Chapitre 2
Je suis réveillée le lendemain matin par les piaillements des oiseaux et les premiers rayons du soleil qui baignent ma chambre d’une lueur dorée. Je cligne lentement des yeux et me redresse. L’air frais de la pièce est contrebalancé par la chaleur de mon lit. Pendant quelques secondes, j’oscille entre rêve et réalité, puis un sourire s’étire sur mes lèvres lorsque je réalise où je suis.
Twinklebrook.
Je suis à Twinklebrook.
Je me tourne sur le côté et observe le paysage qui s’offre à mes yeux. Le village est paisible et silencieux. Quelques flocons virevoltent dans l’air. Le ciel est d’un blanc lumineux, presque nacré. Je savoure quelques instants ce moment avant de repousser ma couette et de me lever. Je me rends dans la salle de bains et prends une bonne douche chaude. J’enfile ensuite un pull en laine rouge, un legging et mes grosses chaussettes de ski puis descends les escaliers, attirée par l’odeur de café qui flotte dans l’air. J’entre dans la cuisine et y découvre Sam, vêtue d’un pull oversize et d’un jogging. Sur le plan de travail, du pain de campagne, deux avocats bien mûrs, des œufs, du sel et du poivre.
— Salut… marmonné-je, encore à moitié endormie.
— Ah, la Belle au bois dormant est enfin réveillée ! dit-elle sans même se retourner.
Je grogne, ce qui la fait rire.
— Café ? propose-t-elle en me tendant une tasse.
— Tu sais que je t’aime, hein ? lancé-je en prenant une gorgée.
Tandis qu’elle écrase et assaisonne les avocats, je m’installe à ses côtés et bats les œufs dans un saladier. L’odeur du pain qui grille embaume la cuisine, se mêlant à celle du café. Une mini-radio, posée sur le rebord de la fenêtre, diffuse de vieilles chansons de Noël. Une fois les toasts prêts, nous les recouvrons généreusement d’avocat et d’œufs brouillés, et les déposons sur des assiettes avant de saupoudrer le tout de piment. Nous nous rendons au salon et nous nous installons à table près de la baie vitrée, d’où on aperçoit au loin le sapin géant sur la grande place, ses guirlandes lumineuses clignotant dans la lueur blafarde du matin.
— Honnêtement, j’ai connu pire comme réveil, déclaré-je en croquant dans mon toast.
— C’est clair, répond Sam. Et on a un super programme aujourd’hui, tu te rappelles ?
— Hmm hmm… Visite guidée à neuf heures…
— … et atelier biscuits avec Mme Clarkson à quinze heures. J’espère qu’on pourra goûter à ses fameux sablés à la noisette. Josh m’a dit qu’ils étaient à tomber !
Je hoche la tête, le sourire aux lèvres.
— Tu sais, je me demande vraiment si on n’a pas atterri tout droit dans un film.
— Ouais et si ça se trouve, tu vas rencontrer l’amour de ta vie, réplique Sam, l’air malicieux.
Je lève les yeux au ciel en riant.
— Vu ma poisse légendaire, la seule chose qui risque de m’arriver, c’est de me brûler les mains en sortant les biscuits du four ! Et toi, d’ailleurs ? Toi non plus, t’es pas à l’abri d’un coup de foudre avec un mystérieux barbu qui porte des pulls moches !
— C’est pas faux, concède-t-elle. S’il a la voix bien grave et qu’en plus il aime les chats, je craque direct !
— Je prends note ! dis-je en lui faisant un clin d’œil.
Une fois notre petit-déj’ terminé, je débarrasse nos assiettes et monte à l’étage, direction ma chambre. Je m’assieds sur le lit et compose le numéro de ma mère. Elle décroche aussitôt.
— Molly, ma chérie ! Ça me fait tellement plaisir de t’entendre !
— Salut maman ! Je t’appelle pour te dire que tout va bien. Le chalet est sublime et le village… il est parfait, on se croirait dans un véritable conte de fées !
— J’en suis ravie. Tu as bien dormi ? Vous êtes bien installées ? Tu as rencontré quelqu’un ?
