Chapitre 6

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En arrivant au château, je fus surprise par l’attitude des domestiques. Seule la domestique attitrée de ma mère venait m’aider. Qu’est-ce que ma mère avait bien pu leur faire ? Je la conduisis malgré tout jusqu’à sa chambre et l’allongeais sur son lit. Sa domestique se retira ensuite pour me laisser seule avec elle. C’était la première fois que j’y entrais. Celle pièce, agencée comme la mienne, était plus austère que n’importe quel espace du château, il n’y avait qu’un lit, une armoire et une table de nuit. Il n’y avait aucun élément qui aurait pu déterminer qui était l’occupant, aucune photo.


— Voulez-vous que j’aille chercher un médecin ?

— Juste un peu d’eau, ça ira. Il doit y avoir un verre dans ma salle de bain.

— Je vous apporte ça tout de suite.


Je trouvais, comme prévu, un verre et le remplis d’eau. Mais en revenant de la chambre, ma mère s’était endormie. Je relevais la couverture pour la mettre sur elle. Je sortis de sa chambre quelques instants pour prévenir Emma que je restais auprès d’elle. Malgré tout ce qu’elle avait pu me faire subir, la voir ainsi me faisait de la peine. Je m’assis par terre, contre le mur en face de son lit. Une heure plus tard, on frappa à la porte, Emma entra et s’assit à côté de moi.


— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Il y a quelque chose qui me perturbe. Hier, elle était la mère que j’avais toujours connue, incapable d’éprouver la moindre émotion à l’exception de la colère. Et aujourd’hui, c’est comme si elle venait de se rendre compte de ce qu’elle avait pu faire et qu’elle regrettait.

Mettre des mots sur mes pensées me permettait de me poser les bonnes questions. Je savais ce qui n’allait pas et je savais ce que je devais essayer de comprendre.

— Vous semblez vous inquiétez pour elle.

— Et si elle était malade et qu’on ne le savait pas ? Elle avait même oublié mon allergie aux poissons et fruits de mer.

— Est-ce qu’il y aurait quelque chose dans ce qu’elle a dit qui vous ferait penser qu’elle est malade ?


Emma aussi avait compris, elle me posait les bonnes questions pour que les réponses, plus au moins complètent, se déclenche dans ma tête. Pour que je fasse le rapprochement entre tout ce que je savais.


— Ce matin, elle a dit que mon père devait chercher une place dans un hôpital pour l’interner et tout à l’heure elle a dit que mon père avait peut-être raison. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

— Il faudrait lui demander directement, mademoiselle.

— Il faut surtout espérer qu’elle ne redevienne pas la mère que j’ai toujours connue.

— Je l’espère pour vous, enchaîne-t-elle en me souriant. Faites-moi appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit.

— Merci Emma.


Elle quitta la chambre et je restais contre le mur à attendre que ma mère se réveille. Je finis par m’endormir à mon tour. Ce furent des bruits de pas qui me réveillèrent. Ma mère était penchée au-dessus de moi.


— Je peux savoir ce que vous faites ici, jeune fille ?

— Je m’inquiétais pour vous, mère. Pendant notre sortie à l’étang, on aurait dit que vous aviez perdu la mémoire.

— C’est vous qui m’avez ramenée dans ma chambre ?

— Oui, mère.

— C’est aimable à vous, mais ne remettez plus jamais les pieds dans ma chambre. Est-ce bien clair ?

— J’ai bien compris.

— Que faites-vous encore ici alors ?

— Je veux seulement savoir si vous allez bien. Après cet après-midi…

— Qu’importe ce qu’il s’est passé cet après-midi entre nous, c’était une erreur et ça ne se reproduira plus. Retournez immédiatement dans votre chambre !


Et voilà, la mère que j’avais toujours connue était de retour. Pourquoi fallait-il qu’au moment où elle dévoilait enfin ses faiblesses, qu’elle me traite d’égale à égale, tout s’écroule en une fraction de seconde ?


— Pourquoi faites-vous comme s’il ne s’était rien passé ? Suis-je importante pour vous ?

— Je suis l’Impératrice Elena, je n’ai pas le temps pour vos caprices d’adolescente privilégié.

Là, c’en était trop. Un coup, elle s’intéressait à moi et plusieurs heures après je n’existais plus.

— Si vous ne vouliez pas passer du temps avec moi, il ne fallait pas me proposer cette sortie ! Il ne fallait pas me parler tout court !


Quand elle comprit que je m’opposais à elle, elle me repoussa contre le mur. Quoi qu’il se passe à partir de maintenant, je savais que je serais puni dès la fin de cette discussion. Je ne pouvais plus reculer.

— C’est à se

demander si vous êtes vraiment ma mère ! M’indignai-je.

— Je vous interdis de me parler ainsi, jeune fille, ajoute-t-elle avec un calme qui me surprit. Elle ne me gifla même pas.

— Pourquoi m’oubliez-vous à chaque fois ? Qu’est-ce qu’il y a de plus important que moi ?

— Cet Empire est bien plus important que vous, répondit-elle avec en désignant sa fenêtre.


Voilà la gifle que j’attendais, même si elle ne venait pas directement de sa main.


— J’ai essayé de vous l’enseigner toutes ces années, jeune fille, mais vous ne semblez toujours pas avoir compris, reprit-elle. Cet Empire, je l’ai forgé à ma manière. J’y ai laissé sang et eau pour que je sois respectée, pour que vous soyez en sécurité ici. Que se passerait-il à votre avis si je n’étais plus là pour veiller sur vous ?

— Je me débrouille déjà très bien sans vous, comme vous n’êtes jamais là.


Même en disant ça avec toute la conviction du monde, je savais que ce n’était pas vrai. En vérité, c’était que sans Emma je ne savais rien faire, pas sans ma mère.


— Ne dites pas de sottise. Sans moi, vous ne tiendrez pas cinq minutes dehors sans vous faire écraser par plus fort que vous. Vous êtes tellement faible Elena.

— C’est vous qui m’avez rendu faible. En m’enfermant dans ma chambre dès que je vous contrariais, en me délaissant pour faire je ne sais quoi et en ne me disant pas ce qu’il se passe réellement.


J’en avais assez que ma mère me traite sans cesse comme une enfant, comme une moins que rien. Je n’en pouvais plus de garder en moins toute la colère, la rancune et la haine que j’avais envers elle.


— Au contraire, Elena ! J’ai essayé de faire de vous une femme forte, mais vous êtes faible par nature et je ne peux rien faire de plus. Vous ne survivrez pas seule plus de cinq minutes dans le monde extérieur.

— Alors, montrez-moi !

— Il en est hors de questions ! Vous avez dix minutes pour retourner dans votre chambre.


Furieuse, je quittais sa chambre en serrant mes poings. Dans les couloirs, je remarquais les sourires des domestiques. Étaient-ils contents que je sois puni ou que j’aie tenu tête à ma mère ? Quant à ce qu’il s’était passé cet après-midi, j’avais l’impression d’avoir tout inventé. Avais-je aperçu pendant quelques heures, une mère que j’aurais pu avoir ? Une mère aimante, qui partage ses émotions et son passé. Et pourquoi ma mère était-elle soudainement devenue une tout autre personne avant de redevenir celle qu’elle avait toujours été ?

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