Chapitre 12

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Des larmes coulaient en silence sur mes joues avant de continuer leur chemin dans mon cou. Je n’osais pas ouvrir les yeux, j’avais trop peur de me rendre compte que neuf ans après, ma mère me terrifiait toujours autant. Alors que je reniflais, j’entendis bouger derrière moi. J’en avais oublié que je n’étais pas seule. Je finis par ouvrir les yeux, mais ma vision était trouble. Lentement, je me redressais dans mon lit et me frottais les yeux pour sécher mes larmes.


— Ça ne va pas ? Océane me fit sursauter.

— Si, tout va bien.

— Tu peux me parler tu sais, enchaîna-t-elle en venant s’asseoir sur mon lit, à mes pieds.

— Ce n’est rien, vraiment.


Je repoussais la couverture et me dirigeais vers ma salle de bain. Je ne voulais pas qu’elle me voie pleurer. Pas alors que j’avais entendu ses hurlements. Une fois seules, mes larmes coulèrent de plus belle.


— Je peux entrer ? m’interrogea Océane derrière la porte.

— Oui, lui répondis-je après avoir séché mes larmes.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?


Elle vint s’asseoir devant moi et prit mes mains dans les siennes. Elles étaient très douces et il n’y avait aucune cicatrice, contrairement à ses avant-bras,


— Pourquoi… elle t’a fait ça ?

— Ce serait trop long à t’expliquer pour le moment.

— S’il te plaît ! J’ai besoin de comprendre. De comprendre pourquoi personne n’est jamais venu me sauver d’elle.

— Ce soir-là, j’ai vu dans ton regard à quel point ta mère te terrorise et ton attitude me l’a tout de suite confirmée. L’Empire tout entier est terrorisé par l’impératrice, tout comme toi. Ta mère est une dictatrice, Elena. Ta mère tue de sang-froid tout ceux qui la contredise. Si tu n’étais pas intervenue, je serais morte à l’heure qu’il est.


À la façon dont elle expliquait ça, ce qu’il se passait dehors était bien pire que ce que j’avais pu imaginer. Si elle avait voulu exécuter Océane, c’est qu’elle avait dû la défier, elle aussi.


— Sa dictature ? Excuse-moi Océane, mais je ne comprends rien à ce que tu me dis.

— Tu as eu des cours d’histoire ?

— Jamais.

— C’est plus compliqué que je ne le pensais. Au sein de l’Empire dont tu vas hériter en devenant Impératrice à ton tour, ta mère exerce une dictature. Tu vois toutes les contraintes qu’elle t’impose ? Que ce soit le couvre-feu ou l’absence de cours d’histoire.

— Je vois très bien, soupirais-je.


Je comprenais mieux maintenant pourquoi personne ne m’était venu en aide même quand ma mère était violente avec moi en public.


— Et bien, l’Empire entier, ses habitants ont aussi des contraintes comme l’interdiction de s’opposer à l’Impératrice. Qu’on soit à l’extérieur ou à l’intérieur de ce château, que ce soit toi ou moi, nous sommes tous sous le contrôle de ta mère.

— Alors c’est bien à cause d’elle que le monde extérieur est dangereux ?

— Oui. Et il est temps que ça change, qu’importe la manière. Tu comprends ?

— Oui.

— Maintenant que je suis libre et qu’on est en contact, je vais tout faire pour trouver le moyen de te sortir de là. Je t’en fais la promesse.

— Pourquoi… pourquoi es-tu si gentille avec moi ?

— Tu m’as sauvé la vie, je te dois bien ça.

— Merci alors.

— Tu n’as pas besoin de me remercier, c’est normal.


Elle se rapprocha de moi et me serra dans ses bras. Mon nez était dans son cou, son odeur m’enivra, un mélange de rose et de pêche.


— Pleure autant que tu veux, je suis là.

— Je n’en peux plus, Océane. C’est trop dur de faire semblant que tout va bien. J’étouffe ici et…

— Je sais, je sais.


Je restais pendant plusieurs heures dans les bras d’Océane, en larmes. Ceux qui s’étaient accumulé toutes ses années et que je n’arrivais aujourd’hui plus à retenir. Toutes ses émotions que j’avais enfuie au fond de moi pendant dix-neuf ans était remonté d’un coup, à l’arrivé d’Océane.

