Chapitre 9 - Partie 2

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Lavande enfila le masque à gaz qu’on lui avait fourni. Mieux valait il éviter de respirer l’air de Reykjavik. Durant l’accostage au quai, Melys indiquait ce qu’il fallait et ce qu’il ne fallait pas faire une fois sur terre. Non pas que l’air était irrespirable, mais, pour assurer la nourriture au sein de la ville, de gigantesques turbines tout au Nord projetaient des amas de pollens recombinés dans l’espoir de polliniser les maigres potagers répartis ci et là des campements. Du nom de ville, Reykjavik n’en possédait que l’origine et les ombres de quelques bâtiments en ruines qui s’écroulaient tour à tour au fur et à mesure que le temps passait. Pour se nourrir, ils comptaient surtout sur la pêche, la mer restait abondante en faune sur les côtes d’Islande, ce qui n’était plus le cas du côté du “Monde” où la surexploitation avait eu raison de l’écosystème marin. Peu importe, là-bas les technologies de recompositions cellulaires suffisaient à nourrir les citoyens, et à enrichir les plus grosses entreprises ayant évidemment la mainmise sur l’industrie agroalimentaire… À NV on mangeait Hexa, on dormait Hexa, on vivait Hexa.

Loin de ce tumulte libertarien, ceux qui se nommaient Exilés, produisaient et récoltaient, de manière à peine suffisante pour subvenir aux besoins de tous. La seule recomposition qu’ils se permettaient, non pas par philosophie mais par coût, se trouvaient être le responsable de la couleur jaunâtre ambiante de l’endroit, si Lavande retirait son masque elle ne tarderait pas à découvrir l’effet de l’asphyxie par pollinisation de ses bronches selon Melys. Pourtant loin de l’extrême Nord de la ville, la stip’ put voir les gargantuesques turbines à pollens. Ils arrivèrent à terre et s’occupèrent de décharger le navire, la médecin ordonna à Lavande de la suivre, ils communiquaient tous par signes, le bruit du port, le son cacophonique des turbines… S’entendre sans hurler relevait de l’impossible en ces lieux.

La stip’ se demandait bien comment ils pouvaient vivre dans de telles conditions. Elle frissonnait d’avance à l’idée de rester des années au milieu de gamétophytes mâles et concerts d’hélices immenses. Elle rejoignit un véhicule, plutôt ancien, il ressemblait à un HexaBus, sans le côté électrique de la chose, il vibrait quand le conducteur le fit démarrer et ajouta encore du bruit au brouhaha ambiant. Melys discuta un temps avec le chauffeur et rejoignit Lavande qui s’était trouvé une place au fond.

La stip’ apprécierait de pouvoir retirer ce foutu masque qui commençait à lui lacérer la peau avec la sueur. La chaleur étouffante s’ajoutait à cette impression d’asphyxie ambiante. Pendant un moment, elle se demandait pourquoi les Exilés n’avaient pas fait le choix de s’installer à Itto… plus chaleureux.

Elle pensait que les Exilés choisiraient de s’installer dans les vieilles ruines les plus solides, mais, à son grand étonnement, des campements sommaires parsemaient la ville. Des simples tentes, un grand panneau munit de ce qui devait être le code de l’endroit “A3”, “R4”... puis quelque chose de plus curieux, laissant la stip’ pantoise : au milieu des habitats de tissus se trouvait, à chaque campement, une sorte de tube en ciment à taille humaine, dont le sommet était recouvert d’une plaque amovible.

Lavande ne tarda pas à découvrir l’utilité de ces derniers ; le bus s’arrêta devant le campement “J9” et de suite les premiers à descendre allèrent retirer cette plaque. La stip’ prit ses affaires et suivit Melys vers le trou où une échelle les attendait. Elle renauda à l’idée de descendre sur les barres avec une jambe à peine mobile, mais il n’y avait pas vraiment d’autres alternatives ; elle se résigna à devoir un peu plus se servir de ses bras.

