Chapitre 3 : Effroi
— François, ouvre par pitié, dis-je en tambourinant à la porte.
Le clic sec d'une serrure retentit derrière moi. Je me retourne et vois un homme d'une cinquantaine d'années me regarder, l'air sévère.
- Que se passe-t-il Monsieur ? Il est tard vous savez !
— Pardon pour le dérangement, dis-je. J’attends simplement que mon frère ouvre.
— Cela ne sert à rien d'hurler comme vous le faîtes ! Vous dérangez tout le voisinage ! Ayez un peu de respect pour les habitants de l'immeuble !
Sa réaction me choque. Je sens la colère monter en moi et je parviens difficilement à la contenir :
— Ce qui se passe ici ne vous concerne en rien ! Rentrez chez vous et foutez-moi la paix, lui répondis-je.
Il s'avance dans le couloir et sort son téléphone portable de sa poche.
— Arrêtez tout ce tappage ! Sinon, j’appelle la police ! dit-il en pointant du doigt son appareil.
Incapable de me contrôler plus longtemps, je lui hurle, fou de rage :
— Eh bien, appelez-la ! Qu’attendez-vous pour le faire ?! Cessez de m’emmerder avec vos conneries et barrez-vous !
— Vous devriez avoir honte ! Importuner tout un imm…
— Vous êtes bouché ou quoi ?! Je n’en ai rien à foutre ! Je me moque éperdument du voisinage et du bruit que je peux faire ! Il n’est pas question que je me taise ou que je m'en aille !
J’ajoute en hurlant de plus bel à l’intention de mon frère :
— Tu m’entends François ? Je ne partirai pas d’ici ! Pas tant que tu n’auras pas ouvert cette putain de porte ! Je sais que tu es là !
— Vous êtes fou ma parole, rétorque le voisin.
— Oui, dis-je avec rage en me rapprochant de lui. C’est ce que je suis devenu !
— Je vous aurais prévenu, j’appelle la police ! dit-il en rentrant chez lui et en claquant la porte.
— Tu entends ça frérot ?! À cause de toi les flics vont rappliquer !
Aucune réponse.
Je reste immobile dans le couloir, essouflé, les yeux rivés sur la porte d'appartement de mon frère.
Les secondes passent lorsque soudain des pleurs me parviennent depuis le logement. D'abord lointains et étouffés, ils finissent par être de plus en plus audibles jusqu'à envahir entièrement le couloir.
— Timothée !
Ses lamentations me déchirent le cœur. Je suis totalement désemparé. Je ressens la détresse et la peur panique dans ses cris.
— Timothée, je suis là ! Ouvre moi !
— Papa !
J'entends des frottements derrière la porte, puis des grattements sur le bois, comme si une personne au sol tentait de se relever en s'appuyant contre la porte.
Enfin, le cliquetis du verrou du haut retentit dans le couloir. La porte s'entrouvre lentement, dans un léger grincement, dévoilant le hall d'entrée plongé dans l'obscurité. Mon fils se faufile dans l'entrebâillement et se jette dans mes bras.
— Timothée… dis-je dans un souffle.
Ces retrouvailles me bouleversent. Je me rends compte qu'il est parcouru de tremblements. Son petit corps me paraît si fragile ! J’ai l’impression qu’il s’accroche à moi comme si sa vie en dépendait.
— Ça va aller mon grand. Je suis là maintenant. Tu n’as plus à avoir peur.
Ses pleurs ne s'apaisent pas. Je sens ses larmes chaudes couler doucement le long de ma joue jusqu'à mon cou. Sa respiration est saccadée. Je l’embrasse avec tendresse sur le front et lui caresse le dos en lui répétant : « Je suis là mon grand ».
Soudain, un bruit sourd suivi d'un craquement retentit dans le logement, comme si quelque chose ou quelqu'un venait de tomber.
Je relève la tête et je détecte un mouvement furtif dans l'entrebaîllement de la porte.
— François ?
Je me penche pour déposer Timothée au sol mais il s'agite brutalement.
— Non, papa ! Non ! hurle mon fils.
Je m'agenouille et lui redresse le menton pour qu'il me regarde. Je constate que ses yeux sont presque totalement dilatés. Il est terrorisé. Je distingue à peine son iris ambré. J’essaie de desserrer légèrement son étreinte mais il s’agrippe encore plus fortement.
— Qu'est-ce qu'il se passe Timothée ? Je dois aller voir ta sœur et ton oncle. Ils ont besoi...
— NON !
— Écoute, on doit faire vite. Il faut qu'on emmène ta sœur à l'hôpital car elle est gravement blessée. Le samu ne devrait plus tar...
Je m'interromps car la porte se met à grincer dans un bruit lent et plaintif. Je perçois un gémissement de douleur, puis un deuxième, accompagné d'un râle rauque et de frottements comme si quelque chose de lourd était traîné sur le sol. Je vois mon fils river ses yeux vers l'appartement, puis se figer, le visage crispé par l'effroi. La peur au ventre, je tourne la tête dans la même direction et mon sang se glace.
Dans l'entrebâillement de la porte, un homme ensanglanté émerge de l'obscurité en rampant sur le plancher. Je reconnais François uniquement lorsqu'il lève vers moi son visage... défiguré. Il est contusionné de partout comme s'il avait été griffé et mordu par une bête. Ses vêtements sont en lambeaux.
— Ai...de mmmooiii... gémit mon frère dans un gargouillis déchirant.
Il redresse son buste et, avec difficulté, il tend le bras vers moi, les yeux implorants.
— Pi...tiiié, aide moiii ! dit-il dans un sanglot, du sang et de la bave coulant sur son menton.
Je suis sous le choc. Incapable d'articuler le moindre mot, je m'approche de lui, les jambes tremblantes, pour saisir sa main. C'est alors que mon frère est violemment traîné en arrière par une force invisible, tapie dans l'obscurité du logement. Ses ongles raclent le plancher dans un bruit strident, traçant des griffures sanglantes jusque dans la pénombre. Il disparaît dans les ténèbres de son foyer en hurlant de terreur et de désespoir.
— C'est elle Papa... c'est elle, murmure mon fils derrière moi.
Des cris horribles éclatent à l'intérieur du logement. Des cris inhumains.
— C'est elle qui vient nous faire du mal dans nos cauchemars, Papa.
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