Je manque de m’étouffer avec ma salive.
— Mais vous vous êtes passées le mot avec Sam ou quoi ? C’est pas possible !
— Qui sait ? Comme on dit, l’amour arrive souvent quand on s’y attend le moins, dit-elle d’un ton espiègle.
— Maman, je te rappelle qu’on vient juste d’arriver…
— Je te laisse, ma chérie. Passe une bonne journée. Bisous !
Elle raccroche avant que j’aie le temps de protester.
Je grommelle et jette un coup d’œil à l’horloge murale. Huit heures quarante. Plus que vingt minutes avant l’heure du rendez-vous. Je descends les escaliers à toute vitesse. Sam est déjà en train d’enfiler ses bottes.
— Je nous ai préparé du café, dit-elle en me désignant deux thermos. On est parées !
— Parfait ! Allons-y !
***
La neige crisse sous nos pas tandis que nous marchons, nos bottes laissant de petites empreintes nettes dans la poudreuse fraîche. Le ciel est d’un gris perle, presque nacré, et les guirlandes suspendues entre les lampadaires clignotent faiblement. Sam est à ma droite, bien emmitouflée dans son long manteau couleur crème. Avec son écharpe rose et son bonnet à pompons, elle a l’air tout droit sortie d’un film de Noël. Le vent est glacial et je frotte mes mains gantées pour me réchauffer.
— Je parie que tu vas rencontrer le grand amour aujourd’hui ! déclare-t-elle tout à coup.
Je la regarde, incrédule.
— Tu vas pas me lâcher avec ça, pas vrai ?
— Je le sens, je te le jure ! insiste-t-elle. Si ça se trouve, l’homme de ta vie est sur la grande place en train de t’attendre !
Je laisse échapper un soupir exaspéré.
— Sam, on est dans la vraie vie, pas dans Coup de foudre à Notting Hill. Les seules choses que je verrai aujourd’hui, ce seront les sablés à la noisette de Mme Clarkson et un vieux guide de soixante balais avec un bonnet de Père Noël sur la tête !
— Me crois pas si tu veux, je sais que j’ai raison, réplique-t-elle avec un grand sourire. Quand tu t’y attendras le moins, ça va te tomber dessus et… bam !
Je lève les yeux au ciel et m’arrête net.
— Sam, on n’est pas dans un film. Il n’y aura pas de bel inconnu au cœur brisé qui va surgir au coin de la rue en train de promener son chien. On est dans la vraie vie, et dans la vraie vie, les gens ne tombent pas amoureux en échangeant un simple regard !
Elle s’apprête à répliquer mais je me détourne avant qu’elle ait le temps de prononcer un mot. Je contourne un lampadaire et tourne à l’angle de la rue, lorsque mon pied glisse tout à coup sur une plaque de verglas dissimulée sous la neige. Je me sens basculer en arrière et pousse un cri perçant. Je tente de retrouver mon équilibre, en vain. Je me vois déjà m’étaler sur le trottoir, mon cul et ma dignité en miettes.
Sauf que je ne tombe pas.
Deux mains me retiennent fermement par la taille. Je lève les yeux, surprise… et c’est là que je le vois. Un jeune homme brun aux yeux bleus me regarde d’un air soucieux. Les traits de son visage sont fins et anguleux, et ses joues rougies par le froid. Une mèche de cheveux bouclés dépasse de son bonnet gris anthracite. Il doit avoir à peu près mon âge. Je ne peux m’empêcher de le trouver mignon. Je reste figée dans ses bras, muette, incapable de bouger.
— Ça va ? me demande-t-il, inquiet.
Je cligne des yeux, hébétée.
— Oui… oui, ça va, réponds-je d’un ton rauque.
Je me redresse et m’efforce de reprendre mes esprits. Mon cerveau cherche désespérément quelque chose à dire afin de me sortir de cette situation gênante. Finalement, je lance avec un petit sourire :
— Heureusement que tu étais là, sinon je me serais brisé le coccyx !