Alors les Exilés ne vivaient pas à la surface, voilà qui était rassurant car elle ne se voyait pas vivre avec ce masque sur la face et l’étouffante ambiance de la nouvelle Reykjavik. Plus Lavande descendait en profondeur, plus elle découvrait de quoi il en retournait vraiment. Elle ne savait pas quand ni comment ils avaient pu faire une chose pareille, mais tout autour se dévoilait une immense grotte où une ville éclairée se trouvait à la plus basse altitude. L’échelle devait bien faire une centaine de mètres, par ailleurs elle aperçut au loin d’autres, correspondant sans doute aux autres campements à la surface. Lavande s’enfonça encore un peu plus et pu voir plus en détail l’habitat des Exilés. De loin, elle aurait juré voir une NV enfoncée dans une mine, mais de plus proche il n’en était rien. La ville ne possédait pas les néons agressifs et les publicités envahissantes en guise d’éclairage ; il s’agissait juste d’honnête lampadaire, comme dans ces livres sur l’Ex-Monde. Alors les rues ne dégueulaient pas toutes sortes de couleurs, elles étaient monochromes, sans pour autant en être déprimante à la Wangchao. De plus, elle ne comptait aucun gratte-ciel, ni si gros bâtiment… énormément de maisons dans le style des banlieues de NV, sans ce côté artificiel. Il y avait même des bâtisses creusées directement dans la roche aux extrémités de la ville et au centre un grand édifice de marbre au style gothique. C’était tout de même un joyeux bordel digne d’un architecte fou, mais pourtant un côté chaleureux se dégageait de cette cité qui ne voyait jamais la lumière du jour…

Quand enfin elle mit pied à terre, elle souffla un bon coup, l’entrée lui paraissait bien dangereuse… avant même qu’elle ne puisse questionner Melys sur la question, cette dernière lui répondit,

“ Je sais, désolé pour la descente manuelle, les Ascensions ne fonctionnent plus depuis deux jours on m’a dit, surconsommation énergétique, c’est qu’on reçoit pas mal de monde en plus ces temps-ci et l’électricité n’est pas en abondance.

— Comment alimentez-vous le réseau ?

— Géothermie, une technique abandonnée dans l’Ex-Monde, mais très utilisée par l’Islande à l’époque. Si t’as bien regardé en descendant, tu as des cuves métalliques accrochées par ci et là des murs du Gouffre.

— Non, je n’ai pas fait attention je t’avoue, comment ça marche exactement ?

— Je suis médecin Lavande, pas ingénieur, mais je crois si je ne te dis pas de connerie que c’est un système de récupération d’eau chauffé par les volcans ou une merde comme ça et pouf ça fait de l’électricité.

— Ouais, effectivement, tu n’es pas une ingé’... d’ailleurs les volcans ? Vous n’avez pas des soucis de séismes au juste ?

— Oh si, tout plein, mais toute la ville est conçue dans le but d’y résister, alors ça devient une habitude.

Elles se trouvaient dans une station, il y avait des nacelles noires sur le côté, disposées les unes sur les autres, avec l’inscription “Ascension” sur chacune d’entre elles. C’est vrai que ça aurait été moins fatigant…

Alors qu’elle suivit Melys vers la sortie, elle commença l’interrogatoire, elle avait sa pleine voix maintenant et des brûlures au palais à force de retenir les tonnes d’interrogation qui rêvaient de sortir de là.

— Comment vous êtes organisés vous autres, les Exilés, il y a un chef ? Plusieurs villes ? Comment vous vivez en général ?

— La seule véritable ville que nous avons c’est celle-ci, le Gouffre, pas des plus charmants comme nom je te l’accorde. Il y a le Conseil des Trois qui gère les exilés, mais la ville en elle-même est plutôt administrée par l’un des trois, étant le leader élu du groupe des Administrateurs.

— Les Administrateurs ?

— Ouais, si tu veux il y a trois grands groupes chez les Exilés, tous ont un leader évidemment. Les Administrateurs, qui réalisent l’intendance de notre ville, gestion des ressources, constructions, politiques intérieurs… tous les cinq ans ils votent pour leur représentant au sein du Conseil des Trois. Tu as aussi les Voyageurs, dont je fais partie, qui mènent des expéditions un peu partout à la quête de ressources, de recrues et de connaissances… il y a un leader au conseil, mais en soit nous n’en avons pas qu’un, chaque escouade a son propre chef, par exemple Ulysse pour les Nomadebyen.

— Et donc toi tu es une Nomadebyen ?

— C’est… plus compliquée, déjà tu peux changer plus ou moins facilement d’escouade et moi je suis médecin, donc j’ai tendance à être envoyé à droite et à gauche.

— D’accord… et le dernier groupe ?

— Les Infiltrés, qui gèrent l’espionnage dans les trois mégalopoles du Monde. On ne sait pas grand chose sur eux quand on n’en fait pas partie, logique. Néanmoins, il y a pas mal de stip’ qui nous permettent d’avoir des infos assez classiques sur ce qu’ils se passent sur place, notamment pour le recrutement.

— Lazarus…

— Par exemple. Puis nous avons d’autres infiltrés un peu plus haut placés… qui nous fournissent des informations très précieuses sur les déplacements militaires des trois cités, ainsi que les technologies confidentielles qu’elles possèdent, des plans de constructions…

— C’est impressionnant, je n’imaginais pas que… mais vous comptez faire quoi de tout ça ? Les faire tomber ?