Quand je réussis à reprendre le contrôle de mes émotions, on retourna dans la chambre. On comprit seulement à ce moment-là que la porte de la chambre était déjà déverrouillée. Elle était même entrouverte.


— Pas sûr que ce soit normal, ça, constata Océane.

— Non mais je ne vais pas m’en plaindre. Tu va rentrer chez toi du coup ?

— Oui. Je ne veux pas recroiser ta mère. Mais je vais te laisser mon adresse. Comme ça tu pourras soit venir me voir, soit m’envoyer une lettre. Surtout, n’hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit.

— Merci.


Elle attrapa un stylo et écrivit sur un bout de papier avant de m’embrasser sur la joue et de sortir sans ce que je puisse ajouter quoi que ce soit. Elle était la première à le faire si on ne comptait pas Emma. Je sentis mes joues s’enflammer et déglutie. Par chance, elle n’était plus dans la chambre. Pourquoi réagissais-je ainsi face à Océane ? Pourquoi fallait-il que ce soit la première inconnue que je croise qui fasse preuve d’autant de gentillesse et de compréhension envers moi ? Pourquoi fallait-il que je sauve la vie de justesse à celle qui m’ouvrirait enfin les yeux ? La veille, ma mère avait changer trois fois en quelques minutes. Elle était passé de la mère que j’avais toujours connu, à celle du pique-nique avant de devenir le monstre qui m’avait enfermée dans cette cellule.

Après le départ d’Océane et comprenant qu’Emma n’allait pas arriver, je m’habillais d’une robe simple, me coiffais d’une simple queue-de-cheval. Je partie ensuite prendre mon petit déjeuner, mais ma mère non plus, n’était pas là. Elle arriva cinq minutes après moi, fit le tour de la table et m’embrassa, me prenant par surprise.


— Bonjour ma grande. Bien dormis ?

— Heu… oui. Bonjour à vous aussi mère.

— Tu veux bien arrêter de me vouvoyer ? Je sais que je t’ai dit le contraire, mais aujourd’hui c’est différent.

— D’accord.

— Dis-moi, Océane est rentrée chez elle.

— Il y a dix minutes, oui.

— Bonne nouvelle.

— Heu…mère…

— Mon comportement doit te paraitre étrange, je suppose.

— En effet.

— Je tenais à m’excuser pour ce qu’il s’est passé hier. Je n’étais pas moi-même et… tu sais quoi, prends la clé de la bibliothèque. Tu auras la réponse à toutes tes questions.


Elle retira la chaîne autour de son coup et la posa dans ma main. Cette clé qui m’avait toujours été refusée m’appartenait enfin. Cette clé en or était l’un des symboles de mon isolement. Elle était celui de mon ignorance, de mon éloignement à la vie au dehors des murailles du château. Perplexe, je ne sus quoi dire jusqu’à l’arrivée d’Emma.


— Excusez-moi pour le retard. Je…

— Emma !


Ma mère se leva et la prit dans ses bras, nous surprenant toutes les deux. Elle l’invita même à se joindre à nous. Emma me regarda un instant, aussi perdue que moi avant de s’asseoir à table, en face de moi.


— Comment va ta mère ? Ça fait bien longtemps que je n’ai pas eu de ses nouvelles.

— Elle va bien. Malgré tout le travail qu’elle a à la maison.

— Prends ta journée et va la voir. Tu lui transmettras mes salutations.

— D’accord. Merci, Votre Majesté l’Impératrice.


En souriant, Emma quitta la Grande Salle, prête à profiter de son jour de congé. Le sourire sur le visage d’Emma illumina mon visage. Visiblement, ce qu’il s’était passé hier, ma rébellion avait réveillé en elle, la femme, la mère. Celle qui avait un cœur, celle que j’avais désespérément chercher toute ses années.


— D’ailleurs, que tout le monde rentre chez soi. Je ne veux plus voir personne d’ici une heure.

— Mais, Votre Majesté… s’étonna un soldat.

— Il en va de même pour tous les soldats. Dépêchez-vous.

— Tout de suite, Votre Majesté l’impératrice.

— Elena récupère ton diadème, on sort. Mais il va falloir changer de coiffure. Retrouvez-moi dans ma chambre, termina-t-elle en souriant.