Il esquisse un sourire en coin, amusé.
— En effet, tu as eu de la chance.
Je me mets à rire, un peu gênée.
— Tu as de très beaux yeux, c’est rare les personnes qui ont les yeux vairons.
— Merci beaucoup…
— Molly !
Sam arrive en courant, les yeux écarquillés. Elle me prend dans ses bras et m’examine de la tête aux pieds.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ? Tu es tombée ? Tu es blessée ? Tu veux qu’on appelle une ambulance ? Qu’on aille à l’hôpital ?
Je lève les yeux au ciel. Quelle drama queen, celle-là !
— Sam, je vais bien, t’inquiète…
Elle se tourne alors vers l’inconnu.
— Merci beaucoup, vraiment ! Tu lui as sauvé la vie ! Ma meilleure amie ici présente est la personne la plus maladroite que je connaisse. Je m’en serais voulue toute ma vie si elle avait fini aux urgences avec le bassin fracturé !
Je soupire tandis qu’il se met à rire.
— Je m’appelle David, je viens d’arriver.
— Moi c’est Sam et la reine de la glisse, c’est Molly, dit-elle en lui serrant la main avec enthousiasme.
Je lui adresse un petit sourire, les joues en feu.
— Enchanté ! dit-il. Vous êtes là pour les vacances ?
— Oui, répond Sam en hochant la tête. On est arrivées hier, on est là pour trois semaines. C’est la première fois qu’on vient ici. Et toi ?
— Juste quelques jours, pour l’instant. On verra par la suite… Vous avez quelque chose de prévu ce matin ?
— Oui ! s’écrie Sam. Il y a une visite guidée du village qui va bientôt commencer. Tu veux venir ?
Il me jette un coup d’œil, les mains dans les poches.
— Avec plaisir ! Je pense que ce serait plus sûr que je t’accompagne, Molly. Au cas où tu tomberais de nouveau. On ne sait jamais…
Je pouffe et affiche une mine outragée.
— Très drôle ! Mais bon, je suppose que tu as raison, ce serait plus prudent.
— Je prendrai mon rôle de garde du corps très au sérieux.
— Je n’en doute pas une seconde.
— Allez, on y va ! nous interrompt Sam en s’éloignant.
***
Lorsque nous arrivons sur la grande place, je suis de nouveau frappée par sa beauté. De la neige recouvre les pavés et le sapin géant, toujours aussi majestueux, se dresse fièrement au centre. Les commerçants ouvrent peu à peu leurs boutiques. J’entends le grincement des portes, le raclement des balais et le tintement des clochettes. Une banderole en tissu rouge, tendue entre deux lampadaires, arbore l’inscription suivante : « Visite guidée – départ à neuf heures ». En-dessous se trouve une table avec des boissons chaudes et des assiettes de petits biscuits. Une femme arborant un bonnet rose distribue des tasses avec un large sourire.
— Je rêve ou on est au paradis ? murmure Sam.
Je ne réponds pas, observant la foule déjà rassemblée devant l’hôtel de ville.
— Bonjour à tous !
Une femme élégante d’un certain âge, emmitouflée dans un long manteau vert, descend les marches de l’hôtel de ville avec l’énergie d’une animatrice télé. Ses cheveux argentés sont relevés en un chignon impeccable.
— Je m’appelle Suzanne et je serai votre guide tout au long de la matinée ! Vous allez voir, Twinklebrook regorge de nombreux trésors qu’on ne trouve nulle part ailleurs !
Elle ponctue sa phrase d’un clin d’œil. Je sens que je vais l’adorer.
Nous nous mêlons au reste du groupe et suivons notre guide.
— Tu veux que je te tienne la main ? me lance Sam d’un ton moqueur. Pour pas que tu tombes ?
Je fais mine de l’ignorer, ce qui la fait rire.
Nous empruntons la rue des Merveilles, bordée de boutiques aux couleurs chatoyantes et aux noms tout aussi extravagants les uns que les autres : La Boîte à Souvenirs, La Théière Enchantée, Merveilles & Lanternes… D’après Suzanne, il s’agit des commerces les plus anciens du village. Les vitrines sont décorées avec un soin presque excessif, tout semble être calculé dans le but de nous faire retomber en enfance.
