Chapitre 3

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Ce jour-là il pleuvait quand je lui ai annoncé.

Nous nous étions rendus sur la tombe de papa.

Lavande, était bien plus qu’une sœur, elle était ma vie, ma mère de substitution… Pourtant depuis son retour elle présentait tant de failles qu’elle n’était plus que l’ombre de ce qu’elle fut jadis.

Nous avions pris la vieille bicoque héritée de notre paternel, Lavande conduisait.

Les années avaient passé, près d’une dizaine. J’avais mûri, pris en taille comme en pensée. Elle avait pris en sagesse mais surtout en poids de la vie… Elle déprimait.

Pourtant, celle qui partageait mon sang n’en restait pas moins la magnifique femme qui m’avait élevé. C’est comme si son image n’avait pas changé. Elle était certes plus athlétique, par l’entraînement qu’elle avait dû subir à Yuan-Ming, et plus maigre, par sa dépression soudaine… Mais à bien y regarder, elle avait gardé son charme, sa prestance inégalable, son aura d’ailleurs qui faisait chavirer tant d’hommes… Au point que je ne comptais plus les prétendants. J’avais beau la dépasser de taille, elle n’en restait pas moins grande pour une femme. Ses sourcils, droit, pralinés et froncés au naturel lui fournissaient un regard intimidant… Bien que la douceur de ses iris noisette, subtilement accordée à la couleur de sa crinière, emplisse mon cœur d’aménité. Ce jour-là, je m’en souviens, elle avait détaché sa cascade de praline qui tombait jusqu’au creux de ses reins.

Nous partageons la même couleur de peau, entre le dorer et le caramel, que nous ne devions pas à notre pâle père… Peut-être plutôt à celles qui nous enfantèrent, même si elles n’étaient guère les mêmes. Nous n’étions pas les enfants d’amours, mais nos âmes étaient sensibles… Nous nous ressemblons, mais elle était bien plus tenace.

Avant qu’elle ne revienne à la maison, je ne l’avais jamais vu pleurer. Quelqu’un, quelque chose… L’avait brisé à Wengchao, elle ne voulait pas m’en parler.

Comment l’annoncer alors ?

La tombe était devant eux. Un casier. Dans une rangée d’autres multitudes de défunts.

Sur ce bloc de métal était inscrit un numéro : 278 123 476. À l’intérieur quelques cendres, un mélange de celles du concerné et de ceux qui avaient partagé l’incinérateur ce jour-ci.

Espoir se tourna vers Lavande, il aperçut une mine penaude. Ses lèvres tombaient dans une décroissance mélancolique… Ses yeux, à moitiés fermées, retenaient quelques gouttes, pendant que celles libérées déferlaient silencieusement le long de ses creuses joues.

Il voulut un instant la prendre dans ses bras, lui servir d’épaule sur laquelle se reposait mais… Il n’en avait pas la force, encore moins aujourd’hui. Il se doutait qu’il la briserait davantage quand ils partiraient.

Le doigt de sa sœur effleura le numéro inscrit sur le casier.

— Tu porteras haut ce 278 Espoir ?

Il marqua un silence confus. Que voulait-elle lui dire par là ? Pourquoi parler seulement de lui ?

— Toi aussi Lavande…

Put-il simplement lui répondre, en attendant qu’elle daigne s’expliquer.

— Ce n’est pas moi qui aie l’ambition, elle a disparu.

— Bon sang Lav’, dit moi, pourquoi t’es comme ça depuis ton retour ? Tu étais si joyeuse avant !

S’exclama-t-il, un flot lui monta, la gorge se serra, il n’avait pas l’habitude de dévoiler ses émotions, mais la tornade emporta toute retenue. La sœur l’observa, impassible.

— Tu étais celle qui ravivait les flammes ! Dont le simple sourire pouvait changer la façon de voir le monde ! Tu m’as guidé à travers cette joie de vivre, de la découverte, cet optimisme débordant ! Ta pureté, presque naïve, c’est ça que j’admirai ! Alors… Comment peux-tu être devenu celle que tu es aujourd’hui ?

— C’est bien ça le problème Espoir. Je ne sais pas. Je ne me souviens plus.

Sa voix s’était brisée sur la fin. Elle avait de nature une tonalité cassée, mais cette brisure-là présentait une fissure plus profonde. De toutes les réponses possibles à l’interrogation du jeune homme, ce fut la moins envisageable.

— Comment ne te souviens-tu plus ? Tu te fiches de moi ?

Lavande haussa fébrilement ses épaules, incapable de formuler des mots. Alors, dans un courage soudain, Espoir annonça :

— Je… Je vais partir.

Trois mots, il n’en fallait que trois. Ce qu’il vit alors, ce fut le déchirement d’une âme, d’une vie. Je venais de lui annoncer la mort. Oui, je partais. Je le devais. Comme elle me l'avait dit, j’étais ambitieux…

Je l’attrapai avant qu’elle ne s’écroule, je n’entendais même plus ses sanglots, mon regard était juste absorbé par la tombe de papa. Entre ses pleurs, je put néanmoins discerner une syllabe ; elle me demandait “où”.

Je lui ai alors répondu ce qu’elle redoutait. Je partais moi aussi à Wengchao Cheng, pour travailler à Yuan-Ming. Un poste qui ne pouvait pas se refuser. Une équipe d’ingénieurs quantiques cherchait un apprenti pour travailler sur de merveilleux projets qui promettaient l’épanouissement. Ils avaient jeté leur dévolu sur moi, après une batterie d'entretien dont je ne tenais même plus le compte.

Je l’avais achevée, elle avait passé le reste de la soirée à l’Oeil de la Vallée, aux urgences cliniques.

Dans un sommeil artificiel, il l’avait entubé dans une cuve thermique, le temps qu’elle récupère de ce qu’ils m’avaient décrit comme étant un Takotsubo, la maladie du cœur brisé.

Ce que je regrette le plus dans ma vie ? De n’avoir pu lui dire au revoir, je m’en allai le lendemain matin, sans pouvoir lui adresser ne serait-ce qu’un signe.

Je l’ai abandonnée à New Valley… Comme elle le fit jadis.

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