais tout de même tenter, on ne sait jamais. Je crois que vous en avez besoin.

— Merci.

Emma quitta la chambre pour vaquer au reste de ses occupations et je me tournai vers ma fenêtre. De cette pièce, j’avais une vue imprenable sur l’ensemble de la cour du château. Mais dès que je voulais regarder au-delà des murailles, je ne voyais rien d’autre que d’immenses arbres. Comme si la nature elle-même ne voulait pas que je sache ce qu’il se passait à l’extérieur.

Enfant, je me disais que c’était pour me protéger que ma mère m’empêchait de sortir. En même temps, ça paraît logique qu’une mère ne veuille pas laisser sa fille d’une dizaine d’années vagabonder dans un lieu qui lui est inconnu. Surtout si ces terres étaient dangereuses pour une princesse comme moi.

Mais aujourd’hui, il y a une tout autre explication à mon isolement. Je ne suis plus une enfant, mais elle ne me fait toujours pas confiance. Le monde extérieur était-il dangereux au point de refuser de me dire quoi que ce soit sur la vie en dehors du château ? Comment ne pas me poser de questions sur ses motivations ?

J’espérais vraiment qu’Emma réussirait à convaincre ma mère, même si j’en doutais fort. Elle n’acceptait aucune de mes demandes. Comment pourrait-elle accepter celles d’Emma ? Tout ce que je voulais c’était une mère aimante, qui se préoccuperait de moi. Une mère sans secrets, qui m’incluait dans les affaires de l’Empire comme l’adulte que j’étais censée être.

Elle contrôlait toute ma vie, jusqu’à la moindre pensée et j’étais incapable de faire quoi que ce soit contre elle. J’étais totalement impuissante. J’avais beau essayer de la questionner sur les affaires de l’Empire, sur ce qu’il se passait au-delà des murailles, chaque fois, je ne récoltais que de la colère. Elle ne cessait de me répéter que la curiosité était le pire défaut.

Si elle devait sortir de ma vie un jour, la première chose que je ferais serait sûrement de me perdre dans la bibliothèque et de chercher toutes les réponses à mes questions restées en suspens si longtemps.

Annotations

Vous aimez lire Le studio d'Anaïs ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0