Ce sourire sur ses lèvres était incroyable. Au point que moi aussi, je me mis à sourire. Sans chercher à en savoir plus, je me dépêchais d’aller dans ma chambre, de changer de robe et de retrouver ma mère dans la sienne, mon diadème dans la main. Elle avait revêtu une robe verte magnifique. Elle qui n’avait jamais mis de couleur, ça lui allait à merveille. Elle m’invita à m’asseoir devant le miroir. Elle détacha mes cheveux et commença ma coiffure.


— Je ne te l’ai jamais dit, chérie, et je le regrette, mais je t’aime.


Les deux mots que j’avais toujours attendu avait enfin dépasser le bout des lèvres de ma mère. Ils étaient enfin prononcés. Cette vague de bonheurs, cette légèreté qui venait de m’envahir était incroyable. A la fois douce et lumineuse. Je voyais enfin la lumière au bout du tunnel. Ce tunnel de l’enfer dans lequel j’avais été bloquée toute ma vie.


— Je regrette de t’avoir fait souffrir. Je n’ai pas été la mère que j’aurais voulu être et j’en suis désolée. J’espère que tu ne commettras pas les mêmes erreurs que moi, avec tes enfants.


Je relevais les yeux et vis des larmes dans les siens. Elle n’était plus celle que j’avais toujours connue. Elle était redevenue celle que j’avais rencontré le jour du pique-nique. Quand elle a eu fini de me coiffer, je me levais et la pris dans mes bras.


— Moi aussi je t’aime, maman. Malgré tout, tu restes ma mère.

— Merci chérie. On va en ville, ça te tente ?

— Évidemment !


Le sourire sur mon visage ne fut jamais aussi grand que maintenant. J’allais enfin pouvoir sortir de cette prison, au côté de ma mère. Elle glissa sa main dans la mienne et on sortit du château. On marcha jusqu’à un hangar que je ne connaissais pas. Elle retira un drap et je pus découvrir une toute petite voiture orange.


— Tu as devant toi ma toute première voiture. Celle avec laquelle j’ai appris à conduire. Je l’avais avant de rencontrer ton père. J’espère qu’elle roule encore. Assis-toi, je vais mettre un peu d’essence.

— Derrière ?

— Mais non, idiote, ricana-t-elle. À l’avant. C’est moi qui conduis.


L’écoutant, je m’installais côté passager. À l’intérieur, je pus découvrir ma mère, jeune. Des dizaines de CD du même artiste, une photo de mes parents quand je devais ne pas encore être née et pleine de boites de gâteaux vides. Quand ma mère s’installa, elle rigola en voyant le carnage.


— Oups. Je passais plus de temps dans ma voiture que chez moi avant mon mariage avec ton père. Prête à aller te promener ?

— Bien sûr.


Elle tenta de démarrer la voiture et réussi après deux essaie. Elle roula pendant une trentaine de minutes, pendant que j’observais le paysage. Il y avait des arbres à perte de vue. La forêt du château devait s’étendre à travers les murailles et entourer la bâtisse.


— Chérie, en ville tu comprendras vite, mais personne ne m’aime. Ils ont même peur de moi. Ce qui est normal après tout ce que j’ai fait. Mais aujourd’hui, ce qui m’importe, c’est toi et non eux.


Quand on arriva enfin en ville, elle continua jusqu’à un immeuble en piteux état. Pourtant, il était mieux entretenu que les restes des bâtiments que j’avais pu voir. On monta jusqu’au troisième étage pour entre dans un minuscule appartement.


— Bienvenue chez moi. J’habitais là avant ton père. Tout est en état, c’est incroyable.


Je pris le temps de tout explorer. Il n’y avait que deux pièces, mais beaucoup de photos de famille. Ma mère et surement ses parents. Cet appartement était celui d’une jeune femme, tout juste entrée dans la vie adulte.


— On bouge ? Je nous ai prévu plusieurs activités.

— D’accord.


J’observais alors ma mère regarder une dernière fois l’appartement, le regard nostalgique. Elle reposa délicatement une photo. Ce geste délicat qui était nouveau pour elle. Ce geste qui effaçait tous ce qu’elle avait pu me faire. Ce geste qui me faisait avoir confiance en elle, pour que je lui donne une seconde chance. Pour que je lui laisse la possibilité de devenir la mère qu’elle aurait voulu être mais surtout celle que j’aurais voulu avoir.

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