Chapitre 10

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Le soir venu, alors qu’Océane avait décidé de rester avec moi pour la nuit, Emma nous informa que le repas était servi dans la Grande Salle. J’invitai Océane à nous suivre. En entrant, je remarquais que la pièce était vide, ma mère n’était pas là et il n’y avait pas non plus de gardes. Je laissais Océane s’installer la première avant de faire de même en fasse. Elle me sourit et je détournais les yeux quand je croisais son regard hypnotisant. Le silence qui régnait entre nous me rendait nerveuse. Je jouais avec mes doigts et regardais partout sauf devant moi.


— Ça ne va pas ? Tu as l’air… nerveuse.

— Si, ça va. C’est juste que je n’ai pas l’habitude de manger ici, surtout le soir. Et quand c’est le cas, ma mère est toujours là. C’est même étrange qu’il n’y ait aucun garde.

— Je comprends. Je ne vais pas t’embêter plus alors.


Instinctivement, je relevais la tête en souriant. Océane me comprenait et je me sentais flattée. Lentement, mes yeux remontèrent le long de sa bouche, elle aussi souriait, avant de s’arrêter dans ses yeux. Ses yeux d’un bleu magnifique dont je n’arrivais pas à me détacher. Je voyais qu’elle me parlait, ses lèvres bougeaient, mais j’étais incapable d’entendre le moindre son. C’est Emma qui me sortit de ma rêverie en m’interpellant.


— Votre mère veut vous voir.

— Quoi ? dis-je en revenant à la réalité.

— Bienvenue parmi nous, se mit à rigoler Océane.

— Ce n’étais pas drôle.


Je baissais les yeux en direction de mon assiette encore vide. Je m’étais perdue dans les yeux d’Océane au point de perdre toute notion de la réalité. Je la connaissais à peine et pourtant elle avait changé ma vie. Je sentais, au plus profond de mon cœur, que je ne pourrais plus me passer d’elle, de sa présence et de son sourire.


— Le repas est servi, mademoiselle. Que voulez-vous ? enchaîna Emma en me désignant les nombreux plateaux disposés sur la table.

— Des légumes et de la viande, ça ira très bien.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Océane en désignant un plateau, intriguée.

— Une pince de crabe, c’est un fruit de mer, répondis-je.

— Est-ce que c’est bon ?

— Aucune idée, répondis-je en haussant les épaules.


Océane ne savait pas pour mon allergie. Elle ne savait pratiquement rien de moi et m’avais déjà accueilli dans sa vie, qu’importe mon passé ou mon statut de Princesse. A ses yeux, j’étai déjà son amie. Elle ne serait jamais restée dormir ici alors que son frère l’attendais, sinon. J’avais envie de lui en dire plus sur moi, d’en apprendre plus sur elle, mais je n’y arrivais pas. Était-ce pour ça que ma mère avait dit que j’étais faible ? Parce que je n’arrivai pas à exprimer ni ce ne que pensais ni ce que je ressentais ? En même temps, comment parler sentiments, quand la seule personne qu’on a toujours connue n’en éprouvait aucun ?


— C’est très bon, ajouta Emma. Souhaites-tu que je prépare une pince ?

— Je peux me débrouiller seule. Tu n’en manges pas ? me demanda-t-elle ensuite.

— Non, il ne vaut mieux pas si je veux rester en vie.

— Je vois, tu y es allergique c’est ça ?

— Exact, à tout ce qui est fruits de mer et poissons.

— C’est dommage. Je peux te dire que c’est délicieux.


Les étincelles dans ses yeux me confirment que c’était, en effet, très bon. J’aurais aimé pouvoir y gouter, rien qu’une seule fois pour comprendre, pour en discuter avec elle.


— Contente que ça te plaise.

— Mais dis-moi, si tu y es allergique, pourquoi ce plat est préparé.

— Ma mère est une férue de poissons et de fruits de mer. À la place de la viande, elle ne mange que du poisson.

— Tu ne dois pas le savoir, mais le poisson est un produit de luxe, peu de gens normaux peuvent s’en payer.


Si tel était vraiment le cas, pas étonnant que ma mère ne mange que ça. Dès qu’une occasion se présentait de montrer sa richesse, à moi ou à n’importe qui d’autre, elle le faisait. Est-ce que ça voulait aussi dire qu’être une Princesse, c’était être différent ? Ne pas être normal comme Océane venait de le dire ? Plus j’en apprenais, plus j’avais de questions. Étais-je vraiment si privilégié que ça, malgré tout ce que ma mère m’avait fait subir ?


— Je ne suis pas normal ? enchaînais-je vexée et inquiète d’être si différente des autres.

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je parlais de la plupart des habitants du royaume alors que toi, tu es une princesse.

— Il y a tant de différence que ça entre vous et moi ?

— Tu n’imagines même pas.


Je baissais la tête honteuse. Étant très riche, est-ce que cela voulait dire qu’eux étaient très pauvres ? Même si je commençais petit à petit à savoir ce qui n’allait pas à l’extérieur du château, j’avais l’impression que j’étais encore loin du compte. On resta silencieuse jusqu’à la fin du repas. Toujours sans dire le moindre mot, on prit chacun notre douche avant que le verrouillage de ma chambre ne s’active.


— C’était quoi ce bruit ? s’inquiéta-t-elle aussitôt en sursautant

— Oh ça, juste le verrou électromagnétique de ma porte qui se ferme jusqu’à demain matin à sept heures, expliquais-je en m’installant dans mon lit.

— Parce que tu as un verrou électromagnétique sur ta porte ? Ça veut dire qu’on est enfermée là ?

— C’est exactement ce que ça veut dire, répondis-je honteuse. Et seules ma mère et Emma possèdent la clé magnétique.


Elle venait de passer plus d’un an enfermé dans une minuscule cellule souterraine et je l’enfermais à nouveau dans ma chambre sans rien pouvoir faire contre.


— Et c’est ça tous les soirs ? Ma pauvre.

— Tous les soirs, oui. Ma mère s’assure ainsi que je reste bien dans ma chambre la nuit, que je ne vagabonde pas dans les couloirs ou que je n’essaye pas de m’enfuir. Peut-être qu’elle s’assurait aussi que je ne découvre jamais ce qu’elle faisait dans ce sous-sol.

— Tu as déjà essayé de t’enfuir ?

— Oui, mais je n’ai pas envie d’en parler, répondis-je en détournant le regard, chassant les terribles souvenirs qui remontaient.

— Je comprends. On ferait mieux de se coucher alors.

— Si jamais tu as froid dans la nuit, il y a une couverture supplémentaire dans mon armoire.

— Je prends note.


J’attendis qu’elle s’installe sur le matelas à côté de mon lit avant d’éteindre la lumière. C’était la première fois que quelqu’un d’autre dormait dans ma chambre et j’étais nerveuse. Qu’allait-il bien pouvoir se passer ? J’entendais sa respiration calme, le seul bruit présent dans ma chambre. Son odeur remontait jusqu’à mes narines, j’étais incapable de penser à quoi que ce soit d’autre. Une fille dormait dans ma chambre, la fille dont j’avais sauvé la vie peu de temps auparavant.

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