— Ici, c’est la boutique de Mme Joubert, notre fleuriste, explique Suzanne en nous désignant une botique à la façade bleu nuit. Elle ne vend que du gui et du houx. Elle aime bien raconter aux touristes la légende des Amoureux de Noël.
Comme par réflexe, je jette un coup d’œil à David, à ma gauche, qui tourne la tête au même moment. Nos regards se croisent. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens toute bizarre. Génial. Il ne dit rien mais je sens sa présence, tout près de moi. Son bras effleure la manche de mon manteau, et je deviens tout à coup consciente de la distance qui nous sépare… ou plutôt, qui ne nous sépare pas.
— Et là, ajoute Suzanne en s’engageant dans une petite ruelle, c’est l’Allée des Vœux. Selon une légence, si l’on vient ici et que l’on fait un vœu, celui-ci se réalise.
Sam se penche vers moi.
— Je sais déjà ce que je vais faire comme vœu !
— Une horde de Pères Noël sexy pour ton anniversaire ? lancé-je d’un ton narquois.
— J’allais dire l’homme de ma vie, mais j’avoue que ça aussi c’est pas mal, rit-elle.
Je me mets à rire moi aussi.
— Et toi, tu comptes faire un vœu ?
Je tourne la tête vers David, qui me regarde.
— Euh… oui… peut-être, bégayé-je, surprise.
Il esquisse un petit sourire, et je me sens déstabilisée par ses yeux d’un bleu vif qui me fixent.
— Moi, oui, dit-il, l’air pensif.
Je ne réponds pas, malgré la curiosité qui s’empare de moi. Son regard reste accroché au mien une seconde de trop. Je sens mes joues s’échauffer. Décidément…
— Direction le lac ! s’écrie Suzanne. J’ai encore quelques merveilles à vous montrer !
Je reste légèrement en retrait, entre David et Sam. Nous prenons un sentir qui nous mène au pied d’un pont en bois couvert de neige. Les rayons du soleil illuminent la surface gelée du lac. C’est magnifique.
— Tu réalises ce qu’on est en train de vivre, là ? me souffle Sam à l’oreille.
Je hoche la tête, émue.
— Oh que oui !
David, quant à lui, garde le silence mais il contemple le paysage avec la même expression que quelqu’un qui vient de tomber amoureux. J’aimerais tellement connaître ce sentiment, voire ce que ça fait… être aimée et aimer. Comme dans les films.
Et si Sam avait raison ?
Et si ce Noël était l’occasion pour moi de rencontrer le grand amour ?
***
L’Auberge des Quatre Étoiles, située tout au bout de la rue des Lanternes, est facilement reconnaissable à ses volets bordeaux, sa façade en bois de hêtre bien entretenue et son enseigne en forme de sapin. D’après Suzanne, notre guide, c’est le lieu de déjeuner incontournable du village. Et vu l’odeur de pain grillé et de beurre fondu qui nous accueille lorsque nous entrons, je n’ai aucun mal à la croire.
Une vague de chaleur nous enveloppe aussitôt. L’ambiance est feutrée et intime, avec les murs en briques, les nappes en lin brodé, les poutres apparentes et la cheminée au fond de la salle dont les flammes projetent une lumière dorée sur les murs.
— On est au paradis… murmure Sam, les yeux brillants.
On nous installe près de la fenêtre, d’où on peut voir la grande place. La serveuse, une jeune femme à l’air avenant, nous tend la carte avec un grand sourire.
— Tout est fait maison et préparé avec amour ! dit-elle.
Nous lui rendons son sourire et optons pour les spécialités locales du village : gratin de potimarron pour moi, tourte aux pommes de terre pour Sam, avec un velouté de champignons en entrée et du pain aux herbes. Lorsque nos plats arrivent, nous esquissons toutes les deux un grand sourire.
