Chapitre 11

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J’étais dans ma chambre qui me paraissait beaucoup plus grande. Une domestique m’aidait à me coiffer et à m’habiller. Son nom ne me revenait pas en mémoire. J’étais vêtu d’une robe bleue à dentelle et dans le miroir, c’était une jeune fille d’à peine dix ans que je voyais.


— Votre Altesse, arrêtez de bouger. Je ne peux pas vous coiffer sinon.

— Excusez-moi, Madame.


Je me reconcentrais sur mon reflet, essayant de bouger le moins possible. Mais quand ma porte s’ouvrit subitement en grand, je tournais la tête en direction du bruit sous les grognements de la domestique. C’était ma mère, en bien plus jeune. J’avais envie de courir dans ses bras. J’avais envie qu’elle me sorte de l’immobilité que j’étais obligé d’avoir depuis une heure. J’avais envie qu’elle me prenne dans ses bras pour me faire tournoyer, me faire rire.

Pourtant, quand je croisais son regard, je détournais les yeux. Je savais que ça n’arriverait jamais. Jamais elle ne serait celle qui me ferait rire, celle qui jouerait avec moi. Je n’avais que dix ans et je savais déjà que je n’étais rien pour celle qui prétendait être ma mère.


— Est-ce que ma fille est prête pour le bal ?

— Presque, Votre Majesté. Si Son Altesse veut bien arrêter de gesticuler.


Ma mère s’approcha de moi, attrapa mon menton et tourna ma tête pour que je regarde le miroir.


— Cessez de bouger, jeune fille !

— Oui, mère, répondis-je terrifiée.

— Vous faites votre entrée dans dix minutes, je veux une tenue irréprochable de votre part. Vous ne parlerez ni ne regarderais personne et encore moins les jeunes de votre âge. Même si c’est votre anniversaire. Me suis-je bien fait comprendre, jeune fille ?

— Oui, mère, répondis-je en baissant la tête.

— Tenez-vous droite et relevez la tête ! Je ne me répéterais pas.


Je fis ce qu’elle me dit, retenant mes larmes. Ni ma mère ni la domestique ne devaient les voir. Ma mère n’aurait cessé de me rappeler que je n’étais qu’une fille stupide et faible. Je me devais de lui montrer qu’elle avait tort. Je n’étais pas faible.

Dès que ma domestique eut terminé, je me levais, respirais un bon coup pour chasser l’envie de pleurer, relevais les épaules et la tête. Me voilà prête à affronter une foule d’inconnu dont j’avais l’interdiction d’approcher. Plus j’avançais en direction de la Salle de Bal, plus la musique se faisait forte. En entrant, je fus submergé par le monde. Du haut de mon mètre trente-six, les adultes présents me semblaient être des géants. J’avais l’impression d’être écrasé par autant de monde, affaissant mes épaules.

Mais ma mère m’aperçut et le remarqua aussitôt. Elle s’approcha de moi et posa sa main dans mon dos, m’incitant à me redresser. Elle me poussa ensuite pour me présenter. Selon elle, c’étaient des gouverneurs et leurs femmes, mais j’étais incapable de mettre une définition sur le mot de gouverneur. Les présentations me parurent interminables.

Quand elle me libéra enfin, je partis m’asseoir dans un coin de la salle, sur la table qui m’était réservée. C’était mon anniversaire, mais c’était ma mère, la vedette de la soirée, comme à chaque fois. Une dizaine de minutes plus tard, une jeune fille brune, d’environ mon âge, vint s’asseoir à côté de moi.


— C’est toi la Princesse ?

— Oui.

— Donc c’est ton anniversaire ?

— Oui.


Je n’avais tellement pas l’habitude de parler à quelqu’un d’autre, que je ne savais même pas quoi dire. Incapable de la regarder, je baissais les yeux et jouais avec mes doigts.


— Tu vois l’homme qui discute avec l’impératrice ? reprit la jeune fille plus à l’aise. Bah, c’est mon papa !

— Oh.

— Alors ça fait quoi d’être Princesse ?

— Et bien… je ne sais pas…

— Elena !


Quand j’entendis ma mère crier mon nom, tous les regards se tournèrent vers elle, y compris le mien. En la voyant arriver dans ma direction, furieuse, je savais que je n’allais pas aimer la suite. Je me levais, à en faire tomber ma chaise, soufflais discrètement à ma voisine de partir et reculais jusqu’à me faire arrêter par le mur. J’avalais difficilement ma salive et levais les yeux. Elle était juste devant moi, je pouvais sentir son souffle dans mes cheveux. Je serais les poings, mes ongles s’enfonçaient dans ma paume.


— Ex… excusez-moi mère, commençais-je difficilement en retenant mes larmes de terreur.

— J’en ai assez de vos excuses, jeune fille ! s’énerve-t-elle en me giflant.


Cette fois-ci, je ne pus retenir mes larmes, ma joue me brûlait et j’avais envie de courir, de m’enfuir le plus loin possible de ma mère, de cette pièce et surtout du château tout entier. Mais je n’avais que dix ans, je n’étais rien. Il y avait plus d’une trentaine de personnes et aucune d’entre elles ne pouvait me venir en aide. Tout ça parce que ma mère était l’impératrice.


— Vous me faites honte, Elena. Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans un ordre aussi simple que ne parler à personne ?

— Ce n’est pas…

— Ça suffit ! enchaîna-t-elle en me giflant à nouveau. Vous ai-je donné l’autorisation de parler ?

— N… non, répondis-je en avalant ma salive.

— Dans votre chambre, tout de suite !


J’avais enfin l’occasion de courir loin d’elle et je ne me fis pas prier. En deux temps, trois mouvements, je courus aussi vite que possible pour m’enfermer dans ma chambre et pleurer. Ma mère me terrifiait et je ne pouvais le dire à personne. Personne ne me croirait de toute façon.

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