Melys souffla du nez,

— Non, non, nous n’avons pas cette prétention. À quoi cela servirait ? Prendre le contrôle de NV, Al-Ufuq et Wang’ ? On en fait quoi après ? Non… le principe est juste de proposer une vie alternative.

— Vous n’avez pas de but à long terme.

— Dépend de chacun ça, même si beaucoup aimeraient trouver un moyen d’à nouveau rendre vivable certaines surfaces du Globe.

— Et moi dans tout ça ?

La médecin laissait une pause théâtrale. Elle guida Lavande vers des escaliers menant à un pont. Ce dernier permettait de rejoindre ce qui paraissait être un moyen de transport ; des nacelles entièrement transparentes fixées à des réseaux qui parcouraient la ville.

— Nous avons piqué ça d’Al-Ufuq, ils sont vraiment précurseurs en matière de technologie de transports.

Expliqua Melys alors que la stip’ n’avait toujours pas eu sa réponse. Elle n’insista pas cependant, s’imaginant qu’elle le saurait très vite. Des trois groupes, elle ne voulait certainement pas terminer chez les Infiltrés, tout un tumulte intérieur pour accepter de mettre sa vie passée de côté, ce n’était certainement pas pour y retourner, même pour jouer les espions. Les Administrateurs… ce n’était pas non plus sa came, elle ne se voyait certainement pas compétente dans un rôle pareil. Non, elle, ce qui la bottait : l’exploration, pouvoir découvrir ce qui se cache dans le monde, pas celui du Groenland non, celui au-delà des frontières, sur les vieux continents. Elle ne pouvait pas dire qu’elle en avait rêvé, la chose paraissait tellement irréalisable voire idiote que cela relevait plus d’un hypothétique cauchemar finissant irrémédiablement par une mort atroce. Cependant, si les Exilés réalisaient des opérations dans ces endroits, cela voulait bien dire que des foutaises lui était racontée depuis son enfance. Selon les écoles de NV, les continents de l’Ex-Monde étaient envahis par des phénomènes météorologiques totalement fou ; pluie d’acides, tempêtes de verres, orages cataclysmiques… sans oublier la faune adaptait au terrible environnement qui n’en devenait que plus dangereuse et agressive ; dans chaque créature se trouvait là un prédateur en puissance. Quelle était la part de vrai là-dedans ? Il lui faudrait demander, même si elle n’avait pas envie de se montrer naïve auprès d’eux.

La nacelle quitta la plateforme, quatre personnes pouvaient entrer dedans, mais seulement Melys l’accompagnait dans ce voyage. Les Exilés ne comptaient pas autant de monde que cela, déjà parce que la ville était peuplée en grande majorité par le groupe des Administrateurs, mais aussi par simple souci de pouvoir nourrir et loger la totalité, de ce fait la ville paraissait beaucoup trop énorme pour la faible densité de population… tout l’inverse de NV. La vue qui s’offrait à Lavande avait un arrière-goût de mélancolie, chaque personne peuplant cet endroit isolé devait connaître cette sensation ; une place que l’on cherche, désespérément, quelque part.

— Pourquoi as-tu quitté le Monde toi ?

S'entendit-elle demander à son accompagnatrice.

— Je suis venue avec ma mère, quand le Gouffre s’achevait. Elle fuyait des mafieux d’NV.

— Tu avais quel âge ?

— Treize ans, j’ai eu le temps de connaître la vie là-bas si c’était ça ta question.

Hochement de tête entendue, elle n’insista pas sur le passé de la médecin, certaines choses doivent rester où elles sont.

— J’ai appris la médecine sur place. J’ai fait ma vie ici, ma mère est morte l’année dernière, tumeur, dernière phase, elle ne se plaignait pas de ses douleurs alors je n’ai rien vu venir. Le comble.

Lavande garda un visage plus ou moins neutre, elle n’avait aucune compétence en matière de consoler autrui, d’habitude c’était elle qui se lamentait… à son frère… à Tony…

— Elle m’a offert une meilleure vie. Je n’ai même pas été foutue de la sauver, de voir la merde qui grandissait en elle !

Des larmes montèrent aux yeux de Melys, elle les retenait vainement.

— Merde ! Je suis vraiment trop faible !

Lavande eut alors un réflexe dont elle n’aurait pas pu soupçonner qu’elle en serait capable ; elle entoura Melys d’un bras pour la coller contre elle, réconfort par l’étreinte. Elle réfléchit à toute allure pour trouver les meilleurs mots possibles, elle n’en avait pas, alors elle improvisa une phrase avec ce qu’elle avait dans la gorge.

— On l’est tous, t’en fais pas pour ça.

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