— Tu sais quoi ? Si on mange aussi bien tous les jours ici, je crois que je vais rester pour toujours ! déclare Sam.
Je hoche la tête et prends une bouchée de mon plat. Le gratin est crémeux, légèrement sucré, parfaitement assaisonné. Ça fond dans la bouche, quel délice ! Et je ne parle même pas de la soupe… moi qui n’aimais pas les champignons, c’est une belle surprise !
— Alors ? dit tout à coup Sam en reposant sa fourchette, le regard fixé sur moi.
— « Alors » quoi ? je lance en la dévisageant avec suspicion.
Quand elle prend ce ton, ça n’annonce jamais rien de bon.
— Tu sais bien de quoi je parle. David. Tu sais, le beau brun aux yeux bleus qui t’a sauvée ce matin !
— Oui, bah quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— J’en sais rien, à toi de me le dire.
Je sens mes joues rougir.
— Oh non, tu vas pas recommencer ! je soupire.
— Trop tard ! Tu crois que j’ai pas vu comment tu le regardais ce matin ? Et comment il te regardait ?
— Ouais, comme quelqu’un qui a empêché une fille de s’étaler sur le trottoir, c’est tout.
Sam plisse les yeux, l’air sceptique.
— Menteuse !
— Tu te fais des films.
— Pas du tout.
Je lève les yeux au ciel.
— Bon, OK, il est… charmant. Et plutôt mignon, j’avoue. Et oui, j’ai trouvé son geste adorable. Mais c’était juste une coïncidence, il passait juste par là, il n’y avait rien de romantique.
— Molly, il t’a prise dans ses bras ! Littéralement. T’as failli tomber, il t’a rattrapée, tu l’as regardé dans les yeux et tu t’es mise à rougir. Et n’essaye pas de nier, je vous ai vus !
— Si j’ai rougi, c’est parce que j’avais froid…
— Oui bien sûr… Tu as beau essayer de te convaincre du contraire, mais ça ne marche pas avec moi. Ce que tu viens de vivre, c’est la scène iconique de n’importe quel film de Noël qui se respecte !
— Sam…
— Et si ça se trouve, on le reverra tout à l’heure chez Mme Clarkson, ajoute-t-elle, l’air malicieux. J’imagine déjà la scène : il n’était pas censé venir mais comme on ne peut pas lutter contre le destin, il est quand même venu, et c’est là qu’il croise ton regard et…
— Stop ! Là t’es en train de t’emballer, comme d’hab’.
Je secoue la tête, exaspérée, et me reconcentre sur mon gratin. Lui, au moins, il ne me fait pas chier.
Une fois nos plats terminés, la serveuse revient avec deux grandes tasses de chocolat chaud à la cannelle, nappées d’un nuage de crème fouettée et saupoudrées de muscade. Je porte la tasse à mes lèvres et ferme les yeux. Je crois que c’est le meilleur chocolat chaud que j’ai bu de toute ma vie – désolée maman.
— Putain, c’est une tuerie, murmure Sam.
— Ouais, je te le fais pas dire, je confirme.
Après avoir terminé nos boissons, nous nous dirigeons vers le comptoir pour régler l’addition. La serveuse nous adresse un grand sourire et nous tend deux petits cartons ornés d’un flocon argenté et d’un ruban doré.
— Tenez, mesdemoiselles ! Bons pour un chocolat chaud gratuit, valables jusqu’à la fin de votre séjour. Cadeau de la maison.
— Sérieux ?! s’étonne Sam.
— Calendrier de l’Avent collectif, on est le deuxième jour, explique-t-elle avec un clin d’œil.
— Je… je crois que je vais pleurer, merci beaucoup !
— Oui, merci beaucoup, vraiment ! renchérit Sam, émue.
Nous quittons l’auberge sous la neige et nous nous dirigeons vers notre chalet, le cœur léger et le ventre plein.
***
Je souris lorsque j’entends les premières notes de la bande-son de Love Actually. J’ai beau connaître chaque scène et chaque réplique par cœur, ça ne m’empêche pas de le revoir encore et encore. Et puis il y a Hugh Grant, aka mon crush ultime. Rien que pour lui, je regarderais ce film encore mille fois, s’il le faut.
