Chapitre 5 - Partie 1

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Wángcháo Chéng, où depuis plusieurs années le soleil ne se lève jamais.

Espoir traverse les rues de la ville, éclairées par de grands tubes luminescents parcourant chaque quartier, chaque route.

Ce qui l’avait frappé en premier, c’était la différence de propreté, des habits, des coutumes, du sentiment de sécurité… ici il était loin de la peur de mourir à chaque coin de New Valley.

Cependant ce n’était que dans les endroits où il se rendait qu’il pouvait trouver pareille tranquillité, les alentours de la gigantesque tour des Yuan-Ming, où des millions de travailleurs fourmillaient dans des costumes aux couleurs classiques chaque jour.

Il était dur de s’habituer à l’obscurité éternelle de ces lieux. En se renseignant, il avait appris qu’il y a quelques décennies, la ville était éclairée par le Soleil pendant six mois puis l’autre moitié par la Lune. Aujourd’hui il fallait une abondante consommation électrique, surtout du côté de Y-M-Piàn… car la richesse des lieux n’était que poudre aux yeux face à l’extrême pauvreté de la banlieue Wangchaogienne.

Il en avait vu, quand il était sur le trajet de l’hyperloop, en provenance de NV. Pitoyable, c’était le mot, à côté Junt Acre était une utopie. Ces banlieues étaient nommées zones cargos, il n’était pas difficile de comprendre pourquoi : les habitations n’étaient que des containers rouillés et rafistolés, entassés les uns sur les autres comme inspirés par le jeu Tetris. Dedans y vivaient des familles entières se réchauffant par des feux créés par ci et là, avec de maigres brindilles trouvées dans les environs.

Pourtant, comme pour les narguer, pour rappeler à ces gens la différence de vie, la différence de statut d’humain, le building des Ming les surplombait, il était si grand, si large, si luminescent, qu’il les éclairait à longueur de temps, et cela malgré les kilomètres qui pouvait les séparer. Espoir avait même fini par tourner la tête, gêné par sa soudaine richesse vis-à-vis de cette population.

Cela faisait maintenant deux semaines qu’il avait commencé son travail. Il avait essayé de contacter Lavande à maintes reprises, mais elle était déterminée à lui faire la tête. Il en était touché, mais il savait qu’elle finirait par craquer.

Dans son plus beau costume, fraîchement acheté avant-hier avec son premier versement de salaire, Espoir se rendait à pied au building des Ming. Il avait l’étrange impression de traverser des quartiers remplis de clones. Ils avaient tous une mallette, un costard, une cravate, la mine sérieuse, concentrée, voire dépressive parfois. Lui était au milieu, émerveillé par ce nouveau monde, à soulever la tête en l’air… il avait cette étrange impression d’être le seul à remarquer les lumières au-dessus d’eux… puis en voyant ce ciel sans étoiles, il se souvint que la beauté de ces endroits n’était qu’artificiels, c’est ce que Lavande lui répétait inlassablement, en vain, car lui y trouvait une magnificence dans la création, que l’homme parvienne à gratter les cieux, à maîtriser l’énergie pour la condenser, la transformer, en faire des couleurs, des holographies...

Certes le ciel ressemblait bien plus à un écran diffusant un message publicitaire aux risques d'épilepsie qu’à une nuit étoilée… mais c’était plus stimulant. Il ne s’imaginait pas devoir subir la nuit éternelle de Wángcháo Chéng en n’ayant pour vision verticale que quelques éclats blancs sur un fond ébène.

Bienvenue chez Yuan Ming Corporation, Espoir 278 222 308.

Le jeune homme retira sa main de la borne et passa les portiques. Il y avait, en lui, cet émerveillement constant face à la stature des lieux. Quand il entrait dans cette tour, il était accueilli par le passé et l’avenir, les décors somptueux rappelant l’Extrême Orient de l’Ex-Monde, notamment les multiples véritables bambous qui longeaient les murs, les écritures étrangères à Espoir, ces sinogrammes, qui n’étaient utilisés que dans les dynasties les plus nobles, pour se distinguer de la masse, perpétuer les traditions, conserver les plus grands secrets de son héritage. Pour la construction de l’immeuble, il fallut risquer la vie de milliers de personnes, les envoyant récupérer des matériaux que l’on ne pouvait plus produire sur d’anciennes constructions et autres objets de l’Ex-Monde. Beaucoup avaient péri face aux conditions climatiques désastreuses, aux radiations bien trop élevées en sievert, certaines zones atteignant les six. Malgré les équipements, il suffisait d’une faille dans la sécurité, souvent causée par un cahier des charges bien trop demandeur, pour que l'irrévocable se produise.

Espoir leva la tête, essayant de s’imaginer combien de mètres le séparait du plafond, où y était peint une fresque, d’un bout à l’autre, présentant la mère fondatrice des Yuan Ming, elle n’avait pas, ou plus, de nom, elle était devenue sacré, surtout à Wángcháo Chéng. Certains des plus cartésiens, en secret, refusaient même son existence, théorisant sur le fait qu’elle ne soit qu’une figure de propagande de la mégacorporation.

Une fois arrivé dans l’un des dix-huit ascenseurs du hall principal, il fut accueilli par un hologramme,

Bonjour 278 222 308, quel étage aujourd’hui ?

Pour une intelligence artificielle, il la trouvait fort réussie, chaque journée elle se souvenait du moindre détail, l'enregistrer… Avez-vous réussi à avoir votre soeur finalement ?

S’occupant des inquiétudes des employés, elle offrait un lien fort, une compassion… Peut-être vous pardonnera-t-elle, d’après votre description, il s’agit d’une sympathique jeune femme…

Des fois même, il apercevait ce qu’il s’amusait à imaginer comme de l’émotion.

J’aimerais pouvoir vous aider 278 222 308, laissez-moi au moins vous préparer un café chaud, sur votre bureau, pour votre arrivée.

Il comprenait très bien que tout ceci n’était qu’algorithme extrêmement complexe, après tout c’était de son domaine, néanmoins il n’avait jamais eu l’occasion de travailler dessus ou même d’en voir le code. Il savait aussi pourquoi Yuan-Ming tenait tant à ce qu’elle soit des plus réelles, des plus attachantes, car oui, en dehors de son efficacité hors normes, elle présentait une personnalité, des atouts charmes, l’envie de lui discuter… elle comme les autres IA. Grâce à cela, la mégacorporation donnait l’envie à ses employés de rester, car en dehors de cette tour, il ne pourrait plus les voir.

C’est malgré un esprit orthodoxe, capable de faire la part entre le réel et l’informatique, qu’Espoir s’était à son tour attaché à cette présence qui n’en était pas une. Il avait même demandé à être uniquement servi par Meï.

Passez une agréable journée, monsieur 278.

Espoir lui glissa un dernier sourire, fila à travers le couloir, pendant que l’IA l’observait, avec curiosité, il ne put le percevoir, le dos tourné, mais elle le lui rendit, ravivant son visage de neutralité robotique, de satin holographique.

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