Chapitre 8 - Partie 4

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Ittoqqortoormiit -de son nom de l’Ex-monde- : “grande maison” dans la langue Groenlandaise. Ce fut le ressenti de Lavande quand elle descendit du Nomadebyen pour rallier la ville. L’endroit lui paraissait ridiculement petit en comparaison avec les mégalopoles qu’elle côtoyait il y a encore quelques jours de cela. Cependant il y avait un charme, une sorte d’âme accueillante, qui donnait du sens à la “maison”. Pour le “grande”, l’amoncellement des pittoresques et colorés bâtisses aussi vieilles que les rochers érodés de la côte les unes à côté des autres donnaient une impression d’une uniformité arc-en-ciel. Elle n’avait jamais vu une architecture comme celle-ci. Au milieu des roches et du sable se dressait des abris de bois dont les peintures n’avaient rien à envier aux délires psychédéliques après la prise d’un dérouteur. Par ailleurs, le toit en V, la surélévation par rapport au sol… et même la présence d’une antre à bois, nommée “cheminée” par les historiens… tout cela rappelait la présence d’eau glacée il y a des décennies. Lavande s’imaginait, à l’intérieur de l’une de ces maisons, devant un feu, à observer des cotons tomber du ciel par la fenêtre.

Deux jours qu’ils stationnaient au port d’Itto… enfin “port”, la stip’ y voyait là plutôt un ponton en acier un peu plus long que la moyenne. Pas de conteneurs, pas de grues… quelques pêcheurs cependant. Elle était impressionnée par leur capacité à sortir des poissons frais de l’eau d’une clarté sans pareille. Seulement une dizaine de personnes vivaient ici à plein temps, tous marins. Ils s’occupaient de maintenir les lieux en l’état pour les Nomadebyen, qui n’avait rien trouvé de mieux en nom que celui de leur propre vaisseau. L’esprit de la stip’ emmagasiné tout un tas d’informations, sans en retenir beaucoup, le fonctionnement exact de cette secte -comme elle s’obsédait à les nommer- lui était d’une obscurité aussi sombre que le regard d’Ulysse.

Ils devaient partir aujourd’hui, à bord d’un bateau, direction l’Islande. Melys était venue la chercher, elle ne pouvait pas encore se déplacer sur de trop grandes distances seule. Les deux femmes discutèrent le long du trajet, la présence de la médecin avait quelque chose de réconfortant pour la stip’... tout lui paraissait plus paisible ici, elle n’était pas constamment agressée de néons, de pubs, d’odeurs et d’autres rats de mégalopoles. La nature environnante suintait la mort, mise à part les quelques fougères sèches roulantes. Pourtant Lavande trouvait en ces lieux le réconfort d’un ailleurs, d’une autre vie.

— Tu te sens vraiment prête à partir ? Tout laisser derrière toi ? lui demanda Melys, alors qu’une brise d’air chaud lui projeta quelques grains de sable dans la figure.

— Plus que jamais.

— Et… ton frère ?

— Je dois apprendre à vivre avec sa mort. Cela commence par partir loin, loin de tout ça.

La berge avait accueilli un rafiot de taille moyenne, Lavande s’attendait à un truc qui flotte à peine mais force était de constater que, malgré l’engin vieillot, il paraissait être choyé.

Lavande avait une sensation tout à fait étrange depuis son arrivée à Itto, voire même avant. Elle s’imaginait avoir un mal fou à partir, à tout plaquer. C’était un virage drastique dans sa vie et, de plus, elle savait au fond d’elle qu’un maigre espoir de retrouver son frère subsistait. Seulement elle se trouvait là, devant le navire, prête à s’en aller… sans aucun regret, une presque soif de disparaître du “Monde”, se découvrir ailleurs, laisser l’ancienne elle pourrir à NV et venir muter en Islande, se développer hors de sa chrysalide pour déployer ses ailes. Une étincelle de vie sommeillait en elle, pas une dictée par un circuit imprimé, plus un courant inattendu, un condensateur qui explose, un arc électrique en devenir.

Accompagnée de Melys, elle grimpa sur le navire, où elle fut accueillie par Ulysse. Lavande eut une courte impression qu’un maigre sourire avait parcouru le visage de ce dernier quand la médecin vint à sa suite. Des détails qu’elle aurait trouvé jadis d’une inutilité profonde, mais son nihilisme ambiant post-Wangchao disparaissait peu à peu. Des hamacs dans la cale en guise de nid douillet, elle n’en demandait pas plus. Elle y installa ses maigres affaires fourni par Melys et d’autres nanas du Nomadebyen puis se laissa tenter par un petit somme dans sa couchette, un doux sourire aux lèvres.

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