Sam est allongée à côté de moi sur le canapé, les jambes recouvertes d’un plaid aux motifs écossais, un bol de pop-corn déjà à moitié vide posé sur son ventre. Lovée dans un coin du canapé, ma tasse de thé refroidissant sur la table basse, je bâille et profite de l’instant présent…
… enfin, jusqu’à ce que je jette un coup d’œil à l’horloge au-dessus de la cheminée.
Quatorze heures cinquante.
Je me redresse brusquement, paniquée.
— Sam ! On va être en retard !
Elle ouvre les yeux, l’air confus.
— Hein ?
— L’atelier de Mme Clarkson ! On doit être là-bas à quinze heures. Dans dix minutes !
Elle bondit aussitôt du canapé comme s’il y avait le feu. Le plaid tombe par terre, le bol de pop-corn se renverse sur le tapis et Sam manque de justesse de faire tomber ma tasse.
— Où sont mes gants ? s’écrie-t-elle en tournant en rond.
— Tes gants ? J’en sais rien ! Elle est où, ma deuxième chaussure ? Pourquoi j’en ai qu’une seule ?
Nous nous bousculons dans le couloir et nous nous cognons contre les meubles, avant d’enfiler nos manteaux et d’attraper nos bonnets à la volée. Sam manque renverser le porte-manteau, je fais tomber une bougie – heureusement éteinte – et nous sortons précipitamment, haletantes. Nous courons en direction de la fabrique. Le vent glacial nous fouette les joues et nous tournons à l’angle de la rue lorsque je percute quelqu’un de plein fouet. Je pousse un cri et recule d’un pas en chancelant, tout en clignant des yeux. Lorsque je reconnais la personne en face de moi, ma surprise laisse place au désarroi.
— Non mais dites-moi que je rêve…
David.
Évidemment, il fallait que ce soit lui. Comme par hasard. Il me regarde avec un sourire moqueur, visiblement amusé par la situation.
— Tu devrais sérieusement envisager d’engager un garde du corps, Molly, dit-il. Ça fait déjà deux accidents en une journée. Je ne sais pas si tu es au courant mais, en général, les gens n’aiment pas trop quand on leur fonce dessus.
Je reprends mon souffle, les joues en feu, et affiche une moue faussement vexée.
— C’est bizarre mais la seule personne que j’ai percutée depuis que je suis arrivée, c’est toi ! Peut-être que c’est toi le problème !
— Ah bon ? C’est comme ça que tu me remercies ? Je t’ai évité une belle commotion cérébrale ce matin, et toi tu m’insultes ? C’est très gentil, merci !
Je m’apprête à répliquer lorsque la voix de Sam derrière moi m’interrompt net.
— Molly ! On n’a pas le temps de flirter, là ! On est en retard, tu te rappelles ?
Je manque de m’étouffer.
— Quoi ? Je… je n’étais pas en train de… Je ne flirtais pas !
David rigole face à mon embarras.
— Vous allez où comme ça ?
— Chez Mme Clarkson, répond Sam. On va visiter sa fabrique de biscuits et assister à un cours de pâtisserie.
David écarquille les yeux, l’air ravi.
— Mais… j’allais justement y aller ! Enfin, je crois… Je tourne un peu en rond depuis tout à l’heure.
Sam se tourne vers moi et me lance un regard satisfait qui, je le sais, veut dire : « Je te l’avais dit ! ».
— On n’a qu’à y aller tous les trois !
— Avec plaisir ! répond David.
Je jette un regard noir à Sam.
— Ça tu vas me le payer, je marmonne entre mes dents.
Elle se tourne vers moi, l’air innocent.
— Mais j’ai rien fait, Molly ! C’est le destin ! On ne peut rien contre le destin !
Et avant que je puisse ajouter quoi que ce soit, elle s’éloigne de moi à toute vitesse.
Je grommelle dans ma barbe, agacée, avant de les rejoindre.
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